2) Pourquoi la Roumanie ?

Comme pour Budapest, l’amitié est à l’origine de la découverte de ce pays : celle que Dominique Fernandez a liée avec Norbert Dodille qui a dirigé l’Institut Français de Bucarest et qui l’a souvent guidé, accompagné dans son initiation roumaine. Quatre voyages entre 1990 et 1996 sont à l’origine du besoin d’écrire cette Rhapsodie roumaine où la soif de découvertes baroques n’est pas étanchée et où il faut donc deviner d’autres motifs, plus humains sans doute, plus intellectuels peut-être. Dans le premier chapitre (« En Roumanie comme en Italie ») qui sert d’introduction au livre, l’écrivain a soin de donner quelques précisions importantes sur ce goût pour la Roumanie, sur la nature même de son regard sur le peuple roumain :

‘Nous avons visité la Roumanie (quatre voyages en six ans) comme nous visitons l’Italie ou l’Espagne : décidés, certes, à ne rien ignorer des contraintes où se débat un des peuples les plus malmenés de notre siècle, mais aussi à nous promener, à flâner, à nous arrêter au bord des routes et à parler avec les gens, comme dans n’importe quel pays dont le régime et les dirigeants, temporaires, importent moins que le milieu vital, les ressources humaines, les beautés naturelles, les monuments, les créations passées ou présentes.
Quand nous sommes à Rome, songeons-nous à nous demander qui réside au Quirinal ou qui préside le Conseil des ministres ? Cessons donc, quand nous arrivons en Roumanie, d’appliquer une discrimination en elle-même blessante, et demandons-nous plutôt : ce pays, dans ses oeuvres vives, qu’a-t-il à nous apprendre, à nous apporter ?
Rhaps., p. 15.’

Nature, culture et authenticité d’un peuple justifient l’entreprise de cette relation de voyage qui fait un peu figure d’exception dans l’oeuvre : il s’agit de combattre des préjugés et de rétablir la vérité sur un pays méconnu et sur lequel, en France, on n’a que des clichés caricaturaux. Tandis que partout en Occident, on n’évoque que la pauvreté, la misère roumaine, Dominique Fernandez choisit, quant à lui, d’évoquer les richesses roumaines et de faire jouer pour son lecteur le levier de la curiosité et de l’amour.

Le projet de ce livre et sa forme, son discours sont on ne peut plus proches du premier livre de voyage qu’il a écrit : Mère Méditerranée, où il n’était pas encore vraiment question d’art baroque mais où la passion pour la vie et la description d’une authenticité culturelle et sociale étaient les maîtres mots de l’oeuvre. Comme dans toutes les relations de voyage, on retrouvera cependant un parcours, une progression retraçant l’itinéraire qu’a pu suivre l’écrivain lui-même.

C’est une sorte de carte des goûts fernandeziens que l’on peut dessiner grâce à Rhapsodie roumaine, de ses goûts premiers que l’on peut ranger dans différentes grandes rubriques : l’art par la découverte d’artistes originaux et de leurs secrètes sources d’inspiration, le plaisir de découvrir une vision des origines, le goût pour une certaine incurie révélatrice d’une mentalité préservée du progrès et des devoirs, la joie de partager la vie d’un peuple qu’il désire mieux comprendre, la jubilation de comprendre le secret des règles morales d’une société.

