PARTIE IV : LE CYCLE DANSE

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Nous voulons poursuivre les réflexions de trois auteurs, dont les lectures nous ont touchée, et qui interrogent dans leur champ respectif, les phénomènes des transmissions culturelles. Nous les citons en préambule de cette partie, pour insister sur les capacités des sujets à tisser des liens particuliers avec des objets culturels, à travers d’autres sujets qu’ils rencontrent.

‘“La situation d’apprentissage ne prend du sens pour celui qui apprend qu’à la condition de correspondre à un dessein qu’il ambitionne d’atteindre”160 .’ ‘“Chaque être est doté d’une série d’identités, ou pourvu de repères plus ou moins stables, qu’il active successivement ou simultanément selon les contextes... L’identité est une histoire personnelle, elle-même liée à des capacités variables d’intériorisation ou de refus des normes inculquées. Socialement, l’individu ne cesse d’affronter une pléiade d’interlocuteurs, dotés eux-mêmes chacun d’identités plurielles. Configurations à géométrie variable ou à éclipse, l’identité se définit toujours à partir de relations et d’interactions multiples”. 161 ’ ‘“Pas plus qu’hériter n’est recevoir (mais trier, réactiver, refondre), transmettre n’est transférer (une chose d’un point à un autre). C’est réinventer, donc altérer. Pourquoi ? Parce que l’information transmise n’est pas indépendante de son double médium, technique et organique, et plus encore du second que du premier.... La transmission d’un contenu de sens l’incorpore en fait à son véhicule, lequel le soumet à sa loi” 162 .’

Les trois auteurs partagent l’idée, que la communication d’objets culturels ne peut être envisagée comme une passation d’ustensiles qui garderaient leurs formes intactes en dépit des contacts qu’exercent les passeurs et les receveurs, et des canaux d’échanges qu’ils inventent pour cela.

En danse, le corps de l’enseignant est le double médium dont parle Régis DEBRAY. L’organique est le corps, la technique est le mouvement anticipé et contrôlé. L’un et l’autre, incorporé dans le donné à voir du corps du maître, qui devient la référence vivante de l’objet culturel.

Serge GRUNZISKI explique la perception d’un monde métissé à travers les mélanges qui se sont toujours opérés entre des éléments culturels d’origines différentes. Cette conception s’oppose à celle d’un monde homogène et cohérent, dont il serait facile d’isoler les caractéristiques et les catégories. La danse contemporaine est l’illustration d’une expression métissée faite d’emprunts divers, qui repose essentiellement sur les capacités des danseurs à intégrer dans leur corps déjà chargé d’histoires, des significations nouvelles et multiples, et à les partager et les échanger.

Michel DEVELAY parle d’un point de vue de didacticien. Il met en relief l’importance de l’attitude du sujet, dès lors qu’il s’investit dans un projet en le faisant sien et en lui donnant un sens reconnu. La situation d’apprentissage n’est donc pas un objet en soi, hors de l’apprenant. Mais elle représente déjà une imbrication possible entre l’état du sujet et son devenir. En danse, la situation d’apprentissage est opérante lorsque l’enseignant propose une référence imagée, claire et culturellement acceptable par le corps de l’élève danseur. Image qui crée le désir de s’engager dans une double transformation, celle de son corps et celle de l’image proposée.

Nous devons observer les situations d’enseignement mises en place par l’enseignant et vécues par les élèves. Nous utilisons pour cela notre modèle de lecture, afin de faire émerger les modèles culturels proposés d’une part, les modèles véhiculés par les élèves d’autre part. Enfin nous analysons comment se passent les mélanges, les transformations de chacun d’entre eux.

L’activité danse est connue de tous les élèves avec des résonances très différentes selon les cultures familiales. Ce qui confère un caractère assez privé, voir intime, à cette pratique. Par ailleurs, une danse standardisée, commerciale, envahit les écrans, et participe aujourd’hui du patrimoine collectif. Les musiques actuelles s’accompagnent toujours (presque?) d’illustrations rythmiques dansées. Les jeunes adolescents font correspondre les types de danses à leurs goûts musicaux. Ils connaissent la rupture culturelle qu’opère l’école dans les choix de ses activités éducatives. Ils savent que cette “dance”, qu’ils affectionnent, ne convient pas dans le domaine scolaire, et que danser à l’école n’accompagne pas leur style, leur modèle de référence d’être et de bouger. Aussi pour la grande majorité d’entre eux : “danser, ça craint !”

Dans notre recherche nous avons utilisé le travail d’une enseignante, qui appartient à notre catégorie des experts (E+), et nous l’avons observé en rapport avec une classe de 6ème.

L’enseignante “C” se situe dans le cadre d’une démarche qui tente de mettre l’élève en activité réelle, dans des situations finalisées, et dont les objectifs visent fondamentalement à une mobilisation complète des élèves apprenants, à une incitation à l’expression et à l’échange.

Nous la suivons donc dans son besoin de connaissance des élèves lorsqu’elle cherche à entrevoir leurs représentations de la danse. Le questionnaire qu’elle fait remplir de façon anonyme nous renseigne sur le sens donné à cette activité, sur la connaissance et les pratiques diversifiées des élèves.

Nous analysons le modèle culturel de l’enseignante à travers un entretien semi-directif, et nous le comparons avec le modèle qu’elle propose à travers la situation de référence qu’elle met en place dés la deuxième séance.

Nous observons le traitement didactique qui évolue dans le cycle, témoin des négociations entre les attendus de l’enseignante et les réponses des élèves.

Enfin nous explorons les modèles culturels mis au jour en rapport avec le contrat didactique pour envisager les équilibres, les dynamiques, les choix opérés à l’intérieur de chaque élément du modèle pour comprendre les transformations et les métissages obtenus.

‘“La vie au sein d’une culture consiste en une interaction entre plusieurs interprétations du monde : celles que chacun déduit de sa propre expérience, et celles qui lui sont transmises par l’emprise institutionnelle. Aucun livre de recettes, aucun recueil de formules toutes faites ne peut en rendre compte : toute culture contient à la fois les intérêts institutionnels et individuels.” Jérôme BRUNER. (1996).’
Notes
160.

DEVELAY (M). op cit. 1998. 91p.

161.

GRUZINSKI. (S). “La pensée métisse”. FAYARD. Paris.1999. 47 p.

162.

DEBRAY. (R). “Transmettre”. Odile Jacob. Paris.1997. 49 p.