5) Le plaisir sicilien

La Sicile est sans doute le lieu où Dominique Fernandez est revenu le plus souvent, le lieu auquel il a été le plus fidèle, y ayant même fait construire une maison en 1965, y passant chaque été jusqu’en 1989. La Sicile aura nourri, chez lui, tous les types d’écriture : relations de voyage (Mère Méditerranée et Le Radeau de la Gorgone), essais et articles (Les Événements de Palerme), articles sur les auteurs siciliens, sur la « sicilitude », sur la musique... (repris pour la plupart d’entre eux dans Le Voyage d’Italie), livrets d’opéra (Le Rapt de Perséphone et Les Chevaliers de la Gorgone), et roman (L’École du Sud et Porfirio et Constance), album (Palerme et la Sicile). C’est de la Sicile mythique, de la Sicile baroque et de la Sicile actuelle qu’il est question à travers tous ces livres : inépuisable source d’inspiration.

La raison de cet amour pour la Sicile est dévoilée dès les premières pages de la partie qui lui est consacrée dans Mère Méditerranée : « Déjà le propos de m’intéresser à des styles qu’on peut rencontrer ailleurs m’avait quitté pour la curiosité des hommes et des moeurs qui ne se trouvent qu’ici. » (p. 172). Une fois encore, à l’image de cet amour de l’Italie qui habite Dominique Fernandez depuis sa découverte de Rome, c’est le spectacle de la Sicile vivante, celle de la rue, celle que l’on touche et que l’on sent partout qui justifie la passion et la relation de voyage.

‘Indiquer un itinéraire ? Mentionner nos lieux préférés ? Ce serait mettre de l’ordre, c’est-à-dire, agir à contresens de Palerme. Palerme, c’est d’abord une atmosphère, des bruits, des odeurs, un tissu dense, mystérieux d’émotions. Aller à l’aventure, s’abandonner à ce qui se présente, monter et descendre les rues tortueuses, encaissées, sombres, se perdre dans le dédale des venelles, se faufiler dans une cour de palais, somnoler sur la margelle d’une fontaine, voilà les seules façons de saisir un peu de cette ville énigmatique, à la fois glorieuse et humiliée, splendide et meurtrie, victime d’innombrables déprédations et violences.
Palerme, p. 15. ’

Il en est donc de l’initiation à Palerme et à la Sicile de même que pour la pénétration dans Naples : la méthode, encore une fois, est celle de la promenade. Les mots de « bruits », d’ « odeurs » et d’« émotions » annoncent d’emblée la sensualité sicilienne, la mise en scène populaire d’un plaisir qui n’attend que le bon vouloir du promeneur et qui promet de satisfaire tous les sens pour peu que l’on soit prêt, comme le montre Dominique Fernandez, à se laisser aller sans compter son temps, à se laisser envahir par les voluptés de cet univers baroque.

C’est sans doute parce que la première expérience sicilienne, celle du marché, est la plus simple, la plus évidente mais aussi celle qui satisfait tous les désirs, qu’il faut, comme Dominique Fernandez le fait souvent d’ailleurs, commencer par elle. Le marché sicilien est l’occasion non seulement d’appréhender les moeurs du peuple sicilien mais de se familiariser avec les saveurs et les goûts siciliens : les produits, les vendeurs, les formes de transactions, tout entre jeu dans cette initiation, dans cette « école du Sud ».

