Epilogue, ou mise en perspective utopique.

‘ “L’utopique n’est pas au-delà du réel,, mais le tisse par l’activité permanente de notre perception. Or l’Art n’est rien d’autre que l’exploitation maximale et radicale de cette activité perceptive ... L’artiste est donc foncièrement et nécessairement le vecteur utopique par excellence : celui qui, par son sentir et son mouvement, déconstruit la réalité apparente de notre vie quotidienne pour mieux dévoiler le mystère ... En ce sens, il est détenteur d’un pouvoir subversif qui ne peut qu’entrer en conflit ou en concurrence avec le pouvoir institutionnel de “l’establishment” 179 .’

L’activité de recherche ressemble à un parcours initiatique.

Il débute avec des sensations, des perceptions plus ou moins contraintes d’un environnement, qui prend soudain un sens nouveau. Le troisième oeil, dont parle MERLEAU-PONTY180, agit et tente de combler les manques.

Puis, c’est la périlleuse quête de la clé pour ouvrir la cage181. La découverte du modèle du “pratiquant culturé” accompagne et réduit les angoisses, il réorganise le réel et permet de franchir l’épaisse forêt. Le désir d’indépendance et le dévoilement des limites dans l’évolution personnelle cheminent simultanément.

La clairière dénichée ne modifie en rien le paysage, elle est une lumière qui illumine le trajet, et qui donne le goût de la patience et de l’effort pour poursuivre. Elle est un espace de rencontres où d’autres clés s’échangent, d’autres chemins se croisent. Elle est le miroir réfléchissant des doutes, et la certitude que c’est seulement en marchant que l’on trace sa voie.

Sommes nous réellement arrivés à une clairière ?

Nous ouvrons cinq chemins, cinq voies de réflexion qui, à nouveau, nous tracent des perspectives nouvelles.

Les programmes et leurs modèles de référence : le modèle de “pratiquant culturé”.

‘Les programmes sont une recomposition des modèles culturels de référence.’

Notre analyse nous a montré des compositions originales de modèles scolaires issus des modèles culturels. A chaque période, le modèle proposé met en avant des valeurs qui se modifient. Certains éléments du modèle prennent de l’importance au détriment d’autres. Des cohérences et des articulations entre ces éléments témoignent de singularités qui s’ancrent dans le contexte de l’époque.

Si nous prenons l’exemple des derniers programmes concernant les classes de sixième, nous observons que le modèle “APA” incite à la création artistique, alors que le modèle des danses traditionnelles se fonde sur le partage du patrimoine et le plaisir de danser avec les autres.

Les textes sont donc bien un assemblage sans cohérence de ce qui fait sens aujourd’hui dans les pratiques de danse, de ce que nous appelons les ingrédients culturels significatifs.

‘Cette recomposition va dans le sens d’une place importante donnée à la raison sur le sensible.’

L’originalité du modèle scolaire est caractérisé depuis les programmes de 1985 par une dynamique qui repose essentiellement sur l’intelligibilité. Celle-ci met en avant les intentions, les connaissances et les processus pour valider la communication en danse, et ne donne que peu d’indications concernant la sensibilité. La culture scolaire se construit sur les éléments culturels forts de notre société, qui accordent une valeur plus grande à la pensée rationnelle abstraite qu’à la pensée intuitive proche du sensible et du corps, et plus encore à la rationalisation qu’à la rationalité.182 Cet excès se retrouve dans l’organisation des objets d’enseignement à transmettre autant qu’à leurs conditions de mise en oeuvre. La rédaction des derniers programmes est exemplaire de ce point de vue. Le comportement décrit par les élèves, “ce qui se fait”, et les compétences à développer, “ce qu’il y a à faire”, sont le découpage logique et rationnel d’une prestation attendue sous l’angle d’une visibilité motrice et d’une intention facilement verbalisée.

‘Le « pratiquant culturé » est un modèle qui articule raison et sensibilité.’

La danse, comme toute pratique de l’art, cherche à toucher directement par les sens. Elle est d’abord un corps dansant, dont les qualités sensuelles sont exacerbées et appellent au mimétisme kinesthésique de la part du spectateur. Elle provoque aussi “‘un corps de désir -désiré, désirant et désirable - les ombres, traces et reflets - symbolisés par les jeux de projecteurs - qui accompagnent toute image du corps ...’” 183.

