Impossible de choisir entre son père et sa mère, de négliger la figure du premier ou de se défaire des principes d’éducation de la seconde. Plus qu’un conflit entre des puissances antagonistes, c’est une lutte entre la vie et la mort que doit livrer le personnage. Se soumettre aux règles décidées par la mère, c’est accepter la rigueur, le travail, la vigilance comme conduite morale ; suivre le père, c’est s’exposer à la réprobation, sortir du rang pour connaître le frisson d’une existence dangereuse. Mais il faut, pour comprendre comment l’adolescent et l’adulte peuvent construire leur vie dans cette dualité, dépasser cette opposition trop schématique pour épouser vraiment toutes les sinuosités du destin. « L’ambivalence cruciale » de la création romanesque fernandezienne, désignée dans une alliance de termes célèbre (« la gloire du paria »), rend précisément impossible la dissociation de ces deux pôles de l’existence des héros : le prestige et l’infamie. En est la preuve l’échec de la tentative de Pier Paolo, qui, pour avoir cru trouver une solution à sa duplicité en vivant successivement l’expérience d’un artiste fêté, d’un homme public récompensé, et celle d’un homosexuel honteux, voit peu à peu le déséquilibre s’installer pour compromettre tout à fait son existence. La quête d’identité ne peut donc se jouer par le choix. Choisir est d’ailleurs assimilé par l’auteur, qui reprend ici la leçon gidienne, à une monstruosité sociale :
‘Choisir, choisir. Éliminer. De mutilation en mutilation, l’homme arrive à la mort... Qu’est-ce que ta petite mutilation physique, Porporino, à côté de cette immense castration spirituelle et morale ? [...]C’est à Porporino que le prince de Sansevero s’adresse ainsi, Porporino qui lui-même a été si longtemps tourmenté par la question de son identité. Inquiet de trouver un sens à son existence, de savoir si une place existe pour lui, Porporino réserve un chapitre entier au problème de la détermination de l’identité (« Qui étais-je ? »), mais cette interrogation est en fait, comme le montre le discours du prince, le sujet central des mémoires du castrat. Le passé du titre indique déjà que, pour Porporino devenu castrat, la question est dépassée, non pas résolue mais sans validité puisque le castrat s’est dépouillé de son identité pour épouser l’indistinct, a quitté le monde des réalités pour rejoindre la sphère mythique. Cependant, sa recherche d’identité, Porporino a dû l’aborder par la question de l’identité sexuelle : comment parvenir à assumer l’héritage du père quand on doit son prénom à l’existence d’une femme ? Rétrospectivement, Porporino prend conscience de son double bonheur : celui d’avoir connu, à son insu, le bonheur à San Donato, lieu où se perpétue la tradition de l’échange des rôles et des prénoms entre les sexes, puis celui qui lui a presque toujours échappé parce qu’il l’a toujours considéré comme une différence, comme un manque : le bonheur d’être castrat, et d’échapper ainsi à la maturité.
Se faire un nom pour Porporino est une obligation, un rite dicté par le Conservatoire qui couronne la fin des études et marque le terme de l’initiation, le moment où l’élève doit monter sur scène et renoncer à son identité originelle, au nom du père. Le choix du pseudonyme est donc un passage obligé pour Porporino qui espère ainsi se libérer du poids de son passé, mais ses efforts trop timides et sa très grande sensibilité ne lui permettent pas de s’affranchir. La forme même du pseudonyme 43 qu’on lui choisit (« Nicola Porpora est mort l’autre jour. Que dirais-tu de t’appeler Porporino ? », p. 108) et surtout la vision de son père en rêve montrent bien que son identité reste déterminée par celle d’un autre dont il doit supporter le pouvoir : Porporino est encore fils et enfant, entravé dans ses actes et dans ses pensées. Son père vient hanter son sommeil, l’avertir et le menacer de sa vocation pour l’échec ; croyant pouvoir se protéger, et séduit pourtant par cette Cassandre, Porporino répond : « Ô mon père, [...] je m’appelle maintenant Porporino » (pp. 203-4), mais le destin est déjà décidé et le pseudonyme, loin d’être l’occasion d’une nouvelle vie, donne confirmation aux complexes déjà présents chez Porporino. Prisonnier des sanctions d’échec répétées par son père, Porporino est condamné à l’ombre et au second rôle, incapable d’exploiter son talent pour obtenir le rôle qu’il mériterait.