‘Suffocant, éblouissant marché de Palerme ! Des fruits et des légumes de toute espèce et de toute couleur s’amoncellent dans un fantastique bariolage : les tomates, petites et fermes, du plus beau rouge ; les aubergines violacées, oblongues et celles, dites tunisiennes charnues et ovales comme un ballon de rugby [...]. Plus loin, les pièces de viande, blanchâtres, où l’odorant jasmin a été planté ; les paquets de tripes, rugueuses comme des peaux de mouton ; les centaines de poissons, les plats et les gluants, les roses, les bombés, le poisson-épée homicide, une lame noire à la place du nez, les pieuvres effondrées, les calmars ; les piles de fromage véreux ; les ribambelles de charcuteries suintantes. De grands parasols crème protègent du soleil ces amas de douteuses victuailles que les vendeurs proposent à cris stridents. Le premier choix revient aux mouches. Des milliers et des milliers de mouches tourbillonnent joyeusement des tas de nourriture à vendre aux tas de nourriture pourrie jetée derrière l’étal. J’ai toujours sauté dans les livres les énumérations de couleurs et les descriptions de légumes, mais j’envie aujourd’hui les écrivains à plume pittoresque. Il faudrait rendre : la munificence incroyable des rouges, des jaunes, des verts [...] ; la vibration de centaines et de centaines de doigts qui palpent, tripotent et retournent sur leur ventre luisant les poissons aux yeux gris ; l’air crâne de ces rangées de cadavres, embrochés sur une tige de jasmin ; l’ultime parade des volatiles de basse-cour suspendus au bout d’une ficelle, le corps nu mais la queue de toutes ses plumes empanachée ; la misère, la saleté, consumées en intempérance d’étalages ; le goût absurde pour l’accumulation de marchandises souvent incomestibles ; l’art de se consoler par les yeux des offenses de la vie. Et encore : la voix rauque, la voix sifflante des gamins maraudant entre les piles de cageots et les monceaux de détritus ; la litanie des noms de légumes, des noms de poissons, modulés sur une note basse, unique, obsédante, par les vendeurs infatigables ; la pénombre lourde maculée d’éclaboussure de soleil ; l’odeur infernale de la nourriture surie.
Bientôt, je ne m’appartiens plus. Dépossédé de moi, comme je crois qu’il faut être à Palerme, je deviens la flore tumescente que mes doigts caressent au passage, la déjection visqueuse où le pied me manque. Je suis plante, ordure, tintamarre. Je poisse et je pue. Je ressemble à ce cochon vivant, qui fait sa bauge des immondices. J’enfle, je voudrais enfler, je voudrais me glisser dans le corps des énormes acheteuses qui m’écrasent.
Ô mamme ! Ô race singulière ! Je croyais n’aimer que les femmes minces, mais celles-ci ne sont plus des femmes et il est possible de les aimer d’une autre façon, qui n’a plus rien d’humain non plus. Dans ces étroits boyaux où l’on peut tout juste se croiser entre deux haies de gaillardise potagère, il suffit d’abandonner son corps au contact de leurs chairs regorgeantes, réservoirs infinis de lait et d’indulgence. J’ai livré ainsi, mon genou, mon coude et pressenti une vie inconnue où l’aveugle volupté de toucher abolirait toute ambition. Toucher, toucher jusqu’à la satiété ! Toucher et enfoncer, toucher et disparaître
Mère, pp. 174-6.’

Plus que la description du marché palermitain, ce passage offre l’exemple typique de l’expérience du plaisir dans le Sud. Au marché, Dominique Fernandez montre non seulement que chacun de ses sens est tenu en alerte, flatté ou agressé, mais en tout cas fortement stimulé par toutes ces sources de spectacle et d’émotion, mais qu’il doit, là, pour s’initier à cette fantaisie et à cette exubérance, renoncer désormais à être un Français et même à être un individu. C’est avec une nouvelle identité, qu’il ressort de cette expérience, avec un statut nouveau qui le relie au mystère de la vie et à l’univers tout entier. Son éducation, sa nationalité, ses goûts même, sont annulés par le flot d’émotions provoqué par le marché : ce qu’il aimait, ce qu’il détestait ne compte plus. Les mots employés : « dépossédé de moi », « toucher et enfoncer », « toucher et disparaître » ; les temps utilisés : le présent pour la description du marché opposé au passé qui montre ce que n’est plus le narrateur ; tout ici indique la force de cet instant où l’écrivain ne se contente pas de visiter un marché mais où il sent qu’il doit faire corps avec cette abondance de nourriture, pléthore d’aliments et de sentiments que le style transcrit non seulement par l’énumération mais par une sorte d’ivresse verbale. Enivré et séduit par ce spectacle au point de l’apprécier dans sa totalité, dans sa saleté, sa pourriture comme dans ses effets séduisants, Dominique Fernandez livre ici le secret de son initiation sicilienne : le marché n’est rien de moins que l’équivalent d’un rite de passage, l’étape initiatique par excellence que l’on trouve dans la littérature des origines, dans les grands romans de Chrétien de Troyes. Tous les thèmes qui marquent cette entrée dans « l’Autre Monde », nous les trouvons ici dans leur forme la plus pure : dépossession de soi, errance de la conscience entre des impressions contradictoires, affrontement d’une épreuve (ici abandon de l’éducation, du bon goût), abandon de la vieille identité pour devenir un autre homme (thème de la métamorphose), pénétration enfin dans le domaine secret de ce qui est « énorme », généreux, de ce qui coule à profusion. Univers « suffocant » qui évoque le monde de l’enfance par sa simplicité et aussi celui du conte avec ces mamme, créatures inimaginables, monstrueuses et extraordinaires.

Paradoxal, ce marché ne provoque pas l’appétit, mais un éveil de tous les sens qui seront mobilisés lors de la grande expérience baroque qui peut commencer après cette initiation palermitaine. La transaction, le commerce, ne sont pas le but en soi de ce spectacle mais la mise en scène de la vie elle-même, de cet art de vivre sicilien. Et tout le monde n’est pas naturellement séduit 183. Ainsi Adeline, Française en Sicile, réagit en s’opposant aux moeurs, au spectacle du marché, elle réagit avec sa nationalité, refusant de communier avec les gens, de s’adapter aux lois secrètes du lieu :