Ce paradoxe inhérent à la communication artistique, qui propose l’échange entre raison et émotion, nous l’avons fait vivre dans notre modèle, et par là même, nous avons refusé de les opposer. Nous avons découvert au fur et à mesure de l’évolution dans le temps, l’interdit scolaire qui découle des objectifs éducatifs. Ceux-ci réglementent les attitudes et les postures dans le cadre des conventions sociales. Le modèle scolaire est aseptisé tout à fait logiquement. Il réduit le modèle culturel artistique, en imposant l’attitude réflexive comme seul élément de validation des apprentissages.

‘Le « pratiquant culturé » révèle aussi une sociabilité qui va au-delà du spectaculaire.’

Les modèles scolaires développent une sociabilité établie à partir de l’affirmation de soi et de la tolérance des autres. Ces deux aspects de la sociabilité, au coeur de notre vie sociale et culturelle s’inscrivent dans le courant du libéralisme et de la démocratie. Cette socialisation est très vivace à l’Ecole et favorise la mise en place des évaluations. Les modèles artistiques nous montrent une rupture avec ces conceptions des relations sociales. La caractéristique du mouvement dansé est d’expérimenter simultanément l’identique et le différent, sans jamais que l’un se fasse à l’exclusion de l’autre. Les modèles scolaires valorisent deux aspects de la socialisation qui illustrent une dichotomie dans les rapports aux autres. La danse, à travers son expérimentation tend à l’annuler voire à transgresser. Elle génère donc des conflits intra psychique dans le désir d’être et de paraître, et des conflits inter psychiques dans les nécessaires accords corporels à trouver.

Cette sociabilité, spécifique à la danse, peut être aujourd’hui une réponse aux problèmes de la vie scolaire et plus généralement favoriser une nouvelle socialité construite sur des relations humaines d’une autre nature.

Le vivre-ensemble-accepté qui va au delà du spectaculaire, est un vrai projet politique.

Les enseignants et leurs modèles de référence pédagogiques et didactiques.

‘Les experts favorisent le mouvement expressif en évitant d’aborder l’intimité de la personne.’

Nous avons mis à jour des modèles d’enseignants dont les influences sont différentes. Moins ils sont experts en danse, plus ils valorisent les capacités expressives du corps dansant comme spécificité de l’activité et comme obstacle à l’enseignement. Les experts possèdent des références gestuelles, la mémoire d’expressions motrices qui leur permettent d’anticiper les réponses des élèves, et de favoriser la construction de codes communs. Ils réduisent de fait le niveau d’exigence. Contrairement aux enseignants non experts, ils abordent les capacités expressives non pas au sens de révéler une intimité, mais au sens d’utiliser des formes gestuelles préexistantes et reconnues, qui pourraient servir à communiquer une infime partie de l’intériorité de tout être humain.

‘Le modèle du »pratiquant culturé » rend attentif aux quatre dimensions qui sont les causes et conséquences de l’activité humaine.’

Tous les modèles analysés structurent à leur façon les valeurs et les différents éléments qui les composent (motricité, sensibilité, sociabilité, intelligibilité), ce qui offre un grand éventail dans les ingrédients culturels transmis. La danse permet de construire, soit une intelligibilité des relations sociales, soit une motricité qui s’appuie sur des sensations kinesthésiques, soit une motricité partagée etc ... Ceci en cohérence avec des valeurs d’expression de soi et de bien être, ou des valeurs sociales ou esthétiques etc ...

Notre modèle de “pratiquant culturé” est un outil qui montre à l’évidence, que les apprentissages mobilisent entièrement la personne dans ses divers registres d’expression et de sensations, et que l’équilibre entre les différents éléments est indispensable au respect de la complexité de l’activité humaine.

Le modèle du “pratiquant culturé” rompt avec les considérations prépondérantes à l’école, qui découpent la personne à partir de perceptions à double entrée : corps/esprit, individu/groupe, intériorité/extériorité, rationalité/imaginaire etc ... Le modèle est intégré dans la situation scolaire et correspond aux attendus.

