L’enseignante

‘Une « pratiquante culturée », modelée par une histoire et un parcours personnel, qui favorise des choix pédagogiques singuliers.’

Nous avons déjà précédemment analysé les enseignants en faisant l’hypothèse que ces derniers n’enseignent bien que ce qu’ils portent en eux, c’est à dire une certaine cohérence, une articulation dynamique des éléments du modèle culturel qu’ils représentent.

Le parcours de l’enseignante montre une évolution dans sa pratique. Tout d’abord, elle vit la danse à travers la reproduction d’un modèle. Elle apprend à refaire des enchaînements proposés par des danseurs professionnels. Elle découvre des techniques variées : le classique, le jazz, le moderne, la rythmique, les danses africaines et espagnoles. Elle éprouve un grand plaisir à danser, et consacre beaucoup de temps à cette activité, en même temps qu’elle se forme à l’enseignement de l’éducation physique.

Puis elle rencontre la danse contemporaine auprès de danseurs travaillant avec “les DUPUY”. Elle pénètre dans le monde de la création, elle s’expose dans des ateliers où il faut affronter le regard des autres : “le grand chamboulement” dit-elle, une nouvelle façon de voir et de sentir les choses.

Sa motricité évolue ainsi d’une reproduction de techniques, d’enchaînements, à la découverte de la voix, du souffle, qui incite à un rapport au corps nouveau, et enrichit ses relations avec l’environnement, et notamment avec les objets, partenaires de la création dansée.

Sa sensibilité, vécue d’abord de façon prioritaire dans la correspondance musique/mouvement, se transforme en recherche de sensations kinesthésiques (massages).

Sa sociabilité centrée sur un rapport à l’enseignant comme modèle, se modifie et s’ouvre à l’écoute des autres, la manipulation des corps des partenaires et l’affrontement du public, par le jeu du regard.

Son intelligibilité, structurée au départ dans l’accession à la reproduction de formes gestuelles justes, progresse vers des intentions de création et d’invention, où l’élaboration de projet artistique devient l’objectif de son travail.

La démarche pédagogique évolue aussi d’un guidage technique à une aide à l’émergence de processus de création.

Ses références culturelles sont nombreuses. Elle se rend souvent au spectacle. BÉJART reste le chorégraphe majeur. Viennent ensuite GALLOTTA et RICCI. Tout trois attachent une assez grande importance à la mise en scène, aux mouvements, au groupe, à une certaine dynamique corporelle qui incite toujours à l’écoute musicale.

Au moment de la recherche, l’enseignante “C” est un modèle de “pratiquant culturé” particulier. (voir annexe 2 Partie IV) que nous pouvons ainsi rendre explicite.

La danse est un art qui produit des oeuvres à échanger. Danser au collège, c’est pouvoir réaliser un spectacle et avoir des relations aux autres différentes. Voir, regarder, connaître font partie de l’activité. Danser signifie également bouger le corps, utiliser des éléments gestuels qui seront négociés à plusieurs dans le cadre de stratégies de création. Être authentique, sentir les choses, s’appuyer sur la musique et les thèmes choisis facilitent la recherche et la production d’une danse qui sera vue. La création collective nécessite de la part de l’enseignante une démarche de création qui s’appuie sur l’activité des élèves. Des modes d’entrée différents dans la danse sont proposés pour favoriser l’implication de chacun. Les situations d’apprentissage sont présentées comme autant de points d’appui pour la création. Sa référence implicite est la danse contemporaine.

Nous pouvons décrire ainsi son modèle :

  • Les valeurs qui l’organisent sont artistiques : la danse est l’aboutissement d’une activité créatrice qui s’exprime dans la réalisation d’un spectacle.

  • La sensibilité des élèves est sollicitée ainsi que l’intelligibilité. Ce sont les deux pôles dominants du modèle qui s’articulent de façon discursive avec les valeurs artistiques énoncées.

  • La motricité n’est évoquée qu’en des termes assez généraux, et l’enseignante semble vouloir l’envisager de façon non techniciste et globale. Sa pratique personnelle lui permet sans doute d’avoir des réponses concernant les éléments gestuels, qui ne sont pas précisés.

  • La sociabilité est le pôle le plus faible, le vocabulaire employé ne permet pas de discerner la spécificité des rapports aux autres en danse, si ce n’est l’authenticité.