Comme Porporino, Roman (Une fleur de jasmin..., p. 134) et Winckelmann (Signor Giovanni) ont recours au pseudonyme, non pas pour s’exposer aux feux de la célébrité mais pour sacrifier au rite de l’anonymat, pour mieux montrer à quel point il est difficile de s’engager dans la quête du plaisir et de la libre jouissance : cacher son identité, dans ces deux cas, c’est se cacher à soi-même son désir et montrer à l’autre son incapacité à assumer son identité profonde, ses goûts et ses attirances. Pour Winckelmann, plus forte et plus intense a été la motivation pour adopter, au moment de céder à la tentation du plaisir, une identité d’emprunt. Déjà célèbre et honoré sous un nom réel qui porte pourtant dans sa signification une ambiguïté profonde — « Comment traduire “Winckelmann”, sinon par homme de rebut ? » (p. 42) —, l’archéologue choisit donc d’ajouter à un état civil qui pourtant indique la bassesse de son extraction le masque d’un faux nom qui dissimule autant qu’il révèle son moi profond, son identité sexuelle :
‘À l’article de la mort, il rejette jusqu’au pseudonyme: il n’est même plus Signor Giovanni, il devient Monsieur Personne. Sans nom ni identité. [...] comme s’il nous disait : « Ce n’est pas moi Winckelmann, qui ai passé huit jours dans le port adriatique avec mon voisin de chambre, ce n’est pas moi Winckelmann, qui meurs assassiné ; mais un autre qui s’est glissé dans mon enveloppe, et que je ne connais pas, et que je désavoue en cet instant solennel où nul n’aurait le courage de mentir. Vous trouverez mon état civil dans mon passeport : mais vous enterrerez le cadavre d’un autre. 011Giovanni, p. 40.’La remise en cause totale de l’identité, passant par l’emploi du pseudonyme, a ici pour ultime résultat la mort dans une dépossession complète de soi. Winckelmann, comme nous le montre le narrateur, faute d’avoir pu atteindre une existence qui équilibrât et liât ses deux vies, ne peut que mourir dans une obscurité totale non seulement due au crime mais aussi à l’annulation de son être. L’instant final, la mort, coïncide avec la réconciliation, la réunion de deux vies incompatibles : celle du fils de cordonnier devenu, par un labeur et des efforts continuels, un érudit admiré, et celle de l’homme qui rêvait de succomber à ses désirs.
Toutefois le choix même du pseudonyme, Signor Giovanni, en dit long aussi sur le but de la recherche du héros. Giovanni n’est en fait que la traduction italienne de son prénom de baptême, Johan : il faut donc envisager, dans ce choix d’un pseudonyme qui ne fait qu’effacer le patronyme pour adapter au lieu sa personnalité individuelle, la volonté de Winckelmann de renoncer et même de mourir à la patrie paternelle pour mieux renaître en terre de plaisir et de libération. Incapable d’aller jusqu’au bout de son désir de renaissance personnelle, Winckelmann s’offre cependant à la mort en choisissant celui qui lui donnera enfin le plaisir. L’idée de la traduction du prénom comme moyen de se choisir un pays d’élection est d’ailleurs présente dans d’autres romans. Le rite de la traduction du prénom entre dans la quête d’identité qui est placée au centre de L’Amour. L’enquête onomastique occupe une place essentielle dans la découverte de soi et vient révéler des éléments nouveaux, jusque-là insoupçonnables, sur la personnalité des sept compagnons.
‘Friedrich qui sous ce nom allemand pouvait se croire « riche de paix », eut la surprise, en devenant Federico, de se découvrir « riche de foi » : et sans doute, pensa-t-il, de paix son coeur n’en connaîtrait plus tant que Franz se contenterait de lui donner sa main à presser, ou que lui-même ne trouverait pas la force de renoncer à ce simulacre. Seule lui restait, pour croire dans leur amour, la foi ; une foi de plus en plus dépourvue de fondements, de plus en plus irraisonnée, à mesure que passaient les semaines sans que Franz se décidât à élargir sa concession, ni lui à secouer le joug de la servitude hebdomadaire.C’est précisément parce que Friedrich doit choisir entre le danger et la honte de sa quête du plaisir au Pincio et le confort bourgeois de Lübeck, c’est-à-dire entre cette foi ambiguë signifiée par son prénom italianisé et la solidité rassurante de son prénom de baptême, que l’on doit concevoir l’interrogation sur l’identité comme l’indice déterminant d’un écartèlement intérieur. Friedrich, contrairement à Franz qui, devenu Francesco, achève sa métamorphose pour parvenir au terme de son parcours mystique et devenir un second saint François d’Assise, ne peut progresser dans la voie qu’il croyait suivre : son prénom italien creuse le fossé qui s’est formé en lui au moment de son départ de Lübeck, et souligne l’incompatibilité entre le fils d’Herr Overbeck et le jeune peintre parti pour vivre sa passion, l’art et l’amour avec Franz.