‘Robuste et saine fille du Midi quand les mythologies mondaines ne lui tournaient pas la tête, elle retrouva avec plaisir l’odeur forte des charcuteries surchauffées, l’opulence des verdures potagères, les cris rauques des matrones, le grondement des clameurs lancées par-dessus les piles de victuailles, le pittoresque des marchandages qu’émaillent le piaillement des gamins, le caquet des dindons et les invocations du paradis.
Quelles différences, pourtant, avec un marché français ! Nulle part on n’affichait les prix, qui dépendaient du contact personnel avec le client. Derrière son fourneau de tôle posé de guingois sur un trépied, le vendeur de friture ne criait pas, comme à Toulon : « Achetez mes beignets ! » mais : « Oh ! comme ils fument ! » Adeline voulut savoir combien ils coûtaient. Le petit drôle, au lieu de répondre, lui en offrit un. « Voyez d’abord si vous les aimez ! » Gênée, elle s’éloigna. La marchande de pastèques l’accueillit en brandissant la moitié d’un fruit qu’elle soulevait à deux mains. « Comme elle est rouge ! Comme elle est belle ! »
Partout la même scène : à la jeune femme qui demandait le prix des denrées, on vantait la couleur, la fraîcheur de la marchandise. Insensible à ce lyrisme, elle craignait qu’on voulût la rouler. Nous cherchons, nous autres Siciliens, à embellir par l’emphase poétique les misères et les déboires de la vie. Adeline était trop française pour admettre qu’un vif plaisir ressenti par les sens conduit plus sûrement au bonheur que la mesure des réalités : si, ayant mordu dans une pêche achetée un sou, elle s’était aperçue qu’on l’avait volée d’un centime, la pêche lui eût paru moins savoureuse.
Éc. Sud., pp. 166-7. ’

Il faut abandonner son éducation, ses habitudes, ses repères quand on veut pénétrer au coeur de la Sicile. Adeline, elle, représente pour le romancier le parfait exemple de l’esprit français qui voudrait pouvoir juger de choses étrangères comme s’il était en France, qui estime sa civilisation si supérieure à celle des autres qu’il lui semble naturel de vouloir en imposer les règles partout ailleurs. L’initiation est manquée, car elle est refusée et même impensable : Adeline n’accepte à aucun moment d’abdiquer sa volonté, de se laisser aller au plaisir immédiat de cette abondance de nourriture et de cette absence de règles commerciales ; ainsi, achetant des prunes et exigeant que le vendeur les lui pèse, elle « gagna deux centimes, mais perdit une occasion de s’amuser gratuitement. » (p. 168).

Sens du jeu et de la fête, absence de règles, goût du spectacle, sens du luxe aussi puisque le négoce se transforme en un jeu poétique, la nourriture devient plus qu’un moyen de se nourrir : une source de divertissement. La première définition de la « sicilitude » apparaît donc à travers ces évocations de marchés à Palerme 184, aperçu premier, en fait, de ce que sont vraiment la civilisation baroque et la Sicile pour Dominique Fernandez :

‘Étalages des marchés, amoncellements de victuailles, pyramides de fruits et de légumes, panneaux de charrettes, mules empanachées, marionnettes aux cuirasses étincelantes, ce peuple a le sens inné du faste et du beau. Flâner dans la rue est la meilleure initiation aux véritables richesses de la Sicile. Abondance de bigarrures, exubérance de l’imagination : une sorte de baroque spontané, qui donne envie de connaître l’autre baroque, le baroque savant, produit par des hommes de culture.
Gorgone, p. 15.’

Or, si à ce baroque spontané correspond un baroque savant, à cette nourriture simple, accumulée, entassée, correspond aussi une nourriture que l’on pourrait qualifier de « savante », le raffinement extrême de l’art culinaire pour Dominique Fernandez, le contrepoint pâtissier des inventions de la sculpture et de la musique baroques siciliennes : la pâtisserie.

‘Oui, c’est « tout amande », et toute volupté. Je ne sais ce que valaient les potirons confits de Santa Caterina, mais les petits fours du Saint-Esprit, dont nous dégustons quelques échantillons pendant que la soeur, sur notre prière, va nous en chercher une autre ration, feraient se damner la Trinité entière. Onctuosité arabe ou opulence baroque ? Les coquilles sont fourrées de pistache et de citron : l’humble emblème de saint Jacques renferme un viatique qui nous mènerait au bout du monde. La croûte des boules, ferme et dorée, abrite de moelleuses et parfumées mixtures non identifiables tirées du fruit dont l’arbre tapisse la vallée au pied des temples. Les dieux de l’Olympe étaient-ils mieux traités ? Le patronage d’Athéna n’a donc pas été invoqué en vain par les habitants de la ville chrétienne si des bénédictines, de leurs doigts grassouillets, ont recueilli le secret de la mythologique ambroisie.
Gorgone, pp. 289-90. ’

Lait d’amande, granitas, cassata, schiumone, petits fours mais aussi caponata de poivrons et d’aubergines, beignets de crevettes et salades au basilic : voilà les mets siciliens susceptibles de flatter le palais et la gourmandise de Dominique Fernandez. La pâtisserie sicilienne, plus particulièrement, vendue dans des couvents, préparée par des nonnes, satisfait non seulement le désir du gourmet, mais permet, au-delà, de renouer avec une certaine forme d’authenticité : ce n’est pas seulement ici le plaisir de goûter à des sucreries rares, mais c’est aussi et surtout le bonheur de trouver par hasard un lieu où un rite conventuel de vente est encore en vigueur. Mystère du tour et du cloître où apparaît et disparaît la nonne dispensatrice de ces voluptés sucrières, jeu du désir sur un mode mineur, secret enfin de la fabrication (« moelleuses et parfumées mixtures non identifiables ») : l’écrivain choisit de tenir son rôle et de se soumettre à ce jeu du rite, donnant même dans l’emphase, il surenchérit sur la signification de la scène, la transformant en un moment de transsubstantiation, mais dans une acception païenne du mot puisque la métaphore filée renvoie aux dieux de la mythologie grecque plutôt qu’à celui de la chrétienté.

