CHAPITRE III : LE RÊVE ALLEMAND

1) Un voyage à travers le temps

L’Allemagne n’a fourni matière qu’à deux romans, L’Amour, qui montre de façon exemplaire le chemin parcouru par l’auteur à travers le périple accompli par son jeune héros, Friedrich Overbeck, et Porporino, mémoires censés être écrits en Allemagne, à Heidelberg. Quête d’un jeune peintre qui se ressent comme romantique à travers l’Europe secouée par les conquêtes napoléoniennes, L’Amour offre le récit de ce destin, confronté aux idéaux romantiques et aux bouleversements provoqués par la découverte de l’art baroque, et reflète l’image de ce que Dominique Fernandez apprécie en Allemagne. Ce n’est pas, assurément, l’Allemagne du miracle économique, l’Allemagne moderne et matérialiste qui intéresse l’écrivain, mais son image passée, ce n’est pas l’héroïsme de Wagner mais le rêve de l’indistinct de Novalis, l’humanisme de Goethe. Bref, aller en Allemagne c’est avant tout faire un voyage dans l’histoire culturelle allemande à travers le romantisme et l’art baroque, et tenter de faire abstraction du culte ridicule du « festival » et du produit culturel qui permet d’offrir l’image de Mozart aux touristes venus, par sens du devoir, assister à la semaine de Salzbourg.

L’image de l’Allemagne actuelle n’est présente que de façon exceptionnelle sous la plume de Dominique Fernandez, pour s’étonner, parfois, pour mentionner un fait d’importance historique, rarement, pour se moquer, souvent, de la morgue d’un public allemand, de sa raideur devant la musique, de son attitude compassée devant les oeuvres d’art.

Répondant aux questions de Manfred Flügge 187, il précise d’ailleurs la nature même de son rêve allemand, la nature de cet amour pour une Allemagne révolue : « J’ai deux pays de préférence, l’Italie qui m’a apporté l’art de vivre, le plaisir, l’opéra, la voix, et l’Allemagne avec laquelle j’ai un rapport plus intellectuel, qui passe à travers ses poètes et ses musiciens. » Il est sans doute nécessaire de compléter un peu cette affirmation puisque, s’il est exact que la littérature, la musique et la peinture allemandes comptent pour l’écrivain, cet intérêt se limite en fait au XVIIIe et au XIXe siècles, et l’on serait bien en peine de trouver d’autres exemples d’intérêt pour l’Allemagne du XXe siècle que celui que porte l’auteur à l’action de Hirschfeld, précurseur de la libération homosexuelle dans son pays, ou aux rares survivances du romantisme dans la littérature, comme chez Hermann Hesse.

Dès lors, on l’aura compris, le voyage allemand est un voyage à travers l’histoire de la culture allemande, un voyage intellectuel qui restitue et rend à la vie dans les romans ce qu’a été l’Allemagne romantique, l’Allemagne de la grande aventure onirique et un voyage plus réel à la recherche des traces de la grande aventure baroque...

Notes
187.

« Entretien avec Dominique Fernandez. Propos recueillis par Manfred Flügge », Lendemains (Berlin), 1990, 15e année, n° 58, pp. 138-46.