La quête d’identité indispensable à l’évolution du jeune héros pose la question du rôle que tout homme rêve de jouer et du rôle qu’il est, en fait, en mesure de jouer. Le père, une fois encore modèle et source d’interrogation, est au coeur du problème du choix. C’est d’abord parce que le père, sous sa figure lisse, cache un mystère que la quête d’identité apparaît comme une étape indispensable pour le fils :
‘Friedrich aurait pu croire que le succès de son négoce et sa réussite politique satisfaisaient à toutes ses aspirations, jusqu’au fameux jour où les deux petits livres dissimulés en haut de la bibliothèque et signés : Christian Overbeck, étaient tombés sous ses yeux. Ce fut un trait de lumière : le maire était écrivain à ses heures, mais surtout il avait un prénom. Deux syllabes qu’on n’entendait jamais dans la maison, qu’aucun de ses amis n’employait pour lui adresser la parole, dont même sa femme ne se servait pas. [...] Quels souvenirs d’enfance, quels désirs, quelles imaginations que n’avait pas pu étouffer la carrière officielle menaient leur vie cachée à l’abri de ce prénom ? Am., p. 31.’Si le plus souvent le nom du père constitue le problème majeur du personnage engagé dans sa quête d’identité — contraint à assumer un nom difficile à porter, synonyme de honte et d’opprobre et dont les seules issues sont de parvenir à devenir célèbre pour effacer ce précédent ignominieux, gommer ainsi l’existence du père, ou confirmer cette définition par une fidélité aveugle, sacrifiant ainsi sa propre existence à celle de son père —, Friedrich quant à lui est placé devant un dilemme différent, celui de la définition individuelle, du secret gardé sur une nature profonde. Taire le prénom est pour Herr Overbeck un moyen de garder le silence sur l’autre lui-même, sur celui qui demeure mystérieux et invisible, sur l’auteur d’Anakreon und Sappho, et de ne pas montrer comment il sacrifie la part la plus intime de lui-même, celle de ses désirs et de ses fantasmes, à l’homme de la réussite publique en s’astreignant à de sévères règles de vie. Le prénom est donc ici le moyen trouvé pour se protéger et pour dissimuler sa duplicité, mais aussi l’aveu d’une incapacité, celle de s’autoriser à être soi-même. S’illustre à travers le bourgmestre-poète l’opposition qui a nourri l’oeuvre de Thomas Mann, celles des inconciliables figures du poète et du bourgeois qui, quand elles s’affrontent au coeur d’un même être, ne peuvent que conduire au sacrifice de l’une ou de l’autre.
Friedrich est donc amené à connaître le même tourment que son père : peintre, il lui faut à Rome choisir entre une destinée dangereuse dans les allées du Pincio, le plaisir monnayé sans jamais l’espoir du repos, nourriture et fruit d’une oeuvre artistique, et l’existence douce mais monotone de la cité hanséatique, choisir de vivre ses désirs ou de les taire en renonçant aussi à l’art et en cachant à tous Federico sous le masque de Friedrich Overbeck. Modifier son prénom implique la réflexion sur l’identité et génère une insatisfaction profonde devant les éléments apportés par la quête pourtant commencée, le refus de se placer docilement au sein d’une lignée et le besoin de tenter de faire de son nom un bien qui permette un engagement entier dans la quête du plaisir et de la liberté.
Se faire un nom est donc chose difficile dans la mesure où le nom est justement déjà fait par le père et jette le discrédit sur le fils. S’interroger sur soi implique une suppression du nom du père pour effacer le père absent qui repose sur la remise en question de l’identité choisie par les parents : le prénom. Cette interrogation paraît être une habitude romanesque chez Dominique Fernandez, avec une prédilection pour l’analyse d’un prénom : Jean. Pas moins de quatre personnages principaux se prénomment Jean (Jean, L’Aube ; John, Lettre à Dora ; John ou Giovanni, Signor Giovanni ; Giovan ou Gian, Le Dernier des Médicis). Cette répétition étonnante à première vue a toutefois une explication car les deux derniers protagonistes ne sont pas baptisés par le romancier mais sont des personnages célèbres qu’il a mis en scène dans deux de ses romans ; cependant, c’est aux différentes analyses produites par ce même prénom, transformé, traduit et trahi qu’il faut prêter attention pour comprendre le rôle qu’occupe le prénom dans la recherche d’identité et dans les rapports du personnage au plaisir.
‘Les garçons siciliens s’appelaient presque tous Salvatore : le sauveur, celui qui est appelé à sauver la Sicile de ses déboires chroniques ! Dans le choix des prénoms on retrouvait ainsi les deux traits du génie sicilien : l’exaltation utopique et la castratrice ironie. Peut-être la mère de John avait-elle joué à son fils le même tour : John, Johannan, « favorisé par Yahvé ». Yahvé l’avait favorisé, ça on pouvait le dire !Comment se croire « favorisé » quand on est incapable de vivre sans se mortifier, quand tout espoir de bonheur devient une source de douleur dans son irréalisation ? Comment peut-on même supporter de se savoir « favorisé » quand on rêve d’échec, quand on ne sait rechercher que la réprobation et la condamnation ? Et pourtant, ce prénom dans son inadéquation à la personnalité a justement son mot à dire dans sa recherche d’identité. L’interprétation ironique donnée ici sert de point de départ et de première lecture aux autres Jean de l’oeuvre mais livre aussi un élément inattendu puisque c’est la mère qui a présidé au choix du prénom : l’enfant était donc d’emblée, par celle qui représente la rigueur, le sens du devoir et de la morale, destiné à de hautes ambitions, à racheter les fautes et effacer la trace du père dont l’histoire lui est d’ailleurs tenue secrète. Le prénom, premier signe social sur lequel peut intervenir le héros, supporte en premier lieu la nouvelle orientation à donner à sa vie. Ainsi, par esprit de provocation, Giovan Gastone décide de réduire son prénom pour mieux montrer sa différence et son refus de représenter le prestige familial.
