3) À l’opéra : le plaisir de l’instant

Jamais l’idée de spectacle total n’a semblé convenir aussi bien pour définir l’exigence de Dominique Fernandez lorsqu’il se rend au spectacle. Non seulement il veut entendre des « gosiers » doués, mais il veut voir évoluer des acteurs dans des décors et des mises en scène qui servent les situations dramatiques d’un livret qu’il prend d’ailleurs le soin d’étudier. Redoutable critique de spectacle, il ne connaît pas la demi-mesure lorsqu’il émet son opinion : l’enthousiasme ou l’éreintement. Toutefois, il recherche aussi dans l’opéra, et cela semble plus curieux après avoir évoqué ces exigences, une certaine dose d’imprévu. Ainsi, il a déclaré : « Je n’aime pas que tout soit trop parfait à l’opéra. J’aime que quelque chose tombe du décor, se dérobe à la convention 152.» N’est-ce pas là un paradoxe intéressant dont il faut chercher à comprendre le sens ?

Mais quel spectateur Dominique Fernandez est-il vraiment ? Nous le retrouvons dans Le Banquet des anges à Munich, où, là encore, l’analogie entre la statuaire baroque et les personnages d’opéra, entre les différentes sources de plaisirs oraux est montrée et célébrée par quelques pages. Mais le festival de la « grosse ville cossue » retient l’attention et l’admiration de l’auteur qui, outre le plaisir qu’il prend à l’opéra, regarde la salle, s’interroge sur les habitudes munichoises et se demande comme ce peuple comprend le « rococo ».

‘Quand Aix présente trois opéras, Salzbourg cinq, Munich en affiche quatorze pendant le mois du festival. Devant une salle en grande toilette, robes longues pour les femmes, smokings blancs pour les hommes. Bras dessus bras dessous les couples font le tour du foyer. On peut se moquer de leur mine satisfaite, de leur teint prospère, de leur allure compassée, mais pour ce qui est de l’amour de la musique, quelle comparaison établir entre la prétention et le snobisme du public parisien, et la gravité recueillie des Munichois ? Siffler pour une fausse note paraît ici inconcevable. Cohue pour la Bohême chantée par Pavarotti et Freni, billets vendus à neuf cents francs, mais pas de délire à la fin, de culte stupide des divas.
Banquet, pp. 169-70.’

C’est en fait une nouvelle source d’interrogation qui apparaît ici, et qui, malgré la perspicacité de l’auteur, ne trouvera pas de réponse. Le sens du baroque et du « rococo » identifié jusque-là se heurte à une limite avec ce public qui ne ressemble pas à celui des autres peuples épris des délices de la Contre-Réforme. À Munich, ce public allemand aux « Mercedes invulnérables alignées le long des trottoirs », l’attitude de ces amateurs et le programme du festival provoquent ensemble l’étonnement.

‘Passer en vingt-quatre heures des Champs-Élysées de Gluck à la caserne d’Alban Berg, ce n’est pas seulement traverser les siècles, c’est redécouvrir, après la face sentimentale et bénigne de l’Allemagne, son visage démoniaque et cruel. Lequel est le plus vrai ? Où ce pays à l’âme double se reconnaît-il le mieux ? Question impossible à résoudre, éternelle énigme à laquelle le voyageur ne trouvera pas de réponse, et moins que jamais en se demandant quelle place l’art baroque occupe dans l’échelle des valeurs germaniques.
Banquet, p. 170.’

La perplexité de l’auteur a une raison personnelle précise car, s’il est un amoureux fou de l’Allemagne romantique, il déteste celle du miracle économique ; or Munich figure précisément cet équilibre précaire et pourtant réalisé entre deux tensions antagonistes, l’essor économique se mettant au service de la création artistique, le public bourgeois et discipliné, amateur et fervent, témoignant d’une maturité certaine, bref, une image en contradiction avec toutes les définition développées par Dominique Fernandez sur le public de l’opéra baroque, où l’indiscipline, l’art de l’improvisation, la spontanéité sont aussi sources du spectacle... L’auteur, qui fonde en effet sa conception du baroque sur l’idée de l’instant et de la précarité, sur l’incertitude et la surprise, voit dans cette salle de spectacle une antithèse absolue : ce peuple aisé et solide conserve le goût d’une époque antérieure, et cela, pas par affectation ni par dévotion religieuse. Ici, Dominique Fernandez devient spectateur des spectateurs, il observe tous les détails de cette double mise en scène, s’interroge et finit par se résoudre au silence. À l’opéra, le spectacle est aussi dans la salle, et à Munich l’auteur découvre un spectacle auquel il ne s’attendait pas, le contre-exemple même de la tradition du public baroque, et si, honnêtement, il reconnaît la valeur de ce public, il n’est pas en mesure d’en comprendre les moeurs. Une « énigme » pour lui...

