Du plaisir avant toute chose

À l’étude de l’homosexualité dans l’oeuvre de Dominique Fernandez, nous avons préféré celle du plaisir parce qu’autant la première semblait ne donner lieu qu’à une lecture restrictive (comme celle, très partisane d’ailleurs, qu’a pu en faire Lucille Cairns dans son petit essai6), autant la seconde permettait d’embrasser toute l’oeuvre, de tenir compte de toutes les particularités des personnages et de leur créateur, qui, s’ils se définissent par leur marginalité, sexuelle mais aussi sociale, montrent la grandeur et l’ambiguïté de leur conception de l’amour indépendamment de la nature homosexuelle de leur désir.

Aux limites, nous préférons donc l’universalité du questionnement amoureux. Mais il faut encore, avant de montrer les tensions et d’étudier les idées qui sous-tendent cette conception du sentiment amoureux, définir aussi précisément que possible le sens du plaisir et ses limites. Pour cela, nous revenons à des distinctions simples et élémentaires, opposant l’idée de bonheur à celle du plaisir. Les personnages de Dominique Fernandez, qui disent parfois avoir été heureux mais n’avouent jamais poursuivre cette quête du bonheur, se contentent seulement de rechercher des instants de plaisir. La distinction même de ces deux notions par leur inscription, l’une dans le royaume de l’enfance dont ils ont été chassés, l’autre dans la douleur de l’instant, ne mène-t-elle pas le lecteur à se demander quelle est la réalité des rapports entre le désir et le plaisir pour ces héros fernandeziens ?

Enfin, entre la résistance au plaisir, le refus de succomber à la tentation et la reddition, il faudra porter tout l’intérêt sur le motif qui mène les personnages à se construire dans un refus de la chair et du corps et à se bâtir une stratégie de protection de soi-même contre ses propres démons mais, qui, finalement, les conduit plus sûrement et plus inévitablement à une extase dont ils ne peuvent plus revenir. L’ange de Signor Giovanni, celui de Pier Paolo ou encore de Tchaïkovski est détenteur du message que Dominique Fernandez délivre sur le plaisir, comme pour montrer qu’il faut savoir écouter la voix des anges, mais l’expérience de Franz indique aussi qu’on ne peut les regarder impunément. Conscience et méfiance : on ne badine pas avec son ange.

Enfin, aux relations entre le plaisir et la transgression, entre la volupté et la nécessité d’un châtiment, entre le culte de l’échec et la quête du plaisir, il faut réserver une place toute particulière et première, car là se jouent les destins des héros importants, car là s’entendent les échos fernandeziens qui parcourent l’oeuvre et donnent tout son sens à l’idée de plaisir.

Notes
6.

Lucille Cairns, Privileged Pariahdom, Homosexuality in the Novels of Dominique Fernandez, 1996.