Si Dominique Fernandez s’applique à souligner la valeur d’écrivains roumains importants tels que Panaït Istrati, Mircéa Eliade, Eugène Ionesco, Tristan Tzara ou du poète un peu moins connu en France, Paul Celan, c’est avant tout pour souligner l’influence de leur pays d’origine sur leur oeuvre et sur leur pensée. Ici, le projet initial de peindre un portrait juste de la Roumanie est pleinement mis en oeuvre. Ainsi, de Panaït Istrati, Dominique Fernandez souligne non seulement les qualités littéraires et l’originalité de conteur : « phrases souples, d’où s’élève la mélopée du conte, ton oral, bonhomie du récit parlé, magie incantatoire » (p. 109) ; mais aussi le courage et la lucidité critiques d’un écrivain qui « sept ou huit ans avant Gide, trente ou quarante ans avant Soljenitsyne » a dénoncé « le vice de la dictature soviétique » (p. 111), qui a su peindre très librement aussi « l’homosexualité à la roumaine » dans ses romans. Près d’une vingtaine de pages du chapitre intitulé « Braïla » ont pour but de montrer l’originalité et la valeur du destin peu commun de ce vagabond lettré et prophète. Ces pages sont en fait constituées d’une sorte de portraits croisés de l’écrivain, de Braïla telle qu’il l’a peinte et de la Braïla actuelle, chacun éclairant l’autre par le sens et l’illustration exemplaire qu’il peut fournir. L’anecdote du bac est sans doute la plus révélatrice de cette méthode de lecture d’une civilisation à travers l’expérience du voyage et la connaissance de sa littérature.

‘Nous sommes les premiers à embarquer. Et donc, de l’autre côté du fleuve, les premiers à débarquer. C’est ici que les difficultés commencent. Le bac est encombré de camions si lourds que son bord arrive bien au-dessous de celui du débarcadère. Il manque au moins trente centimètres. Svetlana, qui conduit ce jour-là la Peugeot, est une jeune Roumaine blonde, très belle, très élégante. Elle se rend compte tout de suite qu’il est impossible de franchir l’obstacle de la dénivellation. « Essayez quand même ! » lui conseillent les débardeurs, avec cette confiance dans l’impossible aussi passive et absurde que la soumission à l’échec. Svetlana sort de la voiture et les apostrophe dans leur langue. Ils apportent deux poutres, mais les couchent sur le bac l’une à côté de l’autre, en sorte qu’elles ne peuvent favoriser en rien la manoeuvre. Alors la jeune femme, se baissant et empoignant elle-même les madriers, les installe de manière à former un escalier de deux marches. Les costauds, sidérés, regardent, sans rien dire, sans esquisser un seul geste, cette Vénus en manteau de cuir placer le dispositif nécessaire. Elle se remet au volant, réussit à sortir la voiture.
Exemple de l’incapacité roumaine. Ces hommes sont des professionnels de la batellerie, ils font le trajet vingt fois par jour, et ils n’ont pas encore trouvé le moyen de résoudre le problème du débarquement, lorsque le bac est trop chargé. Dans ce domaine aussi, rien n’a changé depuis soixante-cinq ans. Au sujet d’un certain monsieur Wolff, ingénieur en chef des docks de Baïla, Istrati écrivait (le Pèlerin du coeur) que « c’est une haute compétence technique et l’un des rares Allemands qui n’aient pas été remplacés par les Roumains sinécuristes, comme c’est le cas depuis qu’on a cru pouvoir se passer des Allemands. On s’en est passé, mais les résultats en sont lamentables. Partout c’est la gabegie, le pillage, l’incapacité. On a dit : “Par nous-mêmes !” Et ce fut le vol et la ruine de la technique “par nous-mêmes” [...] »
Rhaps., pp. 118-9.’

Et Dominique Fernandez de conclure après le récit de cette anecdote, qui revêt pour lui, une signification forte, sur « l’éternel conflit entre l’efficacité germanique et l’incurie orientale. Entre le Nord et le Sud » (p. 119), mais, pas plus qu’Istrati, il ne s’exprime pour condamner cette nonchalance car, depuis sa déterminante expérience napolitaine, c’est au contraire un trait qui exerce sur lui une forte séduction : « Les Allemands sont repartis, les élévateurs sont restés, mais les Roumains continuent à se venger de cette concession nécessaire aux lois triviales du commerce en conservant un bac archaïque et des méthodes de débarquement aussi pittoresques qu’inopérantes. » (p. 121). La Roumanie, pour Dominique Fernandez, est une sorte d’enclave dans le monde occidental, et c’est là une des raisons de son goût pour ce pays, ce refus de se plier aux lois modernes du rendement, cette satisfaction dans la nonchalance et la lenteur. Il y a dans cet amour si particulier une part aussi de nostalgie pour ce que l’écrivain appelle le monde des origines et souvent, dans cette relation de voyage, il offre le récit de quelques scènes qu’il juge authentiques. Ainsi « ce paysage des origines » revêt-il non seulement quelque valeur exemplaire digne d’illustrer l’idée qu’il faut se faire de la Roumanie tout entière, mais est-il, en outre, révélateur d’une attirance pour ce qui est méconnu et parfois méprisé, resté suspendu dans un temps indéterminé :