‘Les modèles de l’institution scolaire comme ceux des enseignants se ressemblent par leur défaillance vis-à-vis de la sensibilité.’

Nous constatons chez les enseignants une appropriation très personnelle des incitations institutionnelles, et qui ne tient pas compte du décalage dans le temps des différentes parutions. La formation initiale est une référence incontournable. Selon les périodes elle a construit des frustrations et des désirs dont chaque enseignant a parlé, et qui marquent plus fondamentalement les représentations et les valeurs de la danse. Nous relevons globalement une certaine ressemblance entre les différents modèles des enseignants et ceux des programmes concernant la sensibilité. Elle est pratiquement inexistante, et les différentes catégories qui la composent ne sont jamais complètement présents dans aucun modèle. Nous soulignons ici la fragilité de ce pôle. Les enseignants qui parlent d’esthétique et d’intersensorialité oublient les images. Ceux qui décrivent les images et les émotions n’évoquent pas l’esthétique. Les catégories que nous avons définies semblent s’exclure dans les discours, comme s’il y avait antinomie entre les affects et les images d’une part, et l’esthétique et l’activité perceptive d’autre part.

‘Les choix didactiques opérés vont à contre-courant d’une formation d’enseignants de danse, d’enseignants d’EPS.’

Les enseignants gardent en mémoire les expériences de leurs corps dansant qui, pour les enseignants non experts peuvent se dissocier des connaissances et des valeurs qu’ils attribuent par ailleurs à cette pratique culturelle.

Ces observations interrogent l’exercice même de l’enseignement, qui engage les enseignants totalement dans la situation éducative, et dont les stratégies d’anticipation ne suffisent pas à les protéger d’une implication physique importante dans les interactions. Implication qui engendre l’efficacité chez les experts. Les expériences corporelles les conduisent à construire des situations pédagogiques qui ont des résonances sensibles pour eux mêmes. Le plaisir ou le déplaisir éprouvés dans l’activité, engendre ou non l’enseignement. Les connaissances de la danse accompagnent les expériences ou les repoussent, mais ne sont jamais suffisantes pour enseigner.

Les nouvelles formations des enseignants s’appuient sur le modèle scolaire qui promeut l’intelligibilité des actions. Elles offrent ainsi une mise en oeuvre “papier-crayon” qui doit satisfaire les exigences des programmes. Cette dérive de la formation, renforce une conception erronée de l’élève : sujet abstrait, dont le raisonnement prime sur l’action elle même. La pratique professionnelle au contraire expose l’enseignant face à des corps de chair, engagés dans des actions motrices dont la difficile traduction verbale révèle la différence de nature dans les intelligences affirmées.

Les élèves, l’enseignante, le cycle d’enseignement.

‘L’entrée dans la danse s’effectue par l’activité sociale et non par l’activité artistique.’

Comment l’enseignante cherche-t-elle l’adhésion des élèves à son système de valeurs ?

Le modèle scolaire proposé, tente de se situer parmi les autres modèles présents dans la classe. Elle sait habilement passer du discours sur la danse à l’échange sensoriel, grâce à des mouvements et à un rythme commun partagés. L’enseignante reprend à ce moment là ce qui semble être au fondement de cette activité, et qui traduit une humanité particulière : “manifestation visuelle de relations sociales”, dit l’anthropologue Adrienne KAEPPLER.

L’entrée en danse ne se fait pas par l’activité artistique, mais d’abord par l’activité sociale. La danse, c’est d’abord le corps qui bouge, et ce d’autant plus que la matière de la danse est le corps et son mouvement. Il est incontournable de l’expérimenter au plus vite comme matière première et non comme statut social. Ainsi l’enseignante glisse furtivement d’un sens commun et social de l’activité dansante à un sens nouveau, celui de découvrir le corps-matière pour la création. Ce glissement se passe dans l’action et dans l’évolution des situations où l’enseignante reste le guide.

‘Le modèle du »pratiquant culturé » cherche à donner une cohérence à l’activité globale du corps dansant. Pas de savoir danser sans danser !’