À Salzbourg, nous assistons cette fois à une scène où Ferrante Ferranti et Dominique Fernandez sont tentés de renouer avec la tradition sudiste de l’opéra : spectateurs, dans le feu de leur enthousiasme, ils ne peuvent s’empêcher de devenir acteurs. Dans un premier temps, le récit offre la description sage et précise du lieu de représentation, mais bientôt le ton se fait plus pressant, le récit s’anime d’une passion, celle qu’ils ressentent au spectacle, de telle sorte que l’impression est donnée au lecteur de voir et d’écouter lui-même Idomeneo :

‘C’est l’événement, ici, ce serait la fièvre, avec une assistance moins guindée. Le Manège des Rochers, une des trois salles d’opéra à Salzbourg, est un théâtre à ciel ouvert, creusé au flanc de la colline ; la muraille rocheuse, taillée en arcades, sert de décor naturel. Comment celui [Pavarotti que nous venions de quitter à Munich, sanglotant sur le corps encore tiède de Mimi, s’en tirerait-il en passant de la mansarde de Rodolphe au plais royal d’Idoménée ? Sa carrure légendaire fait merveille dans ce rôle de père castrateur [...]. Une interprétation historique, et un exemple, rarissime dans les annales de l’opéra, de la conversion d’un ténor héroïque aux subtilités baroques.
Banquet, p. 218.’

La progression sensible du discours, le crescendo dessiné par cette suite de questions qui retrace l’incertitude produisent des effets de réel, et le plaisir est finalement à la taille du suspense, très grand, et, se laissant aller à leur jubilation, les deux compagnons oublient qu’ils sont à Salzbourg :

‘Après la dernière note, nous nous abandonnons à notre enthousiasme, en criant, à l’italienne : bravi ! aux chanteurs. Nos voisins nous regardent suffoqués. Quelle froideur dans ce public ! Ils s’habillent encore plus richement qu’à Munich, une veste de smoking noire les déshonorerait, ils paradent aux entractes dans l’immense foyer, mais ne manifestent leur satisfaction que du bout des doigts. Avec nos chemises ouvertes et notre tapageuse frénésie, sans doute nous prennent-ils pour des émigrés siciliens qui ont fraudé à la caisse.
Banquet, p. 218.’

Exemplaire du style des récits de voyage, cet extrait montre bien comment sont mêlés l’humour et le souci de précision pour conter une anecdote et pour, à partir de celle-ci, susciter une réflexion. Ici, la restitution par l’écriture du charme du spectacle et de la cocasserie de la situation permettent au lecteur d’établir sa propre typologie des salles de spectacle et des spectateurs en Europe. Enfin, après Munich et Salzbourg, mais avant Naples, continuons encore à vivre par procuration aux côtés de Dominique Fernandez, non seulement la grâce du voyage mais celle de la musique en nous attardant en Europe centrale.

Prague, dans le même récit de voyage, apparaît comme une nouvelle et déterminante étape musicale. À Prague, le récit prend l’allure d’un journal, les instants de l’étape sont minutieusement consignés, le ton empreint d’une certaine gravité indique que l’enjeu est important : l’auteur semble pressentir la menace d’un changement, et accorde donc d’autant plus de valeur à cette halte dont les découvertes et voluptés sont appréciées comme des expériences éphémères. Est-ce pour rompre un peu avec cette attitude sérieuse que Dominique Fernandez introduit la musique par une boutade : « Le lecteur, ne trouvant que des récits de matinées et d’après-midi, se demandera ce que nous faisions de nos soirées. Nous allions à l’opéra.  » (p. 335). Mais l’humour a peut-être une autre justification, celle par exemple de suggérer sur un mode mineur la dérision qui sera l’un des grands enseignements musicaux de ce chapitre.