‘« Giovan, c’est trop près de Johann. Je n’étais déjà pas si fier de porter le nom du Baptiste et protecteur de Florence, un nom si noble, comme tu le disais, Peppino. Tu me vois affublé du même nom que celui qui achète le coeur de ma soeur pour 600 000 thalers ? Appelle-moi désormais Gian Gastone. »Giovan Gastone devenu Gian Gastone ne s’est pas seulement offert un diminutif, il a littéralement réinventé son prénom pour marquer sa volonté de s’exclure de la sphère paternelle, du pouvoir et de la tradition : puisqu’il ne peut pas changer son patronyme, puisqu’il doit le porter comme un poids, il doit s’efforcer de se rendre indigne de son héritage et de son nom de baptême, de ce qui lui appartient en propre, son identité et donc son double prénom. Méthodiquement, il personnalise à sa façon son prénom pour manifester son identité. Mais ce n’est en fait qu’après s’être attaqué au prénom qu’il doit à la lignée maternelle (Gastone), qu’il vide de son sens en l’abrégeant son premier prénom (Giovan) :
‘« Gastone, viens ici !Un chien, voilà tout l’égard que méritent ses origines pour Gian Gastone, mais cette démarche lui paraît sans doute trop timide encore pour montrer vraiment à quel point il désire faire éclater aux yeux de tous la bassesse et la vulgarité de ses origines. Il se dévalorise à dessein afin d’entraîner à sa suite toute sa famille, ses ascendants y compris, non pas seulement pour satisfaire son désir d’échec mais pour dévoiler le secret, pour révéler la vérité et rendre justice à sa manière et rendre à sa lignée la place qu’elle mérite. S’attaquer à l’image de la famille, s’attaquer au masque, c’est pour Gian Gastone le moyen d’anéantir tous les efforts paternels pour cacher la réalité et ruiner ainsi définitivement l’étiquette imméritée. Le travail sur le nom et le prénom constitue la première étape de son règlement de compte avec sa famille, lequel trouve son parachèvement dans la subversion des images et du langage. Il s’agit bien pour Gian Gatsone de tuer, de ruiner et de souiller même ce que l’on a pu aimer :
‘Tout à coup il s’écria qu’il n’en avait niente da fregare, de ce clair de lune et de ce paysage vaporeux. La princesse le regarda stupéfaite. « Niente da fottere, si vous voulez que je sois clair. »La volonté de provoquer, le besoin de rester seul, inconsolable et incompris, convaincu de ne mériter l’estime, l’amitié ni la tendresse, commandent les actes de Gian Gastone qui trouvent leurs premières justifications dans l’histoire secrète de sa famille, dans son héritage et dans son identité. Il s’invente un rôle de justicier dans sa nécessité de détruire tout ce qui pourrait rappeler le prestige immérité de sa famille. Il refuse d’être appelé « Votre Seigneurie » par Damiano, non seulement comme il le prétend par désir d’anonymat, mais aussi parce que s’est engagée en lui cette lutte pour réduire à néant cette noblesse dont on veut qu’il devienne le représentant. Cette rage de l’anéantissement des vertus, des valeurs et de soi est le seul moyen qu’il a trouvé pour mettre en accord sa vie et ce qu’il a décelé être la véritable identité de ses géniteurs :
‘Dis-moi où est notre honneur ! Dis-moi si ma mère, avant d’obtenir son rapatriement, ne s’est pas ingéniée à humilier par tous les moyens son ducal époux, et si lui, de son côté, pour rétablir sa dignité au sein de sa famille et se réhabiliter devant l’État, a trouvé d’autres moyens que les exercices de piété et les momeries cléricales. Médicis, p. 37.’Nommer son chien Gastone et transformer Giovan en Gian, c’est surtout et très paradoxalement la seule voie possible pour le jeune homme de rester fidèle à ses deux géniteurs, leur montrer une fidélité par la trahison, en dévoilant l’insoupçonnable vérité, en violant la loi du secret, en montrant que la piété paternelle n’est qu’une grimace indigne du patronage de saint Jean-Baptiste et la retraite maternelle n’est qu’un moyen de se vautrer dans la débauche à l’abri des regards et de se livrer à ses instincts les plus bestiaux.
Gian Gastone a choisi d’assumer la part cachée de son héritage en construisant sa vie sur la déchéance et les excès, en ne retenant comme modèle que la partie la plus méprisable de ses parents. On comprend après cette hérédité choisie pourquoi toute sa rigueur est mise au service d’une théâtralisation de ses actes déshonorants. Il parvient au prix de sa vie à se rendre digne de cette duplicité contenue dans son prénom, à être le trait d’union, dans l’infamie, entre son père et sa mère, eux qui n’ont jamais su vivre ensemble.