‘Ce sera notre plus beau souvenir de ce premier aperçu du delta : le sentiment d’une vie à part et de quelques survivants isolés, à l’extrémité de l’univers. Ils subsistent, oubliés de tous, descendants de ces fugitifs et de ces hors-la-loi qui trouvèrent refuge au siècle dernier entre les bras grands ouverts du Danube et transformèrent leur passé criminel en dignité patriarcale. Nom roumain du Danube, Dunarea rend mieux, par sa liquidité profuse (en grec, simple coïncidence ? ρεω = couler, s’écouler, cf. le παντα ρει d’Héraclite), la sensation d’un monde fragile, en perpétuel écoulement. Il nous plaît de penser que les forçats évadés, marins déserteurs, Turcs et Russes en rupture de ban, tsiganes pourchassés, aventuriers de tout poil se sont posés ici comme des oiseaux migrateurs, au milieu de ces marais, dans ces terres de passage où le fleuve qui a arrosé les villes les plus chargées d’histoire, traversé Ulm, Ratisbonne, Vienne, Bratislava, Budapest, Belgrade, fécondé les plus illustres civilisations, fédéré de son cours majestueux la culture européenne, sert pour finir d’abri à une peuplade mal identifiée, de marginaux, d’errants, de parias.
Rhaps
., pp. 124-5.’

Le delta, par ses paysages et par ses riverains, procure sans doute la meilleure synthèse du charme qu’exerce la Roumanie sur Dominique Fernandez : simplicité et beauté d’un paysage où la nature est comme à nu, gentillesse de l’accueil des hommes et des femmes qui, tous, ouvrent leur porte aux voyageurs. L’hospitalité des Roumains est un élément fondamental des récits de Rhapsodie roumaine où dans chaque village, si pauvres soient-ils, les habitants insistent pour offrir un repas ou de la nourriture aux voyageurs de passage. Le récit de voyage prend alors en instantanés des images du vrai peuple, des vraies traditions, et se dessine peu à peu sous les yeux du lecteur une sorte de portrait moral de la civilisation roumaine au coeur de ses villages. Nous ne retiendrons de ces multiples tranches de vie qu’un repas offert par des fermiers parce qu’il montre tout à la fois les qualités de ce peuple et la volonté de l’auteur de faire de cette anecdote la base de son analyse, de ses commentaires :

‘Il manque du bois pour le fourneau. Ildico s’empare de la scie et, toujours en souliers roses à talon aiguille et en minijupe, s’arc-boutant contre le tas de rondins, elle débite des bûches avec une dextérité toute virile. Puis, tandis que l’interminable mamaliga mijote à feu doux, la voilà qui entasse sur ses bras une lourde charge de couvertures et de peaux de mouton. Nous ayant priés de la suivre, elle ouvre la grille arrière de la cour, s’avance entre les épis de maïs sur un sentier à peine tracé et nous conduit, au-delà du champ, jusqu’à un petit pré qui surplombe la rivière.
« Reposez-vous au soleil jusqu’à ce que le repas soit prêt », dit-elle en roumain à Norbert. Elle étale les couvertures dans l’herbe, pour l’isolation, ensuite, pour notre confort, les épaisses peaux de mouton. Ce décor de sérail rustique ainsi aménagé, elle nous laisse pour retourner à ses tâches ménagères. Femme « moderne », indépendante, qui n’a rien d’une odalisque turque, Ildico garde pourtant, à l’égard du sexe masculin, une révérence pleine d’égards. [...]
Le repas a lieu dans la chambre à coucher de la jeune femme, entre la commode, la télévision et les canapés, ce qui la force à un va-et-vient continuel d’une maison à l’autre. Sa mère ne mange pas avec nous ; comme en Sicile, elle reste à la cuisine pendant qu’elle reçoit des étrangers. [...] Ildico qui n’hésite pas à planter ses talons aiguilles dans les excréments de la basse-cour, tient à observer pour nous le code d’un cérémonial suranné.
Rhaps., pp. 245-6.’