L’enseignement de la danse pose un vrai problème de démarche pédagogique, qui est celui qui préoccupe le plus l’experte en danse . Il n’est jamais question d’expression dans ce modèle, mais plutôt de pratique artistique recherchée. Ce modèle reflète largement les nouvelles orientations des programmes de 1996, tout en mettant l’accent sur le ressenti et l’authenticité qui dominaient dans le modèle de 1967, et qui perpétue une approche non technique de la gestuelle.

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Graphique 42 : « C » E+. Valeurs : réaliser un spectacle

Ce graphique illustre l’équilibre relativement harmonieux et discursif du modèle. La présence de nombreuses catégories (ici série) dans chaque élément est à souligner comme un facteur positif dans la perspective d’échanges culturels.

Nous mesurons un premier décalage avec les élèves qui ont exprimé leur plaisir de la pratique de la danse avec l’enseignante. En effet, les notions d’esthétique et d’expression ne font pas partie directement du discours. Seules les références culturelles citées montrent le goût de l’enseignante pour les formes pures et rythmiques, ainsi que ses attentes concernant une communication expressive à partir de thèmes et ou de mythes.

‘L’enseignante élabore son cycle dd’enseignement à partir d’une situation pédagogique de référence qui reflète ses choix pédagogiques.’

Les choix pédagogiques de l’enseignante s’expriment d’abord dans une situation particulière qu’elle appelle situation de référence, à la fois pour elle et pour les élèves (voir annexe 3). Cette situation est le pivot de son enseignement car elle révèle les apprentissages à réaliser, et attendus. Sa fonction est double et elle vient ponctuer tout au long du cycle d’enseignement, le rythme du travail engagé.

Cette situation définit donc le contexte culturel scolaire, dans lequel les élèves et l’enseignante engagent leur activité dansante.

Dans sa démarche, l’enseignante prend appui sur des travaux de didactique de l’EPS, qui tentent de confronter les élèves aux problèmes fondamentaux de l’activité culturelle. La situation de référence est une situation aménagée, mais qui garde toute son authenticité en rapport avec ce qui caractérise ici la danse artistique, une création de danse dont le but est d’être présentée, pour être appréciée.

Cette situation détermine donc des valeurs, des moyens à mettre en oeuvre pour réussir et paraît contraignante en regard de son dispositif.

Cette situation se décline comme une tâche à réaliser, avec des objectifs à atteindre. Un but de tâche clair concrétise les intentions d’action. Un dispositif précis organise les actions et les relations entre les élèves. Les critères de réussite permettent à ceux-ci ainsi qu’à l’enseignante d’évaluer les problèmes rencontrés, et les acquisitions.

Comment cette situation peut-elle inciter les élèves, à la fois à s’approprier les objets culturels proposés par l’enseignante qui favorise une certaine intégration, et leur offrir la possibilité d’être différent, de reconstruire ces mêmes objets à travers leurs modèles singuliers ?

Quelle motricité, sensibilité, sociabilité, intelligibilité particulières sont à l’oeuvre dans cette situation ?

Si nous analysons les mots employés pour définir la situation de référence, nous observons que la motricité est floue et peu précisée (mouvement, déplacement, catégorie un et deux).

La sensibilité sollicitée s’appuie sur l’écoute musicale, qui induit une vivacité du mouvement , incite aux déplacements et à l’émergence d’images mentales en référence avec le cirque. Image et dynamique du mouvement sont articulées pour investir un espace de représentation, dans le but de donner à voir, plus encore de toucher l’oeil du spectateur.

La sociabilité proposée situe les communications dans une certaine réglementation. Lors de la présentation des danses, les danseurs, et les spectateurs ont des rôles bien différenciés. La mixité est recherchée par l’enseignante mais non imposée. L’intelligibilité articule les autres pôles et finalise l’activité de chacun. La pensée rationnelle est sollicitée. L’enseignante demande aux élèves une construction de danse, dans un espace, en relation avec un titre, une musique, des partenaires. Cependant la pensée imagée doit être mise en oeuvre pour construire un univers symbolique spécifié : le cirque.