À travers Gian Gastone se joue de façon exemplaire la recherche d’identité d’un personnage né double, sa foi dans l’infamie et sa volonté de se voir rejeté sont les conséquences de ses refus successifs : refus du mensonge, refus du jeu social et refus de soi. Le questionnement sur la double identité donnée par un prénom double, plus intellectualisée chez Pier Paolo, aboutit pourtant à des refus semblables à ceux de Gian Gastone. Si ce dernier veut montrer sa différence vis-à-vis du saint qui s’est nourri de sauterelles dans le désert en se goinfrant de gâteaux, Pier Paolo, quant à lui, sans modifier son prénom, sans même chercher à adopter un pseudonyme, en vient pourtant à interroger la destinée des patrons catholiques sous lesquels l’ont placé ses parents en lui donnant cette duplicité de naissance :
‘Qui était ce nouveau-né que ses parents baptisèrent Pier Paolo ? Pierre et Paul ! Comme si on pouvait vivre uniment sous deux patronages aussi opposés ! Pierre : qui fit de Rome la ville du pontificat et transforma l’évangile de Jésus en religion de l’autorité. Un esprit solide, étroit, un des douze premiers apôtres, ami personnel du Christ, dépositaire de son message, attaché à la lettre de son enseignement, attelé à la tâche de construire l’Église, respectueux des rites et des hiérarchies, adepte du juste milieu, soucieux de ne pas choquer, ennemi des innovations. Et Paul, tout le contraire, inquiet, mystique, excessif, n’ayant pas connu le Christ et par là même affranchi de toute fidélité littérale, voyageur autant que Pierre fut sédentaire, parcourant le monde pour le convertir, violent, impopulaire, de caractère difficile même pour ses amis, de plus en plus isolé malgré l’affection d’une poignée de disciples, courant après le martyre, redoublant d’efforts à mesure qu’il approcha du but. Ange, p. 18.’Pier Paolo trouve dans son prénom la raison et le sens de son existence ; plus qu’une signification, c’est la preuve de sa prédestination qu’il y trouve, la confirmation du sens qu’il s’était donné à lui-même. Le prénom prend place dans une logique déterministe qui le dispense de tout effort pour infléchir le cours de sa vie : peut-on quelque chose contre ce que l’on sait être une fatalité ? À travers une lecture personnelle des Écritures Saintes, forcément guidée par sa subjectivité, Pier Paolo, pour des raisons apparemment intellectuelles mais en fait sensibles, choisit de se laisser guider par Paul au lieu de se laisser sauver par Pierre, il donne libre cours à la tentation de l’aventure et du danger en refusant de prêter attention au père (ici le Père de l’Église), à celui qui, par ses règles et son autorité, promet la vie sinon le plaisir.
‘Pierre étalait sur mon lit une chemise blanche, un costume sombre, nouait une cravate à mon cou et m’envoyait à Venise ou à Cannes défendre mes films devant les jurys de festivals. Paul me déshabillait en hâte, ne me laissant qu’un maillot, une culotte de football et l’ordre de rejoindre au bout de la ligne de tramway les ragazzi dans les terrains vagues au pied des maisons populaires. L’appartement de via Eufrate, qui t’a choqué par son luxe romain ? Acheté sur l’injonction de Pierre. Paul a toujours refusé de monter l’escalier de marbre à la rampe de bronze doré. Il attendait le crépuscule pour se présenter à la porte de service et m’emmener sans tarder vers les louches attractions de la gare. Qui devais-je écouter pour rester fidèle à moi-même ? L’un me souhaitait respectable, dans l’intérêt des causes que j’avais à soutenir, l’autre aurait voulu que je jette aux orties toute dignité. [...] Un jour pourtant l’un des deux a gagné. Ange, p. 22.’Impressionné par la vie et le caractère de saint Paul mais déçu par sa mort qui n’a laissé aucun souvenir, n’a inspiré aucune oeuvre et ne paraît pas à la hauteur du personnage, Pier Paolo imagine pouvoir remplacer le héros de la foi en rejouant le dernier acte de sa vie afin de lui offrir une fin spectaculaire, une vraie fin de martyr digne de cette existence marquée par les scandales. Cette identification fondée sur une relecture païenne et, on l’a dit, personnelle de la vie de saint Paul est déjà un moyen de s’inventer une mort exceptionnelle, et surtout, une façon de réduire une dichotomie qui a marqué la vie de ce héros. Dominique Fernandez, qui livre dans ce roman son interprétation la mort de Pier Paolo Pasolini et qui, rappelons-le, ne s’est pas contenté de se promener à Bologne pour sentir et imaginer son héros mais a consulté, lu et vu de nombreux documents de Pasolini, a peut-être conçu son idée de l’interprétation du prénom double et de l’identification à saint Paul après la lecture d’un scénario44 que Pasolini n’a pas eu le temps de réaliser.