Partout, dans tous les lieux visités par Dominique Fernandez, dans ce couvent comme ailleurs, la Sicile offre le plaisir d’une théâtralité de la vie quotidienne, une dramaturgie comique ou tragique qui replace l’individu au centre de l’univers et exacerbe ses questions d’identité. C’est aussi cette authenticité des rapports de l’homme avec le monde dans lequel il vit, cette quête perpétuelle de soi et des autres, cet inlassable questionnement qui explique l’amour de l’auteur pour la Sicile. Et, afin de mieux préserver l’intégrité de son « bout du monde », du lieu où il a séjourné tous les étés pendant plus de vingt ans, Dominique Fernandez n’a pas hésité à transformer le nom du village qu’il aimait tant, faisant du réel Portopalo un légendaire Calataporto 185. Limite évidente ici des aspects de guide touristique que peut prendre la relation de voyage fernandezienne dans cette volonté de tenir caché aux touristes français le secret de son bonheur sicilien !

Mais revenons plutôt à cette théâtralité sicilienne dispensatrice de plaisir mais aussi d’un profond questionnement métaphysique pour l’auteur. Trois domaines révèlent cette théâtralité : la rue, l’art baroque et la littérature siciliennes. Inutile sans doute de revenir sur le marché palermitain et les habitudes commerciales siciliennes, leur mise en scène des moeurs de l’homme du Sud est évidente. On trouverait d’ailleurs aisément des dizaines d’exemples supplémentaires pour montrer que « la vente » n’est pas le but du commerçant mais le contact personnel avec le chaland, le jeu, la parole.

L’art baroque constitue le reflet esthétique de ce mode de vie. Il est, pour Dominique Fernandez, le révélateur du tempérament sicilien :

‘De toutes les Siciles qui se sont succédé, la plus vraie est la Sicile baroque : non pas seulement parce que les monuments qui en restent sont d’une incomparable splendeur et d’une roborative fantaisie, mais parce que l’art baroque, fait de surabondance palpable, qui construit ses façades comme un pâtissier de génie ses gâteaux, est le seul qui importe à un peuple doutant tragiquement de lui-même et demandant aux formes qu’il crée des preuves de son existence.
Italie, pp. 559-60.’

Dans cette définition de la sicilitude, l’auteur a soin de démontrer à quel point l’art baroque et les différentes formes qu’il peut prendre, de la plus populaire à la plus savante, sont entièrement constitutives du tempérament sicilien. Pour lui, l’art baroque est un moyen d’exorciser des peurs, des angoisses, il s’agit en les représentant de mieux les maîtriser, d’en rire et de se laisser séduire aussi par leurs images. Le baroque sicilien offre donc une adaptation de l’art baroque né à Rome, un enrichissement de la thématique baroque avec ses propres thèmes, ce qui fonde sa propre histoire et sa culture. Deux images de cette sicilitude sont souvent rappelées par Dominique Fernandez, l’une mythique, l’autre populaire, pour montrer les fondements de ce caractère sicilien : le tablier de la femme de Pietraperzia et la Gorgone. Le premier représente la mosaïque culturelle dont est issue la Sicile, le second, sorte de conséquence de cette multitude de sens, blason de la Sicile, exprime le tempérament sicilien :

‘Cruel envers lui-même, regardant le monde comme un théâtre d’illusions et de méprises, familier avec la mort, poussant la plaisanterie jusqu’au blasphème, le prince de Palagonia nous apparaît comme une figure emblématique de la Sicile. Si même le blason de l’île, depuis l’Antiquité, est aussi aberrant, lunatique et railleur que le faux blason de la villa ! Non pas un temple majestueux au bord d’une mer limpide, ou quelque autre allusion à la sérénité, à la sagesse des Grecs, mais (les trois pointes de l’île, Trinacria pour Virgile, expliquent le choix de la triade sans expliquer le symbole) une tête de Gorgone au centre d’un cercle d’où pendent trois jambes, ailées aux talons, qui tournoient en hélice. La négation de tout ce qui est mesuré, posé, « noble », rassurant, une image de frénésie et de démence qui devait plaire à l’expert en tératologie. Gorgone : monstre à chevelure de serpents, à dents de sanglier et à ailes d’or. Le prince aurait eu un motif supplémentaire de se réjouir s’il avait su que les psychiatres trouveraient dans les dessins de malades mentaux certaines figures (appelées dans leur jargon « céphalopodes ») analogues aux blason tournoyant de la Sicile. Une découverte propre à le conforter dans l’idée qu’un Sicilien n’aura jamais assez de méfiance ni de dédain pour tout ce qu’on peut raconter de lui.
Gorgone, pp. 135-6.’