Le graphique image le modèle culturel qui s’exprime à travers la situation de référence proposée par l’enseignante :

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Graphique 43 : SR1

Nous observons un modèle relativement équilibré avec une importance accordée à la sociabilité et à l’intelligibilité de la danse.

Les catégories sont assez diversifiées, les éléments les plus riches sont la sociabilité et l’intelligibilité.

‘La comparaison entre le modèle de  « pratiquant culturé » de l’enseignante et celui qui sous-tend celui de la situation référrence, rend compte d’une première accomodation culturelle.’

Cette comparaison devrait faire apparaître les modifications opérées par l’enseignante pour mettre en activité les élèves.

Dans son modèle élaboré à la suite de l’entretien, l’enseignante accorde peu de place à la sociabilité. Elle ne parle pas de la spécificité des relations en danse. Pourtant, lorsqu’elle met en place l’activité dans sa classe, sa situation de référence est une danse collective, qui implique donc un type de partenariat. De plus, la finalisation de cette danse passe par sa communication à un groupe de spectateurs. L’enseignante doit donc installer de façon très précise les espaces de relations, et doit gérer les communications. Elle incite fortement à la pensée rationnelle et imagée qui s’expriment dans une description et une formulation d’un titre. La relation danseur spectateur est donc formalisée et canalisée. D’où l’importance de l’organisation sociale de la danse.

Les contraintes concernant la motricité sont floues, et doivent inciter les élèves à la création de mouvements non imposés.

Nous remarquons que la situation dite de référence, organise et contraint l’élève :

  • dans une danse finalisée ; mais avec une liberté possible d’approche rationnelle et imagée

  • dans une organisation des relations

  • dans un registre de sensibilité qui privilégie l’écoute musicale, la vision et l’imaginaire.

Elle laisse complètement libres les élèves en ce qui concerne la production de mouvements.

Cette situation s’appuie sur le registre sensible des élèves, mais ne donne aucune indication concernant la motricité, élément fort dans les représentations des élèves.

‘L’enseignante s’appuie sur les attendus institutionnels concernant la dans en 6ème, pour créer ses propres objectifs.’

L’enseignante reprend les objectifs décrits dans les textes officiels. Il s’agit de permettre aux élèves d’élaborer un projet expressif. Cependant finaliser la danse dans l’intention de toucher le spectateur, est une personnalisation des attendus institutionnels. Ces derniers évoquent plus l’idée d’une rencontre possible. Les exigences sont donc plus grandes et s’inscrivent pour l’enseignante dans une démarche d’éducation artistique. Elle fait référence implicitement à la danse contemporaine.

Souvenons-nous du modèle institutionnel proposé dans les documents d’accompagnement :

la motricité est l’élément dominant, et articule une intelligibilité ouverte à l’ensemble des catégories. Les autres pôles du modèle sont faibles et moins riches. Le modèle institutionnel est donc assez dissemblable de celui de la “SR1”, tout comme celui de l’enseignante qui privilégie la sensibilité à la sociabilité.

La situation de référence de l’enseignante tend à équilibrer le modèle en prenant en compte l’ensemble des éléments.

Les exigences de début de cycle incitent les élèves à découvrir une danse qui sollicite plutôt la sociabilité, la sensibilité et l’intelligibilité, dans un système de contraintes organisées. Quant aux textes officiels, ils rendent compte eux, des attendus à la fin du cycle.

L’enseignante choisit donc une démarche qui instaure l’activité de représentation par le corps, activité créatrice dans le but de communiquer.

Cette situation se positionne en continuité avec les textes officiels si nous considérons les valeurs, mais en rupture culturelle avec les élèves qui pensent que la danse consiste uniquement à bouger sur la musique. Ces mêmes élèves sont d’ailleurs peu désireux d’entrer dans le cycle danse. Pour le reste de la classe, cette situation leur permet de s’investir dans les différents registres mentionnés, que ce soit sur le plan de la sociabilité, de la sensibilité et de l’intelligibilité.

‘“La nécessité de l’éducation est alors celle de la nécessité d’introduire les enfants nouveaux venus à un monde qui leur pré-existe, à une culture qui les précède et qui les institue comme sujets humains,à même non seulement de prendre place dans ce monde et cette culture, mais d’y apporter ou d’y entreprendre du nouveau ...” Jean-Yves ROCHEX. (1998) ’