Le modèle théorique du “pratiquant culturé”, nous permet de lire les liens singuliers que chaque personne tisse à partir des fragments culturels échangés. Les contenus d’enseignement, les savoirs ou les objets d’enseignement, ne sont qu’une manière logique d’exposer ce qui fait sens, ce qui est issu d’une expérience de la communauté éducative. Ils ne deviennent vivants et transmissibles que par l’appropriation originale et donc parcellaire de chaque enseignant qui les intègrent à d’autres expériences vécues dans d’autres lieux. Ils ne prennent sens et vie pour les élèves que dans leur expérimentation avec l’enseignant dans les situations pédagogiques.

Les contenus d’enseignement définis dans les programmes fragmentent l’activité globale et complexe du corps en mouvement, et l’enseignant doit donc lui même, dans sa propre expérience, redonner une cohérence s’il veut pouvoir partager et enseigner. Tout objet d’enseignement est investi à nouveau, mis en synchronisation avec les autres éléments culturels, qui organisent l’activité corporelle de la personne.

‘La transposition didactique diffère des autres disciplines d’enseignament. On ne peut pas déduire un savoir danser d’un savoir.’

Est-il possible de dépersonnaliser les savoirs en danse ? Existe-t-il un savoir danse, sans danser ?

Nous avons déjà souligné à quel point danser est un savoir d’expérience, des savoirs dit BARBIER “ non dissociable de leur communication et de leur mobilisation. Et nous devons nous interroger dit l’auteur sur “les espaces sociaux qui privilégient leur mobilisation “184. L’enseignant qui reconnaît la relativité des espaces sociaux, facilite et encourage les expériences multiples. Notre modèle théorique nous permet d’investir une autre approche des savoirs d’action, non pas déshumanisés, technicisés et/ou figés dans un contexte, mais bien en accord, culturellement, avec celui ou ceux qui les transmettent et qui les mettent en oeuvre.

Nous pourrions dire la même chose de l’ensemble des techniques corporelles qui sont des constructions de l’action des corps dans une recherche d’adaptation avec l’environnement. Il constitue autant de savoirs, que seules les expériences communes valident.

Il existe cependant une différence notable dans l’échange d’expériences proposé par l’enseignant des techniques sportives avec celui des techniques de danse : La “bonne technique” n’est pas soumise à l’épreuve des faits et des adaptations à réaliser. La transmission culturelle en danse est gratifiée uniquement par la relation sociale reliée à des sensations personnelles. La technique en danse est une recherche d’adhérence à une vision particulière du corps, dans ses rapports au monde.

Il n’existe pas dans l’acte d’enseignement de la danse artistique d’autres référents que l’enseignant et les élèves, tous modèles culturels en partage d’expériences. La situation éducative met en présence des “pratiquants culturés” qui renouent les liens culturels qui les constituent. Les oeuvres dansées existent et forment un patrimoine, qui synthétise les savoirs danser de la société. Ces savoirs représentent les biens culturels communs auxquels chacun peut se référer. Ils sont les sources d’inspiration des membres de la communauté. Cependant ils ne vivent que partiellement, pour chacun d’entre-eux, à travers des activités qui les modifient sans cesse.

L’enseignant un maître ou un accompagnateur.

‘Le maître à danser ne montre pas des mouvements, il met en danse.’

Le bon maître est celui qui exerce son autorité en fonction des dispositions des danseurs, et qui les incite à un travail créateur. Il enseigne non pas uniquement la tradition (ce qui le légitime toujours) ou les formes, mais plus que cela. Et le “cela” explique la confusion des discours.

‘“L’art de la danse a ceci de particulièrement, de profondément fou, sorcier, fascinant, qu’il n’existe que totalement mêlé, identifié, au corps d’un être humain” 185 . ’

Le maître de danse favorise alors les expériences, les accompagne. Il aide le danseur à trouver une mise en relation heureuse entre corps et technique.

En cela, la tradition du maître à danser se perpétue. Il est attentif à saisir ce qui est là, ce qui s’insinue à travers le mouvement.