Hospitalité et raffinement dans le dénuement, simplicité et respect de règles strictes : tout dans cette scène semble relever du paradoxe et de l’inattendu. Situation de la femme, conditions de vie de la société, tout représente un intérêt pour l’auteur et jamais sans doute depuis que la relation de voyage a pris sa forme définitive, les portraits d’hommes et de femmes, réalisés tant par le photographe que par l’écrivain, n’ont été aussi nombreux que dans Rhapsodie roumaine, livre qu’il faut ici rapprocher de L’Or des tropiques, non seulement en raison de cet attachement pour des corps et des visages mais aussi parce que le mode de vie décrit y est, par certains aspects, semblable (simplicité et pauvreté, débrouillardise et courage) et parce que ce sont deux pays où se rencontrent, où vivent des hommes de races et d’origines différentes. C’est une indéniable fascination pour les tsiganes qui se dégage des pages consacrées à Bucarest, où, sans nier nullement le racisme dont ils sont victimes, Dominique Fernandez et Ferrante Ferranti mettent en valeur la beauté physique de ces hommes et de ces femmes, leur charme et leur noblesse, mais ne cachant rien des anecdotes qui émaillent leur rencontre avec ce peuple de nomades proscrits.

‘À peine s’est-on arrêté pour regarder le magnifique spectacle de ces hommes et de ces femmes au teint de brique, minces, droits, de vrais seigneurs sous leurs oripeaux bigarrés, qu’une nuée d’enfants accourent à toute vitesse pour mendier des cigarettes, de l’argent. Relevant leur jupe sur leurs pieds nus, les femmes foncent à leur tour. Bientôt elles sont sur vous, contre vous, avec cette technique de l’attouchement multiple, de la visite au corps, de la caresse fouilleuse, avec cette dextérité digitale, avec cet art d’inspecter en un rien de temps le contenu de vos poches, tout en endormant par leur mélopée nasillarde vos réflexes de défense. Le sel moyen, peu glorieux, de repousser cette molle, flasque, tétanisante agression, est de prendre la fuite, avant que les hommes n’arrivent en renfort. On les dit armés et prompts à jouer du couteau : une rumeur, sans soute, mais qui n’incite guère à la confiance.
Rhaps., p. 145.’

C’est, malgré le désagrément de la situation, un sentiment de sympathie, sinon d’admiration pour ce peuple, qui domine tout le récit. Loin de porter un quelconque jugement sur ces voleurs, Dominique Fernandez semble considérer leur agression comme une contrepartie de la beauté et de l’exclusion, non pas seulement comme une conséquence sociale et économique mais comme un fait qui révèle l’authenticité de ce peuple, sa marginalité. On peut d’ailleurs comparer cette scène de Rhapsodie roumaine avec deux autres récits similaires dans L’Or des tropiques (pp. 120, 177-8) : l’agression, c’est là un risque que le voyageur doit savoir accepter, auquel il doit se préparer. La dimension initiatique du voyage tient aussi à cette réalité, indispensable pour apprécier comme un jeu, comme un rite naturel, un « art », ces épisodes où se mêlent la peur et le plaisir : peur d’être volé, peur même de mourir d’une agression mal conduite, mais plaisir de voir opérer le voleur, expert, rapide, maîtrisant parfaitement à Bucarest la technique de l’attouchement, à Bahia celle de l’affrontement, à Belém celle de la ruse. Ces techniques sont assimilées à des méthodes ancestrales de chasse, des gestes qui attestent de la perpétuité d’une culture. Il ne sera donc question ni de racisme ni même de mécontentement, mais au contraire d’une certaine satisfaction de constater que le voyage mène bien vers ces rives où le voyageur pourra rencontrer les derniers survivants de civilisations véritables, les derniers vrais parias non acquis encore aux règles de la société moderne, de telle sorte que ce sera à lui, voyageur et potentielle victime, d’avoir honte de fuir devant ces « seigneurs »...