La folie, cette démesure et ce sentiment profond de la précarité de toute chose nous la retrouverons sous la plume du romancier quand il s’agira d’exprimer la mentalité sicilienne à partir de la destinée des trois tantes de Porfirio, chacune représentant une forme de lubie (des blasons, des plantes, de la parole), trois (comme les trois soeurs de Tchékhov et comme les trois jambes de cette Gorgone) créatures à la recherche d’une chimérique noblesse, d’une consolation. Théâtre dans les églises, théâtre encore dans le décor monstrueux de la villa du prince de Palagonia, théâtre de marionnettes dans la rue de Palerme : la Sicile, pour Dominique Fernandez, montre à travers ce goût de la fable et de l’exagération son angoisse d’être « un, cent mille et personne », des personnages en quête d’une identité. Et si l’auteur donne précisément à sa relation de voyage le titre de Radeau de la Gorgone, c’est justement parce que ces Siciliens rencontrés à Palerme, Syracuse, Catane ou Agrigente lui donnent tous l’impression d’être à la fois des rescapés (des tremblements de terre, des éruptions volcaniques ou de la misère) et des élus placés sous le signe inquiétant et mythique de la Gorgone.

L’humour dans les représentations du baroque savant côtoie donc des formes plus tragiques et parfois plus macabres. Dominique Fernandez traque avec autant de plaisir et de curiosité le jeu et la gaieté des premières que la sévérité des secondes. Parmi les exemples les plus frappants de cette volupté ressentie face à la statuaire baroque sicilienne, citons, d’une part, celui de Serpotta et de ses petites créatures du Rosaire de San Domenico et, d’autre part, celui du Cimetière des Capucins.

‘Rien n’est plus curieux que de voir les occupations réputées les plus graves, les occasions qui passent pour solennelles, entraînées elles aussi dans le tourbillon ludique. Voici deux garnements qui veillent sur le sommeil de leur camarade. Celui de gauche (ils se tiennent tous les trois sur le rebord d’une niche) est assis bien droit, les bras passés autour d’un des genoux, et regarde d’un air de commisération amusée le dormeur, vers lequel se penche celui de droite, un doigt sur ses lèvres charnues. Tous ont des corps potelés et des joues rebondies. Un autre groupe, de trois également jouent aux funérailles : le mort est renversé en arrière, soutenu par un de ses compagnons. Image classiquement baroque de la pâmoison, mais corrigée ici par l’ironie de cette petite jambe et de ce petit bras dodus. Le marmouset qui soutient le mort s’efforce de prendre une physionomie pénétrée ; il arque la bouche et regarde fixement devant lui, mais cette mimique s’inscrit dans un visage si rond, au milieu de chairs si grassouillettes que le contraste prête à sourire. Le troisième putto cache sa douleur sous un morceau d’étoffe dont il se frotte les yeux : là encore, Serpotta tire un effet étonnant de cette miniaturisation du deuil.
Bien d’autres réussites sont à noter ici. Quatre atlantes flanquent les deux portes d’entrée : avec leurs rides profondes, la grimace de leur bouche et de leurs yeux, quelle image grignante, dérisoire, de la maturité virile !
Gorgone,
pp. 104-5.’

Le plaisir provoqué par un sentiment de surprise, l’impression de découvrir sans cesse de nouveaux signes d’humour : un moyen d’appréhender les grands instants de la vie dans un éclat de rire, comme si rien ne méritait d’être pris au sérieux. À cet art baroque ludique et malicieux qui comble le regard curieux d’originalités de l’écrivain correspond toutefois une forme plus inquiétante de célébrer ce même moment capital de la vie humaine : la mort. Au jeu, à la farce de ces bambins ailés qui jouent la comédie des funérailles fait pendant une mise en scène de la mort plus curieuse encore, effrayante celle-ci : celle du cimetière des Capucins.

‘Les morts du cimetière des Capucins à Palerme ne sont pas des morts au repos. Leur inquiétude nous inquiète, leur désarroi nous bouleverse. Ce sont des morts déterrés, expulsés une seconde fois du giron maternel et remis en circulation comme des vivants, pour jouir, souffrir et grelotter dans le jour blafard des galeries exposées aux courants d’air. Pas des revenants, comme l’avait bien compris Alexandre Dumas. Les revenants « reviennent » des royaumes de l’au-delà où ils ont vu, entendu, touché des certitudes. Les morts de Palerme ne « reviennent » pas d’ailleurs. Ils sont restés là, empêtrés dans leur condition humaine ; ayant subi, après le premier trauma de la naissance, le second trauma de l’exhumation. Créatures doublement et infiniment misérables, que l’avantage de se retrouver à huit mille et le bonheur de se serrer les coudes en nombreuse compagnie ne consolent pas d’avoir perdu l’intimité d’un lieu clos.
Gorgone, p. 143. ’