La grande différence entre l’enseignant et le maître à danser, réside dans le fait que les disciples sont des élèves qui ont toujours des réticences à se transformer, à faire renaître un corps différent. Ceux qui enseignent la danse à l’Ecole parle du nécessaire climat favorable aux relations, qui se construit sur des rapports de congruence et d’empathie. Les relations sociales se tissent par négociations, qui laissent à chacun la possibilité d’être différent. Nous retrouvons les éléments contradictoires qui structurent la relation éducative à l’Ecole, et qui peuvent provoquer les oscillations stériles entre l’autorité de la norme et les réponses aléatoires diversifiées et contextualisées.

‘Le modèle du «pratiquant culturé » se situe à la marge et promet les ambivalences.’

L’enseignant transmet, à travers son engagement, la reconnaissance physique et sensuelle du corps disponible au mouvement sans se laisser ligoter par les contradictions, mais en les utilisant comme objet même d’enseignement. Il joue l’initiation avec ses élèves, et la met à nouveau à l’épreuve de la communication.

Il nous semble que l’enseignant doit se laisser contaminer, c’est à dire admettre ce qui peut être flou dans une expression dansée et qui relève de la subjectivité de chacun, et accepter ce qui peut unir en le référant aux pratiques culturelles identifiées. Il évite ainsi des cohérences affichées, qui annulent les aspects contradictoires qui fondent la danse et les pratiques artistiques en général. Notre modèle du “pratiquant culturé” est une aide à l’élaboration positive du métissage permanent qu’impose l’enseignement des pratiques artistiques à l’Ecole. La notion de métissage signifie que les modèles de “pratiquants culturés” s’élaborent par des compositions actives, qui mélangent à la fois des éléments antérieurs personnalisés, à d’autres éléments extérieurs qui font écho aux précédents. Nous imaginons surtout les remodelages voire bricolages continus et parcellaires, plutôt que les ruptures complètes dans la construction du “pratiquant culturé”. Il en procède ainsi de la structuration de l’identité sociale et culturelle, qui révèle plus les circulations que les frontières.

Enseigner la danse artistique à l’Ecole, c’est accepter de jouer en permanence avec des éléments contradictoires, comme si cette pratique se déclinait en des termes antagonistes. Comment enseigner en même temps, le modelage des corps et leur résistance ?

“‘Comment établir le lien entre une pédagogie des technicités, des compétences, des valeurs éducatives légitimées et légitimables par tous et une virginité de la danse, corps pensé dans l’immanence sans vocabulaire ni strict attribut quantifiable ?’ ”186 Comment dit l’auteur “apprendre la règle et sa disparition ?”

Le modèle du “pratiquant culturé”, un outil d’analyse.

‘Le « pratiquant culturé » est un modèle qui désigne ses références culturelles et qui sollicite l’engagement personnalisé.’

Notre modèle est un outil, un instrument, au service d’une compréhension nouvelle de la dialectique inhérente à l’acculturation qui met en jeu l’absorption et la création. Le modèle nous aide à comparer les pratiques culturelles, sociales, et les pratiques scolaires. Il favorise aussi la prise de conscience du modèle culturel, ponctuel, que chaque enseignant véhicule. Il éclaire les liens avec la culture commune et la culture scolaire. Il peut montrer des déficits, des survalorisations, des rigidités ou des porosités, qui permettent d’approcher différemment les pratiques professionnelles. L’enseignant est le premier modèle culturel de référence, qui a investi à travers une histoire personnelle et professionnelle des champs culturels divers, et dont la posture même, traduit une acculturation singulière. Au collège, il ne s’agit plus de reconnaître les différences culturelles et de les laisser vivre de façon juxtaposée, mais bien d’envisager leur possible mélange dans une création originale qui, finalement, pourra se situer en se comparant au patrimoine.

Le modèle enfin, facilite la construction des tâches d’apprentissage et l’élaboration d’un cycle d’enseignement. Chaque situation d’enseignement, en définissant les objectifs, les buts, les contraintes et les critères de réussite, spécifient les engagements des élèves, et révèlent les différents éléments culturels qui la composent. Favoriser l’émancipation du “pratiquant culturé” est notre finalité explicite. Il importe donc que les élèves vivent des tâches qui soient porteuses de la dynamique des articulations du modèle.

‘L’utilisation du langage pour partager l’expérience sensible est une difficulté que l’école ne surmonte pas.’