‘Tour à tour nous avons entendu Eugène Onéguine, Freischütz, La Traviata et un ballet, Spartacus. Cet ouvrage est-il imposé aux spectateurs ? Quel plaisir prendraient-ils à voir une révolte d’exclaves se faire écraser par des soldats en armes ? Autodérision ?
Banquet, p. 336.’

À partir de ce paradoxe, Dominique Fernandez poursuit une réflexion qui tend à mettre en rapport l’art baroque et « l’âme tchèque ». C’est Le Mur du Diable, opéra de Smetana qui semble offrir le principal sujet d’interrogation : « Le Mur du Diable résulte de la juxtaposition, non de la fusion, de deux éléments restés bien distincts dans l’ouvrage : le parodique et le sublime. » Guidé ici dans sa réflexion par Jiri, un jeune homme tchèque, l’auteur démontre que la musique semble l’art le plus à même de suggérer l’esprit ou l’âme d’un peuple. Est donc reproduite la conversation avec Jiri, dont le point de départ était cet opéra de Smetana, c’est-à-dire un exemple musical, une nouvelle preuve que l’opéra n’est pas seulement un divertissement mais une source riche et puissante de réflexion :

‘Smetana le premier a donné l’exemple : il s’est libéré de l’académisme par le rire. Ce Diable qui t’a paru si grotesque lui a permis de retrouver sa faculté inventive et de créer le personnage bouleversant de Vok. Chez nous, on n’arrive au sublime que par le détour du sarcasme et de la dérision. Bien entendu, ajoute en hâte Jiri, nous n’arrivons pas toujours au sublime, mais nous avons adopté la dérision comme une gymnastique salutaire.
Banquet, p. 343.’

Confirmant les soupçons de Dominique Fernandez, le jeune homme analyse le tempérament de son pays, le rôle de cet esprit dans la création artistique et se livre à partir de la pensée bohémienne à une interprétation de l’opéra. Après une illustration de la dérision pratiquée jusqu’à « la dérision de la dérision », l’ambigu festin musical trouve son écho dans la littérature.

Le Bouquet de fleurs : belle oeuvre de Bohuslav Martinu. Tandis qu’un choeur d’enfants chante sur le mode humoristique la tragédie du péché originel, je songe aux livres de Milan Kundera et à ce mot qu’il a exalté dans un de ses romans : la litost. Mélange de tristesse, de compassion, de nostalgie et d’humour, sentiment profond de la misère humaine et sursaut narquois pour la déjouer, désespoir par la plaisanterie, accablement tonique ou déprime gaie, de quelque manière qu’on essaye de définir ce terme intraduisible, il me semble exprimer une variété typiquement tchèque du baroque.
Banquet, p. 344.’

L’oeuvre musicale est, malgré sa réputation de pouvoir à échapper à un sens précis ou à une réalité, la base même de cette réflexion et permet donc la compréhension de l’étroit rapport entre la mentalité d’un pays et entre une expression artistique, une histoire politique et ses conséquences esthétiques. La musique introduit ici la littérature, elle en révèle et en souligne la valeur, elle revendique et manifeste le lien entre les différents genres d’expression comme réponses ou remises en question des conditions de vie. La notion de baroque, comme celle de plaisir, ouvre donc le champ à une gamme étendue de représentations, et pour Dominique Fernandez le plaisir premier de l’oeuvre se double d’un second plaisir qui est celui de la pénétration de son sens.

Dans Budapest, petit guide dont la vivacité montre l’amour de l’auteur pour cette ville, cinq pages sur les treize que compte le volume sont consacrées à la musique lyrique 153 et à la musique populaire 154. Toutefois, retenons ces quelques phrases qui confirment et prolongent les impressions pragoises, et qui leur donnent, en raison même de la brièveté du texte, plus de poids encore. Ainsi, sur le rôle de la musique dans la culture hongroise, on peut lire :

‘Comme dans tous les régimes soumis à une oppression politique et morale, tout ce qui reste libre dans la culture se concentre dans la vie musicale. La nation s’exprime en musique et allège par la musique le poids de la servitude. Hungaroton n’enregistre qu’avec des artistes hongrois, l’Opéra n’engage que des artistes hongrois : non par chauvinisme, mais par nécessité vitale. Bien plus que Vienne, où par la musique on s’efforce de conserver quelque chose d’un passé mort, Budapest est une ville-musique, une ville où la musique est source jaillissante et permanente affirmation à la vie.
Budapest, p. 11.’