Sa fin, son martyre, Dominique Fernandez imagine que Pier Paolo les offrent à saint Paul en se laissant défigurer et assassiner sur une plage d’Ostie, n’ayant pu supporter plus longtemps de dissocier en lui le cinéaste, l’écrivain qui a vécu le jour, et l’homosexuel qui recherche nuitamment le frisson des rencontres dangereuses. Il donne finalement la préférence au plaisir, à ce qui doit fasciner et inquiéter et fait de sa tragique fin un acte de réparation et d’hommage pour celui qui n’a pas su mourir de façon éclatante, et, à travers saint Paul, à l’homme qui n’a pas eu le courage de vivre au grand jour ses désirs, qui n’a pas osé être lui-même, ne se révélant vraiment qu’à l’ultime instant. Les dates (tirées de la chronologie réelle de Pier Paolo Pasolini) viennent d’ailleurs apporter leur interprétation symbolique car si, comme le commente Pier Paolo, narrateur attentif de son propre sort, c’est le jour de sa fête que commencent pour lui les persécutions policières et médiatiques (p. 237), c’est aussi le 2 novembre, jour de la Toussaint, que Pier Paolo est découvert mort, retrouvé tel qu’il a toujours été la nuit, cherchant dans la quête du plaisir un châtiment, et donc enfin réconcilié dans sa duplicité, Pierre ayant en quelque sorte veillé une dernière fois à la mise en scène, à l’écriture du martyre de Paul, tandis que l’autre était acteur.
La mort de Pier Paolo signifie-t-elle l’échec du travail de Pier, son incapacité à sauver par la réflexion et la création, à rationaliser le culte de l’échec par une transposition efficace ? Comment ne pas penser que cette mort spectaculaire, cette dernière Croce e delizia, n’est pas en fait ce qui confère enfin à Pier Paolo la pleine mesure de son identité, ce qui révèle enfin l’ambiguïté des questions que posaient des comportements apparemment inconséquents, mais qui trouvaient en fait d’emblée leur sens dans la dualité de ce prénom ? Ici la quête d’identité, le déni du père (même symbolique), se jouent dans les actes, dans les tourments du désir et dans les enjeux du plaisir.
Dans la main de l’ange montre que la recomposition du passé, la relecture continue des événements qui jalonnent une existence sont les conditions de la réponse à l’énigme de l’identité. Mais dans ce parcours Dominique Fernandez s’est montré étonnamment scrupuleux et respectueux à l’égard des sources biographiques de son héros, beaucoup plus qu’il ne l’a été dans Porfirio et Constance où pourtant aucune réelle recherche ne lui était nécessaire, puisque les événements qu’il choisissait de recréer étaient ceux que son propre père, Ramon Fernandez, a vécus. Le romancier a décidé de modifier la réalité, de changer les noms et les dates pour se donner plus de libertés, et pour, a-t-il dit, ne pas se sentir historien45 mais bien romancier, et se permettre ainsi de mieux comprendre qui a été son père. Il fait donc de Porfirio un enquêteur qui se lance à la recherche des raisons de son échec politique et de son ratage personnel, avec la volonté par l’écriture de savoir enfin qui était Constance, son épouse. C’est en retournant aux sources, aux origines de leur destinée, en déterrant les racines de leurs deux arbres, en interrogeant l’histoire de celle qui a grandi « quatre évangiles » en main, et sa propre enfance vécue dans le laxisme de « l’école du Sud » puis sous le joug d’une mère possessive, que Porfirio espère pouvoir comprendre enfin quel fut le sens de son existence :
‘Trois ans, ce ne sera pas trop pour me demander si un homme tel que moi, flottant dans les vêtements trop larges d’une éducation élastique, pouvait entrer dans le moule stricte de ta morale, et s’il n’eût pas valu mieux, pour toi, pour moi, pour nos enfants, qu’au lieu de te raidir en découvrant l’incompatibilité de mes habitudes avec tes principes, tu eusses accepté de rire avec moi sans cause, ou même quand il y avait un motif de me blâmer. Éc. Sud, p. 34. ’Porfirio devenu historien, psychologue et annaliste, s’applique à recréer et à construire à partir d’événements, de détails et d’objets retrouvés l’oeuvre de sa vie. Il reconstitue le passé grâce à une rigueur nouvelle (celle dont l’apprentissage est raconté dans la « vita nuova »), celle-là même qui lui a tant fait défaut au début de sa vie. L’écriture lui fait découvrir aussi la vertu de la patience, qualité obligée pour celui que l’exil contraint à renoncer aux bruits du monde. Le temps, non plus accordé au mol abandon dans des plaisirs faciles mais à l’effort entièrement tendu pour remonter sa pente et reconnaître ses fautes, lui fait prendre conscience du rôle qu’il lui faut assumer : à la recherche du sens de son histoire, il lui faut écrire pour lui-même et pour quelqu’un, c’est donc, après s’être adressé à Constance, pour ses enfants qu’il écrit ses mémoires, comprenant par l’écriture qu’il est père.
