Etude comparée des différents modèles. Pourquoi le choix de la Rythmique?

La pratique de la danse, comme art du mouvement, ne doit pas être enseignée à l’école. Tentons d’analyser, à partir des approches sociologiques, psychologiques et épistémologiques, pourquoi l’école choisit la gymnastique rythmique plutôt que la danse comme pratique sociale de référence. Ainsi, identifions-nous mieux le modèle de pratiquant cultivé que l’école propose.

L’approche sociologique , nous permet d’envisager les différents usages du corps dans la société et les acceptations décidées par l’école.

Pour les gymnastiques et la danse classique, le corps est une mécanique et répond à une conception rationnelle du monde que l’on retrouve plus largement dans la société. L’homme porte en lui le dualisme du corps et de l’esprit. Le corps est utilisé de façon instrumentale dans différents secteurs de la vie sociale. “‘Descartes donne une garantie philosophique ... Le corps est appendice vivant de la machine’” 201. Cette machine peut être envisagée de façon globale ou analytique. Les objectifs de corrections et d’attitudes rationalisent le corps, et structurent des exercices dont les enjeux de maintien sont largement dépassés. En effet, Foucault décrit comment les exercices corporels exercent une domination sur l’homme par un contrôle et une discipline des attitudes. Vigarello insiste sur le rôle des sciences et des préoccupations sociales dans les modèles qui sont à l’oeuvre. La correction des morphologies va de pair avec les connaissances scientifiques du corps, les techniques pour l’approcher. Elle s’inscrit dans des exigences sociales, “‘dans une conduite de civilités et de l’apparat”... La correction patiente des morphologies est aussi celle des comportements ... habitude d’ordre, discipline de l’esprit’” 202.

Dans notre contexte, les usages du corps féminin doivent être évoqués, comme autant d’imprégnation sociale et de régimentation des dispositions du corps féminin dans la société des années 1950. “‘Surcharger de significations et de valeurs sociales les actes élémentaires de la gymnastique corporelle et, tout spécialement, l’aspect proprement sexuel, donc biologiquement préconstruit, de cette gymnastique c’est inculquer le sens des équivalences entre l’espace physique et l’espace social’” 203. Nous percevons bien à la lumière des sociologues, l’enjeu social d’une formation corporelle féminine construite sur une certaine normalisation des rapports corporels, une discipline et un contrôle de soi, une soumission à des codes esthétiques qui permettent aussi un ancrage familial positif. Les pratiques gymniques et de la rythmique correspondent à ces attentes sociales.

Ce qui n’est pas le cas des danses nouvelles qui apportent une autre vision des rapports au monde. Par exemple, la beauté des formes n’est plus la référence et laisse la place à l’authenticité, l’expression de sentiments ; l’esthétique du mouvement passe par la sensation . Les danses ne répondent pas, comme le souhaite l’Ecole, à la notion de contrôle des émotions. “‘Ce qui importe c’est de ne pas se laisser aller à la musique, de ne pas succomber à la lascivité de la transe’” 204. Les danses instaurent un nouveau type de relation aux autres construit sur l’écoute, les sensations, le dialogue et l’échange, et non pas la conformité au modèle.

L’approche psychologique , invite à explorer les différentes perceptions de Soi, du corps, en rapport avec un idéal. Le rapport entre l’être et le paraître est interrogé. “‘Toute image de son corps est en effet en partie déterminée par le corps biologique et par le regard d’autrui qui n’en saisit que l’apparence’” 205. Les gymnastiques et la rythmique préconisées par les textes officiels, ont une conception très fine du paraître, de l’image du corps pour autrui. Toute la pédagogie repose sur cette lecture d’image corporelle faite de postures et de contours. Le désir d’être qui transparaît dans la séduction, acte social reconnu, est aussitôt investi dans le paraître définit par les canons de la beauté et de l’idéal féminin. Les gymnastiques ne permettent aucune transgression, contrairement aux danses, et c’est une des raisons pour leur évitement dans le cadre scolaire. Les danses instaurent des apprentissages particuliers en fonction des expressions, qui révèlent une autre approche du mouvement, non plus fait de figures ou d’attitudes extérieures à soi, mais de mise en jeu de soi, des parties de corps dans le temps et l’espace, en utilisant l’énergie vitale. Le corps devient une personne, avec son histoire, ses affects. “‘la danse découvre l’importance de travailler du point de vue de l’être, plutôt que de l’image’” 206. L’école ne semble pas prête à considérer l’élève et son corps comme siège d’expression personnelle. L’exercice physique a pour objectif essentiel la socialisation en rapport avec les normes culturelles.

L’approche épistémologique , doit éclairer comment se construisent des techniques du corps, en rapport avec les imaginaires et les valeurs. Les gymnastiques et la rythmique proposent des techniques de maîtrise corporelle qui repose sur les notions d’équilibre vertical, d’appuis stabilisés, de mouvements arrondis des segments supérieurs. La symétrie structure l’ensemble et provoque un travail de maintien des deux ceintures scapulaire et lombaire. L’élévation et la légèreté sont les indicateurs de la virtuosité technique. La recherche de lignes, de courbes claires et identifiables par l’oeil, encourage aux actions simples et ordonnées. Le mouvement est décoratif en lui-même et peut entraîner le plaisir esthétique. Il n’y a pas de distance entre le mouvement et l’image donnée à voir, il y a fusion entre le modèle et l’élève. Pour accéder à ces savoirs de maintien et de grâce, seule l’imitation ainsi que le rapport frontal aux autres sont possibles.

Les danses nouvelles questionnent fondamentalement ces techniques corporelles d’asservissement. Elles ouvrent les espaces du mouvement, cherchent à utiliser d’autres surfaces corporelles, d’autres volumes. Elles renient l’élévation comme seul accès à l’expression de l’idéal de soi. Elles inventent d’autres codes de lecture du mouvement. Celui-ci est source d’expression d’individualité communiquant ses représentations du monde social et culturel.

Notes
201.

LE BRETON. D. “Anthropologie du corps et modernité”. PUF. Paris.1998. 79 p.

202.

VIGARELLO. G. “Le corps redressé, histoire d’un pouvoir pédagogique”. Delarge.Paris. 1978.

203.

BOURDIEU. P. “Le sens pratique”. Editions de minuit.Paris. 1994.120 p.

204.

LIOTARD P. ”L’impossibilité de l’EP féminine” in, Histoire du sport féminin. L’Harmattan.Paris.1996. 205 p.

205.

BRUCHON-SCHWEITZER. M. “ Une psychologie du corps” PUF.Paris. 1990. 285 p.

206.

SIBONY. D. “ Le corps et sa danse”. Seuil.Paris. 1995. 232 p.