Pour conclure ...

La question que nous nous posons est de savoir si l’acte d’enseignement a révélé une transmission culturelle. Quelles sont les conditions des échanges culturels opérés ?

‘L’enseignante est le modèle culturel de référence en acte.’

L’acte d’enseignement est avant tout une communication, par laquelle l’enseignant cherche à “faire passer le courant”. Les questions d’identité et d’identification sont posées. Comment communiquer si les identités des personnes ne sont pas clairement définies ? Nous observons alors que l’engagement de l’enseignante ne montre aucune confusion, aussi bien sur le sens de ses intentions que sur ce qu’elle met en jeu. Dés les premières secondes de son premier cours, elle révèle son identité en partageant ses goûts pour la danse contemporaine, danse expressive. Elle fait preuve de curiosité concernant les styles de danses qu’apprécient ses élèves. Elle recueille les représentations, donne à chacun une réponse, une place, en validant l’existence de toutes les danses.

Elle se met en mouvement elle-même et objective un jeu de mouvements, en partageant des formes corporelles, une énergie positive, en rassurant l’ensemble de la classe. Elle tente d’établir un terrain d’entente réciproque. Elle propose une mise en mouvements dans laquelle elle participe activement, échangeant ce qu’il est convenu d’appeler des états de corps. Cela deviendra un rituel tout au long du cycle. La mise en activité de tout le groupe se fait en imitant l’enseignante, qui partage avec le groupe-classe sa dynamique, son tonus. Ce rituel favorise la rencontre inter-culturelle. Il permet l’expérience collective en toute sécurité.

L’empathie corporelle dont fait preuve l’enseignante favorise l’échange multiculturel et la reconnaissance de chacun. Susan LEIGH FOSTER explique, qu’apprendre à danser permet d’appréhender “‘la façon dont les autres corps sont simultanément identiques et différents de son propre corps ... La danse n’enseigne pas simplement le glissement ou l’ineffable, mais les ressemblances et les différences de manière simultanée’” 175.

L’image que donne l’enseignante d’elle-même en train de danser doit provoquer un désir d’identification, et de différence, mêlé à un sentiment de sécurité. L’enseignante a réussi à mettre en activité tous les élèves. Elle les a “faites entrer en danse”. C’est une première rencontre réussie.

Pour ce faire, elle a dû apporter des modifications à son modèle culturel de référence. Sa démonstration s’inspire essentiellement de la deuxième et troisième catégorie de la motricité. Elle utilise la perception visuelle. En proposant l’imitation aux élèves, elle instaure des relations directes avec eux. Elle fait peu appel à l’intelligibilité des actions dansées. Ce modèle de danse s’inspire de celui des danses de rencontre qui favorisent l’émergence de l’identité de groupe. Ce jeu dansé crée le climat de confiance, et la sécurité nécessaire à l’engagement de chacun. Car il s’appuie sur une relation reconnue par tous, dont les résonances culturelles existent pour tous, dans les fêtes familiales ou de groupes, dans la société. L’enseignante fait donc les premiers pas vers les modèles dominants de ses élèves. Mais en même temps, elle donne une certaine qualité à une façon de bouger. Nous l’avons en effet déjà souligné, elle ne crée pas simplement des figures et des formes, elle transmet, par le mouvement et directement, un certain état de corps qui donne aussi la valeur au mouvement.

‘L’enseignante favorise les échanges des modèles dans la classe.’

L’évolution des situations et des séances montre que l’enseignante privilégie ensuite l’échange des élèves entre eux, à partir de consignes clairement établies. L’échange réciproque des expériences et des savoirs, pour créer une danse, implique des négociations entre les élèves. Les propositions de l’enseignante sont organisées avec une logique allant de la recherche personnelle de solutions, à l’échange et à la négociation. Les productions dansées sont toujours validées par un ou des partenaires.

La danse, proposée et lue par les élèves, est le produit des négociations opérées. Si nous prenons l’exemple du groupe des garçons, leur danse est perçue comme un système qui articule les quatre éléments. Si nous observons les quatre modèles singuliers que sont les quatre garçons (voir annexes), ils ont chacun leurs dominantes : motricité et sociabilité pour trois d’entre eux, sensibilité et intelligibilité pour Thomas. Nous pouvons imaginer les rôles de chacun dans la création et la nécessaire négociation.

Le groupe des filles est aussi composé de modèles différents. La motricité est assez semblable, avec une grande richesse de catégories. Cependant, Amandine a deux autres pôles dominants : la011 sensibilité et l’intelligibilité, alors que Aurélie organise davantage son modèle autour de la sociabilité.

Nous devons remarquer que les groupes de création se sont formés par affinités. Aussi pouvons-nous supposer que le décalage de modèles culturels existe peu, voire pas du tout.

La mise en place d’un projet expressif, pour chaque groupe, incite à la négociation sur de nombreux points : les mouvements, leur mise en scène et leur composition, le propos de la danse et le partage des rôles. Les élèves sont donc confrontés à une situation complexe en référence à des pratiques artistiques et culturelles connues de tous, même si elles échappent aux habitudes sociales. Cependant, les moyens mis en oeuvre sont du ressort des élèves, qui utilisent leur savoir déjà acquis, qui se confrontent à des problèmes nouveaux, soulevés par les contraintes des situations pédagogiques.

La mise en place par l’enseignante des interactions et des échanges culturels, répond à une nécessité de la transmission culturelle (“‘Cesser de vouloir tout contrôler, lâcher prise, faire confiance pour autoriser’”176), tout comme celle de proposer des consignes claires.

Ces contraintes forment les éléments significatifs d’une culture scolaire. En danse, celle-ci oblige les élèves à se mouvoir et à regarder le corps dansant comme un objet plastique, dont l’intention est de communiquer, de captiver l’oeil du spectateur en lui laissant des traces en mémoire. Danser, est aussi avoir des relations privilégiées avec des partenaires. C’est donc aussi construire des significations d’ordre social. Pour créer une danse, les danseurs doivent trouver des cohérences et des harmonies à partir des modèles culturels qu’ils représentent. Le corps dansant est à la fois expression d’une culture et la culture elle-même, qui se recrée à chaque mouvement. Le danseur scolaire, en expérimentant le mouvement dansé, met en oeuvre son rapport culturel, invente et dynamise ses cohérences et ses défaillances.

‘“La transmission du mouvement de la danse est une expérience indéfinissable, hasardeuse, irréaliste, utopiste, une expérience pour laquelle paradoxalement, il ne faut rien laisser à l’indéfini, au hasard, pour laquelle il faut se coltiner à une réalité” 177 ’ ‘“Ce raccourci saisissant qu’est le corps dansant, lieu de la génèse et de l’aboutissemnt de l’oeuvre fut le sujet le plus dur mais aussi le plus fascinant à dessiner. En évitant le piège des formes récurrentes et l’habitude des modelés séduisants, je cherchais à respecter avec beaucoup d’attention les états d’interprétation plutôt que la forme exacte d’un geste ou d’un enchaînement ...
Si la vision est finalement le premier mensonge sur le monde, que ces pages déssinées puissent en être la douce conjuration”. BOSSATTI. PATRICK.’

Notes
175.

SUZAN LEIGH FOSTER traduit par AXEL NESME. op cit. 110, 111 p

176.

GERARDIN (M). “L’exactitude et l’indéterminé”. in, Expérience, transmission. op cit. 34 p.

177.

DUPUY. (D)“Ce que le maître me dit ou passer le mur du temps” in, Expérience et Transmission”.op cit. 26 p.