Inversion des termes, retournement du commentaire attendu de la situation, tout, dans ces récits évoque les représentations structurantes du plaisir dans l’oeuvre romanesque où la volupté est liée à une sensation de mort provoquée par une agression réelle.

Reste encore, avant de quitter ce lieu si authentique mais si peu baroque, à expliciter le titre même de cette relation de voyage : Rhapsodie roumaine. Il s’agit d’abord du titre d’un spectacle dont la publicité est assurée par une affiche, « une “féerie sur glace” (en français) dont les attraits louches semblent fasciner les badauds, privés sous la dictature de tout spectacle qui pût contenir quelque suggestion érotique » (p. 193). C’est pour l’auteur l’occasion de parfaire son analyse de l’opposition des deux mondes, tsigane et roumain, qui se côtoient en Roumanie, c’est là qu’il trouve matière à la composition d’un chant libre, d’inspiration nationale et populaire, dans cette recherche d’une définition, en tenant compte de tous les contrastes de ce pays. La raison même du racisme des Roumains envers les tsiganes, il l’explique par ce rapport à la liberté et à l’érotisme dont les premiers ont été privés et dont les seconds sont les rois :

‘L’érotisme, nous l’avons vu s’épanouir dans la noce tsigane de l’hôtel Bulevard, calea Victoriei, où nous étions entrés, attirés par une obsédante, lancinante mélopée. Un banquet de plusieurs dizaines de couverts était dressé dans une salle louée, sans doute assez cher, ce qui indique que tous les romanichels ne courent pas dépenaillés sur les routes. Ceux de la noce m’ont révélé quel autre danger, pour les Roumains élevés depuis un demi-siècle dans le puritanisme socialiste, présentent les tsiganes. Dans un espace minuscule, ménagé entre les tables du festin et la plate-forme de l’orchestre, se trémoussaient presque sur place, la mariée et quelques-unes de ses parentes ou amies. [...]
Noiraude, obstinée, frénétique, elle s’offrait à tous les regards, dans sa nudité aussi peu virginale que possible, du moins d’après nos idées, qu’elles soient chrétiennes ou marxistes. Aucune autre occasion n’aurait pu rendre plus perceptibles la différence des cultures, et le vieux fonds, archaïque, « primitif », sauvage où puise la tribu des errants, pour qui une cérémonie nuptiale n’est ni un acte religieux ni un contrat social mais une ruée dans l’interdit.
Rhaps., pp. 194-5.’

Ainsi, la rhapsodie roumaine de Dominique Fernandez correspond bien au projet de conter et montrer quelle est selon lui l’image de la Roumanie, de décrire son peuple tel qu’il apparaît dans ses contradictions et ses richesses, dans sa pauvreté et sa beauté, librement, sans se laisser influencer ni par les préjugés compassés d’un Occident à la recherche de scandales ni par les témoignages passés... Telle une oeuvre musicale, la relation de voyages expose des thèmes centraux qui sont repris, transformés et enrichis tout au long de l’ouvrage et qui font office de symboles d’un pays : le village en bois, la mamaliga, la pomme et le berger. Le plaisir roumain pourrait ainsi se résumer au plaisir de la rencontre d’un peuple qui n’a pas perdu son authenticité et dont le dénuement même favorise la découverte de la pureté et de la vérité. En quelque sorte, la Roumanie représente une île, un territoire d’exception dans l’Europe acquise au progrès, un lieu où l’écrivain a la joie de retrouver les sensations qui l’ont poussé vers le voyage au moment où il découvrait l’Italie du Sud et la Sicile : sous son refus du progrès une culture des origines, à travers son fatalisme une conception particulière de l’existence, et dans son incurie le secret du bonheur.