LES DIVERSES INFLUENCES

‘La comparaison de chaque élément du modèle dans les trois groupes d’enseignants montre les influences des connaissances et des savoirs issus des pratiques culturelles.’

La motricité est qualifiée, par les non experts E et E-, avec des termes vagues concernant le corps, le mouvement (catégorie un). Cependant, les E- attachent une plus grande importance à la motricité. Ils imaginent davantage le mouvement dansé à travers leurs différents registres de connaissance du mouvement (en EPS : catégorie deux, de la danse et de sa technique : catégorie trois et quatre ). Danser c’est coordonner des actions avec une certaine dynamique. Les enseignants E- envisagent la motricité grâce à la culture EPS scolaire. Les enseignants E se refusent à toute référence culturelle et laissent libres leurs élèves.

Les experts accordent de l’importance aux différentes composantes du mouvement que sont l’espace, le temps, et l’énergie. Ils connaissent des techniques qui font partie de leur référence du mouvement et du placement corporel (catégories quatre et cinq).

Les enseignants E+ prennent appui sur la danse contemporaine pour traiter le mouvement. Selon la formation personnelle de chacun, ils proposent un travail plus technique correspondant à leur goût ou aux besoins des élèves dans leur création.

Le graphique témoigne de la quantité et de la qualité des discours des différents groupes. Les catégories de la motricité se répartissent différemment selon les experts et non experts.

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Graphique 34 : Motricité E-, E, E+.

La sensibilité fait l’unanimité dans tous les groupes. Les enseignants E- et E+ sont d’accord : la relation à la musique, c’est-à-dire la recherche de correspondance entre l’écoute musicale et le mouvement, reste essentielle. Les enseignants E mettent davantage l’accent sur les sensations kinesthésiques, le ressenti du mouvement, ce qui s’articule assez bien avec l’autre dominante, l’émotion, qui se traduit aussi bien par du mal-être que du bien-être. Les enseignants E+ insistent sur l’importance du regardé qui s’accommode avec l’approche esthétique, la mise en image du mouvement dansé.

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Graphique 35 : sensibilité E-, E, E+.

Nous observons sur le graphique, trois types de sensibilité :

Les quatre premières catégories de la sociabilité sont également présentes dans les trois modèles, avec quelques dominantes selon les groupes d’enseignants. La catégorie 1 (rouge), indique un rapport aux autres relativement quotidien et correspond aux mots souvent employés dans le cadre de l’EPS. Elle est la plus importante des catégories chez les E-.

La préoccupation des enseignants E sont les aspects féminins de la danse, qui sont représentés dans la catégorie 3, jaune, sur le graphique. Ils posent des problèmes de gestion des groupes dans les classes.

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Graphique 36 : Sociabilité E-, E, E+.

L’implication personnelle et l’affirmation de soi pour oser être, face à un groupe, se retrouvent dans la catégorie 2, (bleue). Cette dernière reprend les finalités sociales de l’Ecole qui doit en même temps favoriser le travail de groupe et assurer l’initiative personnelle.

La catégorie quatre renvoie aux spécificités des relations en danse, qui se construisent autour de l’être ensemble, le contact et l’écoute.

Les E- et E restent imprégnés d’une culture scolaire et universelle des rapports sociaux.

Les enseignants E+ font aussi une large part aux termes généraux concernant les rapports sociaux. Pourtant, ils évoquent aussi deux aspects liés aux pratiques culturelles : les connaissances des différents styles (catégorie 5), et la communication selon les milieux sociaux et les rôles particuliers que permet de tenir la pratique artistique (catégorie 4) : danseur avec des rapports négociés d’accord, et spectateur à l’écoute. Ce groupe d’enseignants situe bien la sociabilité particulière de la danse dans le cadre d’une pratique culturelle énoncée : pratique artistique.

L’intelligibilité repose essentiellement sur les buts de l’action dansée et sur ce qui lui donne son sens. Les trois groupes d’enseignants mettent en avant la création, comme organisatrice de la danse. Ceci implique une gestion particulière des apprentissages, les groupes E et E- en sont convaincus. Le groupe E+ considère plutôt les mises en oeuvre, en utilisant les pratiques culturelles comme référence et sources de connaissances, les autres groupes ne les évoquent jamais.