On peut donc jouer à la mort ou faire jouer les morts en Sicile, et ce jeu avec la représentation du fugace, du précaire, ne laisse pas de surprendre dans sa forme coquine comme dans sa forme fantastique : ce qu’y trouve Dominique Fernandez dans les deux cas est la confirmation de son analyse de la sicilitude, la sensation évidente de se voir confronté à une culture et à un peuple qui n’ont pas les mêmes rapports avec la vie et avec la mort que le reste de l’Europe et même que le reste de l’Italie. Ici, la mort est traitée avec une sorte de dérision mais ce spectacle n’évacue pas la peur, il l’intègre au contraire dans son jeu. Masques, caricatures, facéties et même bouffonneries ne sont que des modulations sur un même thème, celui de la destinée, et qui rendent plus chère encore, à l’écrivain, l’île qui sait si bien jouer, comme lui, des oxymores et des alliances de termes.

Dernières images, enfin, qui montrent elles aussi à quel point la Sicile est le lieu du questionnement de l’identité, celle du fameux tablier mentionné un peu plus haut. Sans rappeler toute l’anecdote de celui-ci, il faut cependant reproduire l’analyse que fait Dominique Fernandez de ce tablier rapiécé :

‘Le tablier offert par le mari était beau, de diverses couleurs, à motif floral : mais il avait le défaut d’être d’un seul tenant. Un tablier rapiécé, fait de pièces et de morceaux, est le seul qui puisse convenir à une femme de Sicile : c’est-à-dire un pays qui n’a pas eu une seule identité, mais d’innombrables. Qui a été sicane, sicule, grec, carthaginois, romain, byzantin, normand, souabe, angevin, espagnol, piémontais. Et qui ne sait encore aujourd’hui s’il est italien ou sicilien, ni même s’il fait partie de l’Europe ou de l’Afrique. En sorte que le tablier de la femme de Pietraperzia, rapiécé comme il est, est vraiment l’emblème de la Sicile ; l’image vestimentaire de trois mille ans d’histoire précaire, mouvante et sans cesse recommencée. Son emblème, son drapeau : en loques, mutilé, lamentable, si l’on veut. Mais en même temps fier et glorieux, battant au vent de toute l’énergie vitale de ses couleurs intrépidement juxtaposées.
Italie, p. 558. ’

Terre de métissages, la Sicile offre un rêve permanent : celui de ne pas savoir l’origine exacte de la richesse naturelle, artistique ou culinaire de ce que l’on y apprécie. Tout a réussi à se fondre ici, à s’unir et à se mélanger contre toute attente, pour produire quelque chose d’original et d’authentique, prêt à accepter de nouvelles richesses venues d’ailleurs pourvu qu’elles puissent aussi s’acclimater aux moeurs et aux latitudes siciliennes. Ce métissage fondamental, ces couches successives formées par des civilisations différentes, dont Palerme ou Agrigente sont les meilleurs exemples, est en fait pour l’auteur une promesse de voyage sans fin puisque à partir du voyage réel peut commencer, comme dans une poupée russe, un deuxième voyage à travers les siècles et un troisième encore à travers les pays, et ainsi de suite, jusqu’à l’épuisement improbable de ces richesses devenues siciliennes.

Les sources de plaisir dispensées par les enrichissements provoqués par ces différentes vagues d’occupation sont évidentes : la beauté, le raffinement pâtissier, le plaisir de voir la fusion de différentes cultures dans un même lieu. Beauté tout d’abord de ces jeunes gens aux yeux clairs : « Yeux souvent admirables, bleus, verts, dorés, qui ne cessent de nous étonner par leur coupe fendue et leur lumière. Comme à Palerme, le passage des Normands a-t-il laissé des traces au sud de l’île ? » (Gorgone, p. 281), beauté que l’auteur voudrait attribuer à ce métissage. Raffinement pâtissier par l’utilisation de toutes les saveurs venues d’ailleurs : « ces confiseries de S. Spirito relèvent plus de la pâtisserie musulmane que du Saint-Esprit chrétien. Heureux exemple de syncrétisme, mais qui n’étonne pas dans cette terre. » (Palerme, p. 106). Et enfin, plaisir du voyageur en quête de beautés architecturales, qui s’enchante à Agrigente de cette fusion culturelle et religieuse :

‘Akragas, Kerkent, Girgenti, Agrigento : à quel saint se vouer ? Quand peut-on dire que la ville d’Agrigente a été le plus elle-même ? Sous les Grecs ? Sous les Romains ? Sous les Arabes ? Sous les Italiens ? C’est un miracle que les Espagnols ne lui aient pas donné, pendant leur domination, un nom espagnol. Dans son destin onomastique, changeant et précaire, Agrigente résume l’histoire de la Sicile tout entière. L’île n’a cessé de passer de main en main, chaque occupant laissant sa marque. Terre conquise, colonisée, exploitée tant de fois, par tant de prédateurs divers, elle n’a pas une seule identité, mais plusieurs qui se superposent et se contredisent.
Est-ce un hasard si Pirandello est né précisément en Agrigente, dans le point le plus instable, le plus vulnérable de la Sicile ? Pirandello, dont les personnages torturés se demandent sans répit qui ils sont, sans jamais découvrir la réponse.
Palerme, p. 103.’