La nécessité de se trouver un juge efficace et implacable, dictée par son besoin d’être reconnu non seulement responsable mais aussi coupable, est la justification romanesque de cette longue lettre adressée à une sorte de tribunal familial où la rigueur de son ex-épouse puis celle de sa fille permettent à Porfirio d’être jusqu’au bout de sa quête exigeant avec lui-même : l’homme réprouvé doit faire son oeuvre dans le silence mais pour rompre le secret et permettre aux siens de comprendre qui il a été et aussi qui ils sont. Il livre à Vincent un message essentiel sur le plaisir et l’homosexualité, un véritable encouragement à aimer et à être heureux qui constitue pour le lecteur un passage d’une très grande beauté morale où le vrai sens de la quête du bonheur et du plaisir est délivré : « La nature n’est pas forcément hétérosexuelle, et il n’y a pas d’autre cause à l’homosexualité qu’un goût naturel. » (Porf., p. 417)
Vincent devient ainsi le double abouti d’Étienne (Les Enfants de Gogol) et se trouve donc dispensé de parole dans le roman : fort de cet encouragement paternel à être lui-même et à vivre, riche du testament écrit laissé par Porfirio qui révèle les secrets de son énigme, il échappe, après avoir été tenté, au culte de l’échec et donc au besoin de sublimer ses angoisses par la prise de parole, l’action ou la création.
En donnant la parole au père, à son père, en lui offrant le moyen de s’expliquer, Dominique Fernandez met un point d’orgue à une antienne de son oeuvre romanesque, il reconstitue enfin le puzzle familial et fait le portrait de son père abordé seulement jusque-là sous forme d’éclats : Ramon Fernandez devient Porfirio. Le romancier décide de le faire naître sous un nom sicilien sept ans avant la date réelle de sa naissance et de ne pas le faire mourir le 2 août 1944 pour lui laisser le temps de s’expliquer, de rassembler les éléments qui ont constitué sa vie. Souci de liberté créatrice comme il l’a dit 46 ou volonté de conserver une part de mystère ? Ainsi, il tait dans son roman la partie la plus brillante et reconnue de son père, l’oeuvre du critique, de l’auteur d’ouvrages admirés sur Gide, Molière, Proust ou Balzac...
Le romancier décide de ne retenir que les fautes de sorte que l’écriture prend une signification personnelle et publique. Porfirio doit établir un rapport nouveau avec les mots, la fiction remettant les compteurs à zéro : un seul livre pour le père démissionnaire et l’auteur d’articles politiques fourvoyé, mais ce livre est le livre de sa vie au sens propre comme au sens figuré, sa seule réussite.
En préférant le roman à l’essai, Dominique Fernandez a choisi la recréation, la rigueur du vraisemblable et le relief de la vie dans toutes ses ambiguïtés, et il a achevé un geste depuis fort longtemps ébauché, celui d’évoquer le problème du père. Mais il ne faut pourtant pas s’y tromper, les livres de Ramon Fernandez, que son fils a dit après la Libération avoir « disparu des bibliothèques », ont avant même l’écriture de ces mémoires imaginaires retenu son attention et il a ainsi favorisé la réédition de ces oeuvres47. Il faut donc admettre que l’écrivain a voulu, consciemment ou non, dissocier dans la figure de son père l’homme digne d’une estime littéraire et intellectuelle (qui a d’ailleurs aidé son entrée dans le monde littéraire des années soixante48), la personnalité publique et l’homme de la vie privée.
Dominique Fernandez, premier et seul enfant à s’appeler Dominique dans une lignée de Ramon ne pouvait que s’interroger sur son identité et sur celle de son père49. Ce n’était donc pas un hasard si le héros de son premier roman, Oeil de feu (inachevé, inédit et écrit à l’âge de douze ans), se nommait don Ramon. Plus tard, le romancier se montrera encore obsédé par la figure du père non seulement par les représentations qu’il en fait mais aussi par la cette façon de donner à des personnages le nom de son père. Dans Porporino, il donnera ainsi à un personnage mystérieux et inquiétant le nom de don Raimondo (L’École du Sud), nommera de l’anagramme du prénom paternel le héros d’Une fleur de jasmin à l’oreille (Roman) et prénommera Ramon (Ange, p. 180) un ragazzo balafré que Pier Paolo rencontre sur la Place d’Espagne à Rome. Faut-il voir dans ces occurrences une simple fantaisie de la part de l’écrivain, ou le signe d’une obsession qui le contraindrait à rendre son père, d’une façon ou d’une autre, présent dans son oeuvre ? Reste que l’image du père est bien le centre de toute sa création, le point qui motive toutes les quêtes et toutes les créations, la force et l’inquiétude qui ordonnent l’interrogation et dont découle le travail d’anamnèse et d’écriture, conditions sine qua non de la découverte de la vie et du plaisir.
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Dominique Fernandez, qui porte un prénom bisexué, était peut-être plus enclin qu’un autre à s’interroger sur l’identité sexuelle et surtout ne pouvait pas imaginer possible de dissocier la question « qui suis-je ? » des questions « qui est mon père, cet absent ? » et « comment parvenir à vivre ? ». Dès le premier roman ces questions sont posées mais c’est par la rigueur, par une quête plus ordonnée et plus construite, en perdant la confusion poétique qui présidait à L’Écorce des pierres pour gagner en ambiguïté psychologique et en efficacité dramatique, que Dominique Fernandez a pu explorer les différents moyens d’interroger ce passé mystérieux et sombre dont il a hérité.