Les thèmes et la cohérence de la danse sont recherchés par les enseignants E- et E+. Le langage métaphorique est assez nombreux chez E+.

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Graphique 37 : Intelligibilité E-, E, E+.

Nous constatons globalement, que les enseignants experts ne font pas référence à des connaissances plus abondantes que les autres enseignants. L’imaginaire est plus sollicité (catégorie 4) au détriment de la pensée rationnelle. Pour les trois modèles, la nécessité de savoir gérer ses apprentissages est indispensable (catégorie 5). Ils se situent dans une démarche d’organisation de la création, et non pas simplement d’improvisation libre et de spontanéité.

‘Les modèles enseignants intègrent les modèles des instructions officielles selon leur niveau d’expertise. Les experts sont en adéquation avec leur temps. Les non experts sont plus conservateurs.’

Le modèle des enseignants experts est le plus proche du modèle APA de 1996, pour ce qui concerne la motricité (importance des combinatoires espace, temps, énergie), et la sociabilité qui s’exprime à travers des rôles particuliers en danse. Les enseignants accordent cependant plus d’importance à définir leur intention en faveur de la création artistique, qu’aux références culturelles explicites, comme le font les textes des programmes. La sensibilité est chez eux plus ouverte et plus complète. Les textes n’évoquent que l’aspect imaginaire, et plus vaguement encore une relation au monde sonore, ce qui amplifie la confusion. Les enseignants se référent davantage à la sensibilité des modèles antérieurs toujours très vivace en faveur d’une correspondance musique/mouvement.

Le modèle des enseignants non experts est un mélange. L’intelligibilité, accentuant les buts de l’activité et la gestion des apprentissages, ressemble à celle du modèle de 1985. Tout comme la motricité, très vague et perçue sous un angle très global. La sensibilité, qui met en avant les qualités perceptives sensorielles s’accorde mieux avec la dominante expressive du modèle de 1967. La sociabilité qui pose le problème de la féminité est encore imprégnée des modèles de 1959 et 1967.

Le modèle des enseignants n’enseignant pas la danse est une reprise assez fidèle du modèle de 1967, excepté pour les valeurs attribuées et les sens personnels donnés à la danse.

Nous percevons bien des appropriations personnelles des enseignants, des contraintes institutionnelles, et les différentes influences du monde culturel ainsi que la prise en compte des élèves comme agents culturels. La disparité des prises en compte de la sociabilité exprime la difficulté de l’institution et des enseignants, vis-à-vis d’un accueil culturel des adolescents au collège, dans leurs recherches d’identité. Les enseignants mettent l’accent sur ce facteur, alors que les textes l’ignorent.

‘Les démarches pédagogiques occupent une place d’autant plus importante dans les discours que le niveau d’expertise est moindre.’

Les démarches pédagogiques occupent 27,4 % du discours chez les E-, 27 % chez les E, 17% chez les E+.

Des différences assez nettes s’expriment, si nous considérons les registres variés des interventions.

Les E- mettent l’accent sur la relation maître/élève, particulière et très coûteuse en énergie et en émotion. En effet, il faut être attentif aux implications personnelles et affectives. Les regards qui se croisent, portés à la fois par le maître et par les élèves sur le maître, sont sources d’angoisse.

Les enseignants E situent leur difficulté dans le guidage des élèves pour faire face à l’imprévu des réponses, et le manque d’anticipation pose des problèmes de démarche. Ils tentent de transférer en danse, les acquis pédagogiques des autres APS, et se posent ainsi la question de l’évaluation, qui apparaît comme une réponse à leur souci d’aider les élèves à progresser.

Les enseignants E+ tentent de trouver des procédures adaptées à la démarche de création. Comment permettre la créativité et, dans le même temps, la maîtrise gestuelle de la communication ?

L’important pour les experts est de lire ce que font les élèves, et d’utiliser les expériences de travail des professionnels de la danse pour offrir des pistes de réalisation à ceux-ci.

Les enseignants E et E+ sont d’accord pour dire que la façon de mettre les élèves en activité, de les faire “entrer” en danse, est déterminante et nécessite beaucoup d’investissement de leur part.