L’insuffisance du langage est une évidence. Nommer ou/et désigner, est faire acte de connaissance, rendre clair ce qui est confus et organiser autrement le visible des choses. C’est par la langue que se partagent aussi les expériences, et par elle que transitent les significations et que s’active la pensée. Faire acte de reconnaissance par les mots, c’est élaborer un autre savoir que celui de l’expérience. C’est participer à la construction d’une culture commune à la classe, c’est à dire à la construction de sens dans une visée collective, qui peut accéder, comme toute trace tangible, à la construction plus large d’une communauté de significations.

Parler de la danse et danser, sont des apprentissages à mener parallèlement. Telle est notre conviction. Cela favorise ce que WITTGENSTEIN cité par MICHAUX appelle “les jeux de langage”, qui sont autant de manière de dire l’expérience sensible. Dans les faits, nous remarquons que le cadre scolaire n’invite pas à l’expression des affects, au partage des subjectivités. Peu d’enseignants et d’élèves s’aventurent à partager leur attention esthétique, à travers un système de communication qui passerait par le langage.

L’activité artistique repose fondamentalement sur une communication dégagée de la langue.

‘“Le reflet langagier, aussi poétique, descriptif ou ... elliptique soit-il, ne pourra rendre compte de la totalité saisissable, et saillante, de la danse qui interpelle d’autres facultés et dimension de l’humain : le sens kinesthésique, les phénomènes vibratoires et ondulatoires du corps en mouvement et de sa saisie visuelle par le spectateur, ou la sensibilité “prise à vif”. ” 187

L’enseignement de l’art passe cependant par les mots qui s’accordent aux corps dansant. Notre langage devrait alors pouvoir s’enrichir de cette double expérience. Cela n’est pas probant dans l’expérimentation.

Nous constatons l’évolution de la vie sociale et culturelle vers un besoin de partager ensemble des émotions, il apparaît donc incontournable d’enrichir notre vocabulaire, ne serait-ce que pour échapper aux fusions aveuglantes et avilissantes. L’Ecole est le lieu même de cette éducation possible.

Et pourtant ... l’insuffisance du langage est ce vide qui dynamise l’acte créateur.

‘“La danse est l’épreuve physique des mots ; et les mots indicibles sont l’épreuve mentale de la danse.
La frontière entre les mots et la danse, c’est donc l’autre-écriture ; celle qu’une écriture produit à l’horizon qui lui échappe ...
... C’est que l’écriture est aussi une danse et pas seulement de la pensée : une texture dans l’espace des rencontres, des coïncidences, où, pour chacun, ses deux corps se croisent - le corps de chair et le corps mémoire ; et l’écriture fait la navette dans l’entre-deux, coupe des liens et en renoue, mêle et démêle les couleurs, déploie et redonne vie au tissage de l’être.”188

Notes
179.

BERNARD (M). “Des utopies à l’utopique” in, Danse et utopie. op cit. 24 p.

180.

MERLEAU-PONTY. “L’oeil et l’esprit”. Gallimard. Paris.1964.

181.

Référence au conte Jean-de-Fer des frères GRIMM, analysé par BLY Robert dans “L’homme sauvage et l’enfant”. Paris. Seuil. 1992.

182.

cf. Edgar MORIN. “Pour sortir du XXème siècle”. op cit. 141 p.

183.

BROHM.( JM). “Le corps dansant”. in, Le corps tabou. Internationale de l’imaginaire.

n° 8. Babel.Paris. 01/1998. 35 p.

184.

BARBIER. (J.M). “Savoirs théoriques et savoirs d’action”. PUF. 1998. 10 p.

185.

SAPORTA (K. citée par LACHAUD. (JM). “Sur quelques débordements du corps dansant”. in, Lieux et non lieux de l’imaginaire. Internationale de l’imaginaire n°2. Babel. Paris.1994. 57 p.

186.

BRUNI (C). “L’enseignement de la danse et après !”. op cit. 18 p.

187.

ARGUEL (M). “Danser avec ou sans les mots ?”. Revue d’esthétique. op cit. 134 p.

188.

SIBONY. (D). 1995. op cit. 235 p.