Terre non seulement de plaisir et de rêverie où tout se fond et s’intègre pour former un tout, mais aussi véritable moteur de la création pour un écrivain qui voit chaque jour le théâtre d’une vie se dérouler sous yeux, posant les questions essentielles et pathétiques de toute grande oeuvre. On ne s’étonne pas de l’amour de Dominique Fernandez pour la Sicile puisque l’île est aussi le domaine des écrivains et des romanciers : tous les écrivains italiens qui comptent sont siciliens, note-t-il ainsi, et cela semble aller de soi puisque, pour ressentir le besoin d’écrire, il faut aussi ressentir le besoin de se poser des questions. Questions que, pour sa part, l’écrivain tourne et retourne sans cesse depuis qu’il a commencé à faire oeuvre de romancier, à l’âge de neuf ans.

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L’Italie, depuis le premier voyage, est devenu plus qu’une terre de dépaysement, un port d’attache, le lieu de la découverte du plaisir et celui de la liberté. Ce pays aux facettes multiples et contradictoires est l’occasion de la découverte de soi et a été pour Dominique Fernandez le socle de la constitution de son oeuvre : des relations de voyage jusqu’aux romans. Mais c’est une Italie personnelle, son Italie, qu’il dépeint et déploie tout au long de ses livres, de Lettre à Dora jusqu’au Dernier des Médicis en passant par Dans la main de l’Ange et L’École du Sud. Or, c’est à partir de personnages qui représentent sa vision de l’Italie que se constitue la trame romanesque, reflet des découvertes et des enchantements du voyageur. Loin de n’être qu’un cadre pittoresque, dépaysant pour le lecteur, l’Italie et l’Italien jouent le rôle de révélateurs de l’esprit français : c’est précisément parce que la conception de la vie de Porfirio et celle de Constance étaient incompatibles que l’échec de leur mariage était inévitable.

L’attachement de Dominique Fernandez pour la Sicile, plus particulièrement, s’explique aussi et enfin par le besoin de se créer une sorte de mythe personnel, un mythe de ses propres origines, une figure reconstituée de son propre père, et au-delà, par la recherche de soi-même, par son inlassable quête d’identité. En Italie du Sud et en Sicile, il a le sentiment de retrouver ses racines mexicaines, et en voyageant il se sent sans doute moins étranger puisqu’il rejoint son mythe. Toutefois, si l’on ne peut s’étonner qu’il ait préféré situer L’École du Sud dans le cadre sicilien qu’il connaît si bien, avec lequel il s’est si profondément lié, on peut s’étonner toutefois qu’il ait voulu donner une place aussi importante au statut d’étranger en France de son père en modifiant profondément la durée de son éducation à l’étranger : toute l’enfance et l’adolescence pour Porfirio tandis que Ramon n’a passé que quelques mois, bébé, au Mexique, grandissant ensuite auprès de sa mère française à Paris.

Et c’est finalement peut-être plus de Dominique Fernandez lui-même que de son père qu’il s’agit dans L’École du Sud quand il est question de montrer la valeur de l’étranger dans la société française, de montrer sa marginalité et sa richesse, comme semble le suggérer ces mots sur le Mexique et sur ses origines mexicaines 186 :