L’histoire des parents, et plus particulièrement celle du père, est une énigme à résoudre, une enquête à mener toujours plus avant dans chacun des livres par chacun des héros, tous héritiers maudits de cette quête à jamais insatisfaite. Pour Gian Gastone, la dénonciation de la nature réelle de son héritage est un moyen de se révéler à lui-même et au monde sa propre identité : il ne renonce pas à son héritage mais ne l’accepte qu’à condition, par son comportement, d’en révéler tous les aspects. S’il consent à être le fils du Grand-Duc, ce n’est que pour montrer la déchéance d’un monde qui avait espéré continuer à vivre sur un prestige reposant sur des mensonges.
Pour le héros, interroger la figure du père c’est donc immanquablement s’interroger soi-même et cette étape indispensable à toute quête initiatique, ce travail de définition ont pour constat qu’il est impossible d’échapper au piège de l’identité. Dans l’oeuvre romanesque, ces personnages de l’excès, devant renoncer au rêve de l’indistinct, au mythe orphique (mythe et rêve qui ne sont que la tentation d’une fuite loin du père), préfèrent vivre de façon ostensible cette prison humaine : par l’enfermement, par la provocation ou par le renoncement à leurs désirs... Ainsi, l’exploration de l’imago paternelle retrouve ses prolongements dans la recherche de modes de vie qui appartiennent à la marge, à la clandestinité, à ce que la société réprouve. Le roman est donc la réponse choisie par Dominique Fernandez pour échapper au sort de ses héros, tout en posant toujours, selon des déclinaisons variées, des latitudes et des éclairages différents, la même question de l’identité toujours habitée par l’énigme paternelle, question structurante de son oeuvre.
Ce questionnement, moteur de la création romanesque est aussi la condition de la découverte du plaisir : il faut d’abord gagner le droit de vivre par le devoir de la réflexion, par la recherche méthodique du père. L’écriture, seule, permet de rendre au père et ce n’est donc pas un hasard si les grands romans de Dominique Fernandez sont aussi les biographies de héros auxquels il laisse le soin de se raconter. L’écriture ne serait-elle pas, comme le montre Porfirio, le seul moyen de parvenir à la sérénité et d’avoir l’espoir de surmonter la crise de la quête d’identité ? L’écriture permet donc la découverte du plaisir, et cette liberté hérissée d’obstacles sociaux apparaît comme l’autre étape de la révélation de l’identité, celle où le personnage saisit le sens de ses ambiguïtés passées en les consignant par écrit, dans la douleur et le plaisir de l’écriture patiente et exigeante, dont il sait qu’elle est à présent son oeuvre véritable.
Le suffixe italien -ino est un diminutif, c’est donc par rapport à un castrat plus illustre, bref, un modèle inaccessible dans l’ombre duquel il lui faudra rester, que Porporino accepte de prendre place, de commencer sa vie et sa carrière.
San Paolo, Turin : Einaudi, 1977 ; trad. en français par Giovanni Joppolo : Saint Paul, Paris : Flammarion, 1977.
Dans son éreintement du film Farinelli, Dominique Fernandez précisait sa distinction entre le romancier et l’historien, et donnait une définition assez précise de sa conception de la création romanesque : « Certes, les auteurs d’un ouvrage de fiction ne sont pas tenus de respecter platement la vérité. Mais à condition qu’ils sachent imaginer dans le sens de l’histoire, en comblant les lacunes de la science historique. » « L’Empire des castrats » [à propos du film de Gérard Corbiau], TéléObs, 2 mai 1996.
V. Le Métier d’écrire.
Molière et Proust en 1979, Balzac en 1980, Messages en 1981 et Gide en 1985.
En effet c’est d’abord François Mauriac, qui, ayant accepté de devenir son parrain en littérature et en religion au nom de son amitié pour Ramon Fernandez, a encouragé les débuts de Dominique Fernandez à La Table ronde. Le jeune écrivain a ensuite contribué très régulièrement à La N.R.F pendant dix ans, mais a donné son premier essai, Le Roman italien et la crise de la conscience du monde moderne (1958), et L’Écorce des pierres (1959), son premier roman, à Grasset.
Il faut d’ailleurs noter à ce propos qu’il signe : Dominique Ramon-Fernandez, en 1948, sa première nouvelle (« L’Amour sorcier ») et ses deux premiers articles de critique littéraire pour La Gazette des Lettres sur Stendhal (« Stendhal ou le quarante et unième fauteuil ») et pour La Table ronde sur Stendhal et Pascal (« Un trop étonnant disciple ») et, en 1951 : D. R.-Fernandez et Dominique Ramon-Fernandez. Puis, en 1955, au moment où sa collaboration à La Nouvelle Revue Française débute pour rester régulière pendant dix ans, tous ses articles sont signés Dominique Fernandez, ce qui provoqua, se souvient l’auteur, la colère de sa grand’mère qui lui reprocha d’avoir renié son père.