Les enseignants sont tous marqués par les instructions officielles de 1985 concernant les pratiques pédagogiques : mise en place de projets, évaluations et intelligibilité des actions et différenciation. En danse, les différences féminin et masculin sont problématiques et reviennent dans les trois groupes de façon récurrente. Les textes, eux, ignorent cette question.

Le modèle des enseignants experts est-il le modèle le mieux approprié aux pratiques d’aujourd’hui ? Nous pourrions émettre cette hypothèse. Nous devrons cependant le confronter aux modèles des élèves pour en mesurer les écarts.

Le modèle E+ est d’abord un modèle de “pratiquant culturé” cohérent. Il articule l’ensemble des facteurs le composant, à partir de valeurs consciemment annoncées.

Il est fortement influencé par la danse contemporaine qui a donné un élan créatif au mouvement en offrant des combinatoires possibles espace, temps, énergie. Pourtant l’élaboration des conventions esthétiques reste absente ou encore assez académique ne s’inspirant que de manière confuse des créations contemporaines.

La danse contemporaine scolaire, celle des enseignants E+, n’est pas la danse contemporaine, mais une danse qui lui ressemble dans ses formes et ses modes de présentation. Le choix de la pratique artistique implique l’acte de communication, et donc incite à des relations sociales particulières entre des émetteurs et des récepteurs, qui doivent, en même temps, élargir leur champ perceptif .

Le “pratiquant culturé”, issu des modèles des experts des enseignants, est en rupture avec les modèles sociaux dominants auxquels sont davantage confrontés les élèves. Il est d’ailleurs qualifié par une enseignante de modèle élitiste. Ce qui tend à expliquer sa marginalité aussi bien auprès des enseignants que des élèves. L’art contemporain, tout comme la danse contemporaine, nécessite un regard averti et n’offre pas d’emblée une contemplation jouissive.

Les nouveaux programmes incitent à se rapprocher des pratiques sociales des jeunes mais les enseignants restent attachés à une danse expressive et créative, malgré les difficultés rencontrées. Cette danse leur ressemble culturellement. Alors que celles, issues des courants musicaux ‘techno’ ou ‘rap’, interrogent les valeurs anciennes du corps liées à un idéal, et les relations aux autres d’où les hiérarchies sont nivelées.

Où en sommes-nous ? Où allons-nous ?

Nous avons dans un premier temps mis au jour les modèles culturels véhiculés par les textes officiels qui organisent et définissent les objets culturels au collège. Ces derniers peuvent être considérés comme des formalités, des ornements spirituels ou comme un empilement de liasses sur les étagères du centre de documentation pédagogique. Nous ne l’avons pas entrevu comme celà et nous avons choisi de leur redonner vie en les insérant dans les contextes éducatifs et culturels et en les objectivant grâce à notre modèle, système dynamique et en relation constante. Nous avons découvert des modèles scolaires divers et relativement confus, qui ne reprenent que certains éléments culturels, des danses citées en référence. Nous avons parlé alors de modèles aseptisés par trop d’enjeux éducatifs concernant l’intégration sociale.

Nous avons ensuite regardé les enseignants et observé leurs histoires personnelles intégrées dans les histoires éducatives et artistiques. Nous avons remarqué les réalités multiples des modèles, pourtant tous constitués des mêmes ingrédients que chacun mélange à sa guise, sans pour cela dénaturer les valeurs éducatives. Nous avons entrevu les potentialités différentes des modèles. Ceux-ci peuvent agir malgré leurs défaillances. Ils ne fonctionnent pas si les valeurs et les éléments du modèle sont en contradiction. Ils sont efficaces s’ils sont discursifs et ouverts. Il n’existe pas de modèle type, définissant un objet culturel clairement identifiable à transmettre.

Nous voulons maintenant tenter de mettre à jour comment se passe “une” transmission culturelle, en ne prétendant pas que celle-ci soit le reflet de ce qui peut s’enseigner aujourd’hui au collège, ni des démarches utilisées. Nous posons simplement un regard attentif sur des propositions d’une enseignante et sur l’évolution de sa classe. Evolution considérée comme autant d’entrelacs créés entre une enseignante, son corps, son histoire et ses élèves en activité de danse.