‘Ai-je essayé de renouer le fil brisé ? J’avoue que j’ai moi-même un rapport bizarre avec le Mexique, pays qui me fascine et que je tiens pourtant à distance, comme si j’avais peur, une fois que j’y aurais mis le pied, de ne plus jamais en repartir. Je lis tout ce qui est traduit du mexicain ; soeur Juana Inès de la Cruz, Octavio Paz ou Juan Rulfo sont devenus des compagnons. Grand voyageur, j’ai parcouru le monde, mais ne suis allé que deux fois au Mexique, très tard (en 1985 et 1988) et pour de brefs séjours. Il y a une civilisation qui me touche plus que nulle autre au monde, c’est la civilisation baroque, avec son épicentre romain et ses prolongements à l’est jusqu’à Saint-Pétersbourg et à l’ouest jusqu’à Guanajuato. N’est-ce pas mon hérédité mexicaine qui m’a donné le goût d’un art si méconnu et méprisé des Français, le seul parmi les peuples catholiques à l’avoir proscrit de son territoire ? J’ai écrit des romans baroquisants et des livres sur l’art baroque en Italie, en Bavière, en Autriche, célébré les grandes villes baroques d’Europe et d’Amérique latine, Naples, Prague, Saint-Pétersbourg, Séville, Lisbonne, Salvador de Bahia, Ouro Preto, mais, chose curieuse, ce grand domaine baroque qu’est le plateau central du Mexique, entre Zacatecas et Oaxaca, je ne l’ai encore que visité. Ce livre sur le baroque mexicain, je sais que je l’écrirai, mais quand ? Ce sera le dernier de la série en tout cas, la fin du cycle. Peur de me laisser engloutir par un pays dont je me sens, mentalement, si proche ? Désir de repousser une tentation qui menacerait mon identité intellectuelle ? Antique appréhension qui, après avoir tenu éloigné le père, empêche le fils de se ressourcer à la vraie origine des Fernandez francisés ? [...]
Cependant, le Mexique, avant et après cet aperçu d’une de ses classes sociales assurément les moins sympathiques, m’a toujours habité d’une vie secrète et puissante. Jamais je ne me suis senti français. Bien que n’ayant qu’un quart de sang mexicain, et que, né à Paris, j’y aie fait toutes mes études, j’ai grandi avec le sentiment d’être un étranger dans la culture française. Séduit et en même temps angoissé par la composante mexicaine de ma nature, j’ai trouvé très jeune un compromis me permettant de vivre ma mexicanitude sans aller au Mexique. Ce compromis s’est appelé Italie. Non pas l’Italie du nord et du centre, non pas l’Italie classique de Rome, de Florence, de Venise, mais l’Italie du sud, Naples, où j’ai vécu et enseigné, et la Sicile, où j’ai possédé une maison pendant vingt ans. L’Italie classique me plaît, comme à n’importe quel touriste, alors que je raffole de l’Italie du sud. J’éprouve un bonheur physique et comme un renouveau de mon être seulement après avoir franchi l’ancienne frontière du royaume des
Deux-Siciles, à Terracina, entre Rome et Naples.
Pourquoi cette prédilection, cette passion pour l’Italie du sud ? Il ne s’agissait au début que d’un instinct irraisonné, que je ne m’expliquais pas et ne cherchais pas à m’expliquer. Pendant de longues années je n’ai établi aucun lien entre cette attirance et ma composante mexicaine. C’est seulement après avoir parcouru le Mexique que j’ai compris pourquoi j’avais acheté une maison en Sicile, où je passais tous mes étés. La Sicile est un petit Mexique : climat, volcans, végétation, cactus, marchés colorés, femmes en noir, églises baroques, moeurs, métissage (avec les Arabes pour les Siciliens, avec les Indiens pour les Mexicains), l’île méditerranéenne m’est apparue soudain comme un fragment éclaté d’Amérique latine, comme un modèle réduit de ce Mexique que je portais en moi sans le savoir. Puis un ami de Bordeaux, l’écrivain Pierre Veilletet, grand connaisseur de l’Espagne, m’a éclairé en me disant : « Mais c’est bien naturel que vous vous trouviez chez vous à Naples et à Palerme ! Ces villes ont été espagnoles pendant deux siècles et demi, comme le Mexique a été espagnol pendant trois siècles. » Je n’avais jamais pensé à cette étroite parenté entre les anciennes colonies espagnoles d’Europe et d’Amérique ; aujourd’hui, elle me paraît évidente.’
Notes
183.

V. Diane de Margerie, Le Ressouvenir, pp. 201-3. Après avoir indiqué ses « sentiments mitigés à l’égard de l’Italie du Sud », elle poursuit et précise :  « J’éprouvais un recul mêlé de pitié, que je devais retrouver, remarquablement exprimé, dans l’oeuvre de Leonardo Sciascia, sicilien amoureux lucide de son pays. Une identification douloureuse me tourmentait devant cette misère, ces fillettes encore minces rivalisant de pâleur avec les poulets exsangues de leurs étalages ; à peine la puberté dépassée, elles enfleraient pour devenir ces matrones qui, dans les rues, empêchaient de passer. » (p. 202) 

184.

V., sur les marchés palermitains, Le Radeau de la Gorgone, p. 36

185.

Dominique Fernandez va en effet jusqu’à inventer l’étymologie du nom qu’il a inventé : « Son nom à moitié arabe désigne-t-il Calataporto comme un avant-poste sarrasin fondé au Moyen Âge ? » (Gorgone, p. 182). Est-ce un hasard si l’écrivain donnera pour nom à sa maison pyrénéenne, située à quelques kilomètres du Boulou, le nom arabe de Kalat, ce qui signifie « château, citadelle » ? Or, de château, il n’y en a apparemment pas plus à Portopalo qu’aux Chartreuses du Boulou, la citadelle selon Dominique Fernandez revêt donc quelque sens personnel et mythique, un lieu qui parvient à se tenir miraculeusement à l’écart des importuns touristes !

186.

Texte original, cité d’après la dactylographie de l’auteur, d’un article paru en trad. espagnole (due à Álvaro Uribe) dans le n° de la revue Biblioteca de México en grande partie consacré au centenaire de la naissance (1894) et au cinquantenaire de la mort (1944) de Ramon Fernandez. Texte français publié ensuite en mai 1995 dans ALFIL (la revue de l’Institut Français d’Amérique Latine à Mexico).