À Budapest comme à Prague, Dominique Fernandez est profondément sensible à cette fonction totale de la musique, à cette mission première qu’elle remplit : libérer le peuple des contraintes qui pèsent sur lui. En Europe centrale, on le sent bien, aller à l’opéra n’est pas un devoir culturel ou le signe d’un prestige social, c’est une question de salut individuel ; l’auteur trouve dans la pratique musicale et dans le public sa propre dévotion, sa propre recherche de sens et de pureté, un plaisir qui n’a pas été dénaturé par l’embourgeoisement d’une société 155. L’auteur, pour la reprise de son récit de voyage dans La Perle et le Croissant, n’a pas modifié la partie écrite sur la Bohême, si ce n’est en y ajoutant de nouveaux chapitres, fruits de nouveaux voyages dans les dix années qui séparent les deux ouvrages : le plaisir ressenti et évoqué a aussi la dimension historique d’un témoignage. Et il n’est pas toujours prudent de revenir sur ses pas : ainsi, c’est une déception qui point chez l’auteur du Volcan sous la ville quand, vingt-cinq ans après son premier et déterminant enthousiasme pour l’art lyrique italien, il doit reconnaître tristement : « Quelle misère ! » (Volcan, p. 104). S’il se réjouit de la démocratisation de l’opéra, il ne peut pas admettre la dégradation de la qualité musicale des spectacles proposés. La comparaison qu’il mène à cet égard entre un Barbier de Séville contemporain du Volcan sous la Ville et La Forza del destino ou le Cosí fan tutte de 1957 est très révélatrice de la décadence musicale napolitaine.

Au-delà d’une douloureuse déception, on peut voir dans cette scène une manifestation de la nature décadente de Naples, d’un laisser-aller qui, loin de plaire à l’auteur — partagé ici entre son goût pour les cités décadentes et son amour pour le bel canto —, confine au non-sens puisque le génie musical napolitain semble avoir renoncé à exprimer aussi admirablement qu’autrefois sa propre fascination de l’échec et ses nombreux cultes. Ainsi, Dominique Fernandez se pose avec consternation la question à laquelle il semble répondre lui-même un peu plus loin :

‘Un public nouveau, non plus de mélomanes, non plus de festivaliers, mais de jeunes profondément touchés par un art qui exprime leurs secrets fantasmes. Ah ! pourquoi ne pas faire du San Carlo, qui a tous les titres requis, la capitale de l’opéra baroque ?
Volcan, p. 111.

[...] Naples regorge de trésors et abonde en intelligences de premier ordre, mais [...] elle ne sait ni les reconnaître ni les utiliser.
Volcan, p. 117.’

Il n’a pas pu retrouver la magie ni le plaisir de la première fois, il faudra désormais aller plus loin, aller ailleurs qu’à Naples qui semble perdue pour les charmes de la musique par incurie et manque d’effort. Le voyageur réagit en cela comme un Français, un peu à la manière d’un de ses personnages de Porporino qui ne peut se résoudre à voir se perdre tant de dons, tant de beauté, tant de talent.

Mais il faut terminer cette étude sur un vrai plaisir pour être juste, il faut faire place encore une fois à l’enthousiasme jubilatoire et à la vivacité du commentaire, montrer comment l’art, le religieux et le beau sont liés dans la conception que l’auteur se fait du spectacle vivant. Dans L’Or des Tropiques, ce ne sont plus des statues qui sont comparées à des héroïnes d’opéra, c’est une cérémonie rituelle qui devient une scène d’opéra. Nullement par volonté d’en réduire la puissance émotive ou d’en amoindrir le sens, mais bien plutôt pour tisser une fois encore un réseau de correspondances entre les mythes originels. Il élève donc le « candomblé » au rang de la tragédie grecque ou de la liturgie lyrique. Présenté comme un spectacle (deux « actes » et un « entracte »), comparé avec une autre cérémonie rituelle, cette soirée (dont le récit s’étend sur dix pages 156) s’apparente à la savante mise en scène du profane et du sacré, du spirituel et du charnel, grâce à la danse, à la musique et aux interprètes. Faute de nous référer longuement au chapitre, nous pouvons retenir deux passages qui montrent à quel point l’analogie est élogieuse et fait sens pour l’auteur :

‘La musique reprend, et cinq personnages magnifiques font une entrée majestueuse. Pourquoi cinq seulement, et pas tous les fils et filles-de-saints visités ce soir par leur orixa ? À quoi tient ce déficit ? [...] Il n’y aura que cinq danseurs, et ils danseront exactement dans le même ordre que celui de leurs transes. La petite ronde initiale, pour se présenter à la galerie, ne dure pas plus de quelques minutes. Place aux solistes ! Place aux virtuoses, aux divas et aux divi !
Or, p. 247.’

