V.3.1 L’analyse de contenu

Les entretiens retranscrits ainsi que les réponses aux questions ouvertes du questionnaire contiennent des informations qu’il faut repérer, classifier, analyser et interpréter pour en extraire la ou les signification(s). C’est la technique d’analyse de contenu définie par Berelson comme ‘une technique de recherche pour la description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste de la communication.216 ’ Cela veut dire que le discours des personnes interviewées ainsi que les réponses aux questions ouvertes contiennent des informations, des données brutes dont il faut découvrir le sens, en un mot qu’il faut ’décortiquer ’.

En effet, comme le dit R. Mucchielli, ‘Tout document parlé, écrit ou sensoriel contient potentiellement une quantité d’informations sur la personne qui en est l’auteur, sur le groupe auquel elle appartient, sur les faits et événements qui y sont relatés, sur les effets recherchés par la présentation de l’information, sur le monde ou sur le secteur du réel dont il est question.217 ’ Dans le même sens, J-M Leger et M-F Florand disent ceci : ‘comme son nom l’indique, l’analyse de contenu étudie les contenus signifiés dans des textes d’origine écrite ou orale; elle relève alors de la sémantique.218

Pour rendre compte du contenu d’un document ou d’un discours, les unités de sens doivent être extraites et classées dans des catégories. Ainsi, pour R. Mucchielli, ‘Analyser le contenu (d’un document ou d’une communication), c’est, par des méthodes sûres... rechercher les informations qui s’y trouvent, dégager le sens ou les sens de ce qui y est présenté, formuler et classer tout ce que « contient » ce document ou cette communication.219

L’analyse de contenu intervient dans plusieurs domaines :

  • Clinique : la méthode d’analyse de contenu de récits et écrits est une aide efficace pour diagnostiquer les affections psychologiques des patients, pour analyser leur personnalité, prévoir leur comportement dans des circonstances particulières et éventuellement remédier aux désordres psychiques dont ils sont atteints.

  • Social : étude des interactions entre groupes sociaux, interprétation de récits socio- biographiques. L’analyse dans cette optique aide à comprendre les attitudes par rapport à des événements ou situations précises (crise, chômage, informatisation...).

  • Economique : études de motivations, de comportements d’une clientèle, étude des effets de la publicité sur la consommation, problèmes de production et de rentabilité au sein des entreprises et industries.

  • Politique : études des mécanismes de l’influence sociale, l’impact d’un discours politique sur les comportements, les choix d’adhésion à un parti, analyse des idéologies et de la propagande...

Dans la méthodologie de l’analyse de contenu, le problème de codage et de catégorisation est central. Toujours pour R. Mucchielli‘, cette opération consiste à classer en catégories les diverses positions ou attitudes que reflètent les réponses, pour permettre une présentation quantifiée des résultats.’ 220 C’est à ce niveau que subsiste les principales critiques formulées à l’égard de la méthode.

Ces critiques se fondent généralement sur l’insuffisance de la définition des catégories. Avec le même auteur‘, une catégorie est une notion générale représentant un ensemble ou une classe de signifiés. Les unités de sens doivent être réparties en catégories, distribuées en genres, en thèmes, en grandes orientations.221

Il n’y a pas de règle générale ni de théorie préétablie en matière de catégorisation. Le discours recueilli comporte des réponses très variées à une même question dans lesquelles le chercheur doit repérer et extraire des attitudes, des représentations. Selon des chercheurs, ‘Il n’existe pas une manière standardisée de mener à bien de telles opérations étant donné l’ampleur de leur champ d’application et la diversité des sources d’inspiration théoriques de ceux qui ont mis au point des méthodes.’ 222 Pourtant, de cette catégorisation dépendra la valeur de l’analyse de contenu. Par conséquent, les catégories devront avoir les quatre qualités suivantes223 :

  • l’objectivité : les catégories devront être définies sans ambiguïté et compréhensibles ;

  • l’exhaustivité : toutes les unités de sens devront appartenir systématiquement à une catégorie ;

  • l’exclusivité : toute unité de sens ne peut appartenir qu’à une seule catégorie ;

  • la pertinence : les catégories devront être en rapport avec les objectifs de la recherche et le contenu à analyser.

Dans le même ordre d’idées, Berelson224 disait : ‘Les études...seront productives dans la mesure où les catégories seront clairement formulées et bien adaptées au problème et au contenu (à analyser).’

L’analyse de contenu s’appuyant sur la catégorisation est forcément quantitative et qualitative :

  • quantitative : après le travail de codage, intervient celui de quantification qui consiste à évaluer, mesurer, dénombrer, calculer les fréquences d’apparition des mots et des catégories. L’analyse quantitative permet de faire des déductions logiques et de rapprocher certaines variables aux objectifs de la recherche;

  • qualitative : elle intervient après la quantification et consiste à faire des descriptions, des commentaires, des interprétations. Pour F. Bacher, ‘Interpréter des faits, c’est considérer ces faits comme des signes renvoyant à un discours plus théorique, plus cohérent, qui a pu être construit à partir d’un nombre élevé de discours empiriques dont on a dégagé la structure commune.225 ’ Les risques d’interprétations subjectives seront d’autant moins importants que l’analyse qualitative se fonde sur des résultats quantitatifs précis.

En conclusion, l’analyse de contenu doit être objective (les données seront décrites, analysées et étudiées de manière scientifique) ; méthodique (le travail d’analyse se fera par l’application de règles strictes ; exhaustive (les objectifs préalablement définis devront être totalement pris en compte) ; quantitative (les données feront l’objet de calculs et d’évaluation).

Notes
216.

BERELSON (1952) in GHIGLIONE R., MATALON B., (1978) Les Enquêtes Sociologiques, A. COLIN, Paris, p. 155

217.

MUCCHIELLI R. (1984), L’analyse de Contenu des Documents et Communications, 5e Edition ESF, p.17

218.

BLANCHET et COLL, (1985), L’entretien dans les Sciences Sociales, Bordas, Paris, p.237

219.

MUCCHIELLI R. (1984), L’analyse de Contenu des Documents et des Communications, 5ème Ed. ESF, p. 17.

220.

GRAWITZ M. (1993), Méthodes des Sciences Sociales, 9ème Ed. Dalloz, Paris, p. 618.

221.

MUCCHIELLI R. (1984), L’analyse de Contenu de Documents et Communications, 5ème Ed. ESF.

222.

Méthodes d’Analyse de Contenu et Sociologie, sous La direction de REMY J., RUQUOY D., (1990), Facultés Universitaires de St Louis, Bruxelles, p. 11.

223.

MUCCHIELLI R. (1984) L’analyse de Contenu des Documents et Communications, 5ème Ed. ESF.

224.

BERELSON in R. GHIGLIONE, B. MATALON, (1978), Les Enquêtes Sociologiques : Théories et Pratique, A. Colin, Paris, p. 167.

225.

BACHER F., (1982), Les Enquêtes en Psychologie, N° 2, Presses Universitaires de Lille, p. 427.