Que devient alors notre “pratiquant culturé” en vue d’émancipation ?

Est-ce un élève dont la formation permet la pratique d’un grand nombre de danse ? Est-ce un élève qui, dans une pratique réflexive qui s’appuie sur une danse, peut comprendre l’ensemble des autres danses ? Est-ce un élève qui aura acquis un “habitus” de danseur à partir d’une pratique plus universelle ?

Telles sont les nouvelles questions que posent aujourd’hui l’enseignement de l’éducation physique artistique à travers cette incitation à ouvrir le champ des pratiques de référence.

L’approche psychologique, incite à considérer en quoi la diversité des modèles est une réponse à la question de l’être et du paraître, et à celle du corps idéal.

Deux courants semblent se détacher des différents modèles et témoignent de la dichotomie entre l’être et le paraître. Les danses très codées, qui utilisent une technique maîtrisée du corps favorisant sa mise en représentation par des scénographies spectaculaires, pencheraient plus du côté du paraître. Les danses qui s’appuient sur des codes moins conventionnels, pratiquant les improvisations, se situeraient plutôt du côté de l’être. La danse contemporaine, est elle-même traversée par ces mouvements. Les mises en scène du corps dansant virtuose, façonné par des techniques sophistiquées se juxtaposent avec une danse plus intimiste exprimant des états de corps, une recherche, voire une quête des origines. L’effet pendulaire est conservé.

Une tendance semble se dégager en faveur, non plus d’un corps expressif, d’un être à la façon “psy”, mais d’un corps matière, dont le mouvement, dans ses qualités énergétiques, traduirait sa présence.

Cette affirmation d’une présence singulière, indépendamment des styles, s’exprime dans toutes les danses et traduit une autre appropriation des conventions. “‘Le corps dansant : en proie à l’absence de limites autant qu’à leur présence. il y va de leur mise au monde et de leur remise en question. Il a dû chaque fois réinventer ses codes, comme pour déplacer des limites. Ces codes reflètent d’autres limites et interdits qui reprennent d’autres questions, avec à l’horizon une seule question : celle des corps cherchant l’espace où exister, où émerger de leur ordre ou de leur chaos ; des corps cherchant leur place à travers leurs déplacements’” 251.

Un des objectifs affichés de l’éducation physique artistique est de permettre à l’élève d’affirmer sa personnalité. Pour nous affirmer sa présence corporelle singulière. Dans quel cadre peut-il le mieux s’engager, investir sa sensibilité ?

Existe-t-il des pratiques de référence qui favorisent cet engagement ? Les activités multiples proposées semblent vouloir prendre en compte les motivations des jeunes pour certaines danses. L’expérience pédagogique, dans les autres activités physiques montrent, que ce qui motive les élèves dans un premier temps, est un frein pour les pratiques éducatives. L’identification aux modèles sociaux est telle, qu’elle empêche l’invention, l’appropriation personnalisée, le regard critique. L’enseignant dans sa façon de porter une culture du corps ne reste-t-il pas le seul garant de l’implication corporelle de ses élèves ? Le travail en partenariat avec des danseurs chorégraphes témoigne de l’effet du Maître sur les élèves. La maîtrise du corps par le danseur et son charisme incitent les élèves à entrer dans son modèle culturel, car il porte en lui sa recherche, ses questionnements et les réponses corporelles qu’il propose. Les danseurs portent en eux leur marque culturelle, et il l’expose. L’adhésion des élèves se fait dans ce partage culturel conscient.

L’approche épistémologique, interroge la technique pour quel corps, pour quelles expressions. Les modèles culturels tendent à nous orienter vers une maîtrise de plus en plus grande du corps, dans ses possibilités à se déployer dans des espaces-temps complexes, dans une capacité à s’adapter à tous les styles. La bonne technique est de ne pas avoir de stéréotypes, d’être disponible, d’avoir un corps flexible, prêt à un éventail large d’expressions et de stylisation. Les danseurs se forment de plus en plus en utilisant des gymnastiques (Alexanders, Feldenkraïs), ou des techniques orientales qui mobilisent le corps et son mouvement dans ses fondements. La tendance est donc à la recherche d’une technique universelle, qui pourrait répondre aux sollicitations des différents styles. Les modèles proposés par l’Ecole se différencient en celà des modèles culturels.

Les danses traditionnelles n’engagent pas la même disponibilité que la danse jazz, ni que la danse contemporaine. Le pratiquant culturé en jazz n’aura pas intériorisé la même motricité que celui de danse contemporaine etc ... Est-il possible, à l’Ecole d’engager les élèves à produire des techniques de corps qui n’auraient pas de sens ? Existeraient-ils des fondamentaux signifiants ? Là encore, la culture de l’enseignant, sa capacité à tisser des liens entre les modèles culturels semble incontournable. Il paraît plus simple d’enseigner une technique de danse culturellement identifiée par les élèves, pour avoir leur adhésion. Les modèles scolaires expriment des parti-pris artistiques qu’il serait bon de questionner.

Les rapports musique/mouvement sont un exemple. Selon les modèles, la musique contrôle et régimente le mouvement, ou bien, elle est source d’inspiration et d’impression, ou bien, elle favorise l’expression d’énergie d’une communauté.

Il se joue dans ce rapport là, des enjeux de pouvoir, dont les élèves ont le droit de mesurer l’impact sur les expressions culturelles.

Nous pourrions de la même manière questionner le rapport mouvement/expressivité. Il n’existe pas de mouvement et de techniques de corps neutres. Comment chaque modèle proposé, répond à cette problématique ? Quelle différence entre un projet expressif, une danse expressive, et un corps expressif ? Et comment les techniques qui s’élaborent, sont autant de réponses à ces questions ?

Notes
251.

SIBONY. 1995. op cit. 96 p.