On le comprend, par ces différentes questions Dominique Fernandez ne remet pas en cause la qualité ni la beauté de ce qui s’offre à ses yeux mais s’interroge sur la part de spectacle, de mise en scène et de convention qui le sous-tend. Plus éloquente encore est la dernière page de ce récit qui, loin de se ranger à l’avis de Pierre Verger, — montrant là sa distance critique, l’indépendance de son esprit et la qualité personnelle de son jugement —, pousse jusqu’en son point extrême sa comparaison avec l’opéra, changeant cette soirée religieuse en une sorte d’opéra des origines :

‘Dans l’ensemble, une grande « réussite », ne puis-je m’empêcher de penser. Un opéra totalement maîtrisé. Ils ont mis en scène la descente des dieux sur la terre, de la même façon que, à l’époque de Monteverdi ou de Händel, on voyait Vénus et Apollon quitter l’Olympe pour se déguiser en mortels. Rien de plus différent du candomblé de l’an dernier, défoulement collectif d’hystéries féminines que la fête de ce soir où chaque pas, chaque geste a obéi aux directives d’un scénographe rigoureux. Dans les cours baroques on appelait « oeil du prince » le lieu du théâtre (la loge du fond et au milieu de la salle) d’où le souverain avait la meilleure vision de la scène. A Balbino , installé en position frontale dans son fauteuil-paon, le terreiro qu’il gouverne a offert un superbe spectacle.
Or, p. 251.’

Aucun doute, cette cérémonie est bien un « spectacle » pour Dominique Fernandez et c’est précisément parce qu’il la considère ainsi qu’il l’apprécie pour sa rigueur esthétique, pour la mise en scène des divinités qu’il y voit. Subit-il l’influence de sa propre passion pour l’opéra en menant cette comparaison, ou au contraire celle d’un esprit par trop cartésien qui supporte mal la vue des « transes » ou de la possession, et qui a recours à une autre interprétation, celle de la mise en scène ? Notre réserve semble bien fragile, car rappelons-nous le récit d’un autre candomblé 157 et, malgré les digressions d’ordre psychanalytique qui sont une autre façon de rationaliser, nous devons convenir que l’auteur paraît sincèrement intéressé par cette manifestation spirituelle et se prête même à l’initiation. Perspicacité, ou crédulité ?

Pas de voyage sans musique, ni de musique sans voyage. Toute musique n’est-elle pas, pour Dominique Fernandez, l’occasion d’une investigation dans l’univers sonore, mais aussi dans le livret, la vie du compositeur, celle du musicien, et dans le plaisir de la vie du spectacle, de sa fragilité ? Une fois encore, Le Voyageur enchanté, par son propos mais aussi par son sous-titre (« Voyage musical en Italie »), vient nous offrir le point d’orgue. Dominique Fernandez a bien dépassé l’Italie et sa curiosité balaie tous les domaines musicaux. De plus, son expérience, sa culture musicale montrent le cheminement même de son âme. Du mythe au personnage, de l’abstraction à la réalité du spectacle, de la magie sonore à la vie de la mise en scène, toutes ces relations merveilleuses ne devaient-elles pas aboutir à son engagement personnel dans l’opéra par l’écriture de livrets, comme Le Rapt de Perséphone ou Les Chevaliers de la Gorgone ?

Notes
152.

Propos tenus lors de l’émission « Mélomanuit » animée par Alain Duault, FR3, mars 1992.

153.

Budapest, pp. 7-9.

154.

Ibid., p. 10-1.

155.

Le voyage raconté a lieu avant la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc communiste : le jeune Tchèque qui s’entretient avec Dominique Fernandez, appelé Jiri par l’auteur est en réalité Václav Jamek, écrivain et traducteur.

156.

L’Or des Tropiques, pp. 241-51.

157.

L’Or des Tropiques, pp. 240-1.