Le choix d’un thème d’étude

‘Le thème d’étude traduit la transposition didactique élaborée par l’enseignante.’

Comment les objets culturels deviennent-ils des objets d’enseignement, en conservant leurs valeurs et leurs signes culturels ?

L’enseignante décide du thème d’étude à partir des observations de la situation de référence, et à l’issue des deux premières séances. Elle propose aux élèves d’enrichir leur danse par une mobilisation originale du corps, par une structuration des espaces de relation. Enfin elle incite à un mode de composition qui joue sur les contrastes dans les relations : faire pareil, faire le contraire. Elle invite ainsi les élèves à apprécier visuellement leurs mouvements en rapport avec les partenaires et donc à améliorer la lisibilité de leur danse (voir annexe 6 Partie IV).

De façon explicite, voire contraignante, elle propose une articulation singulière des quatre éléments du modèle autour d’un objectif éducatif : enrichir sa danse. L’élément sensibilité reste plus confus. Les élèves peuvent (doivent) prendre des repères visuels, auditifs, kinesthésiques pour mener à bien leur projet de danse avec des partenaires. Aucune consigne ne porte cependant sur l’activité sensorielle dans les objectifs à atteindre.

Quelles sont les références culturelles sous-jacentes ? Comment le choix du thème d’étude rend compte d’un modèle culturel contextualisé ?

Nous relevons deux aspects retenus par l’enseignante et qui fonde sa pratique éducative.

‘L’enseignante sélectionne les objets culturels et les transforme en objets d’enseignement. Les concepts d’originalité et de déformation sont une illustration du traitement didactique.’

L’originalité et la déformation, objets d’enseignement, sont le reflet d’un métissage particulier entre les finalités éducatives et les enjeux de l’art contemporain.

La proposition qui consiste à mettre en activité de recherche, indique aux élèves et à l’enseignante que la création d’une danse s’appuie sur les ressources personnelles de chaque élève, mais aussi des élèves dans une interaction productive d’échanges, et enfin, de l’enseignante elle-même, recours toujours possible.

Cette confiance réciproque dans les ressources personnelles de chacun, s’appuie sur la reconnaissance implicite de la construction plus ou moins riche d’éléments culturels que chaque individu porte déjà en lui, et qui lui permet d’échanger, de comprendre autrui à travers un langage gestuel (ici, l’expression dansé).

Pourquoi rechercher l’originalité ? Il semble évident que l’enseignante intègre dans cette notion deux idées. La première, attachée à l’acte éducatif, s’inscrit dans une pédagogie de la découverte, avec l’intention d’inciter les adolescents à aller au-delà de leur connaissance immédiate et d’une approche superficielle de la réalité, ici le corps en mouvement. La seconde s’insère dans une appréhension de l’art comme une pratique s’exerçant en rupture, en audace, par rapport à la vie sociale. Le concept d’originalité est attaché à la production artistique de la modernité et de la post-modernité, qui objective un certain refus de la tradition mis à l’épreuve, d’ailleurs en cette fin du siècle par des débats virulents. En effet, doit-on être original pour être artiste ?

Cependant, par la proposition d’un objet d’étude incitant à l’originalité, l’enseignante exprime sa double référence éducative et esthétique qui trouve une cohérence dans une éthique professionnelle implicite. Elle se présente comme une enseignante prête à la découverte des inventions de ses élèves. Elle favorise, en même temps, une approche des arts qui se joue du quotidien, en déstabilisant les perceptions routinières. Faire vivre aux élèves l’expérience de l’originalité, est peut-être un pari futur, sur une lecture facilitée de ce qui n’est pas connu.

La notion de déformation dans la création artistique, est décrite par John MARTIN166 comme un des quatre éléments fondamentaux en rapport avec le concept de forme.

Ici encore, l’enseignante, propose des indicateurs possibles pour lire comme pour créer, attachés aux créations contemporaines. Elle se situe en rupture avec l’esthétique classique, la lecture de signes ordonnés selon des schémas, et des codes imposés par l’académisme. Cette déformation du corps a d’autres incidences sur le mouvement. Elle permet de faire accéder les élèves à une motricité morphocinétique, indispensable à la création corporelle artistique.

‘“Une motricité dont la finalité réside dans la production de formes appréciées en elles-mêmes et pour elles-mêmes, qui préside aux relations de l’individu avec son milieu social à des fins artistiques.” 167

Les élèves jusqu’à présent ont le plus souvent utilisé leur motricité avec une intention extérieure au mouvement. Par exemple, aller d’un point à l’autre en modifiant les actions, monter sur les épaules du partenaire pour faire une pyramide, témoignent déjà du passage d’une motricité fonctionnelle à une motricité qui cherche à produire des signes. Mais il se fait en deux temps, car les élèves n’incluent pas, dans le mouvement dansé, leur mise en oeuvre de l’échafaudage. Ce n’est que lorsqu’ils stabilisent leur pose qu’ils ont conscience de la forme qu’ils produisent.

Le danseur construit et déconstruit en permanence le mouvement dans la conscience des traces qu’il donne à voir, et fait accéder le spectateur à la perception du “continuum”, de la fluidité du mouvement, qui caractérise le mouvement dansé. Ce continuum proposé par KIRBY, mesure “à la fois l’écoulement régulier de l’énergie et la vigilance musculaire”168. Pour cet auteur celui-ci caractérise “la qualité dansante”.

‘L’enseignante choisit de favoriser la construction des espaces de relation structurés, et des relations construites sur les contrastes.’

Là encore l’enseignante rend cohérent deux objectifs : éducatif, se référant aux valeurs sociales recherchées par l’école, et artistique, impliquant les élèves dans une sociabilité particulière qui produit non pas des affects, mais des images visuelles pouvant renvoyer ou non, pour le spectateur, à des affects entre les personnes.

L’écoute des autres, la tolérance, le partage comme la solidarité, sont des notions fondamentales dans l’apprentissage de la socialisation à l’école, et sont les signes d’une culture scolaire. Ces compétences recherchées sont au coeur de ce thème d’étude. Et pourtant, le projet culturel est autre : il s’agit de créer une danse à plusieurs ; et il convient que la production aboutisse à un donné à voir qui est échangé. C’est à travers des compétences plus spécifiques, nous disons à travers des signes culturels attachés à l’activité, qu’une sociabilité est mise à l’épreuve.

La danse est un art visuel. Les relations entre danseurs doivent passer d’un lien subjectif entre personnes donc affectif, à un lien lisible qui passe nécessairement par un certain dessin dans l’espace. Les contraintes de l’objet d’étude impliquent les élèves dans une élaboration de relations entre danseurs, corps dansants qui laissent des traces dans l’espace, d’autant plus intenses que les mouvements produits à plusieurs sont anticipés, mis en harmonie, et traduisent un accord sur l’ensemble des composantes du mouvements (temps, espace, énergie, formes corporelles).

La proposition de deux actions contraires - faire pareil et le contraire - sollicite l’imaginaire, indique des champs de force possibles dans un espace qui n’est plus neutre, mais construit, “habité” disent les danseurs par le mouvement des deux corps. De plus, le “faire pareil” entraîne la recherche d’unisson dans le temps. Ainsi se concrétise ce qui caractérise le mouvement dansé, rendre visible l’espace et le temps.

Notes
166.

MARTIN (J). op cit. 56 p.

167.

SERRE. (JC). 1984. op cit.139 p.

168.

KIRBY. (M). “Danse et non danse, trois continuums analytiques”. in, Le corps en jeu. CNRS. Paris.1993. 213 p.