3) L’Amérique du père

C’est sur le même continent qu’il faut rester pour trouver les origines paternelles de Dominique Fernandez, et pourtant, dans ce Mexique des origines, il n’est allé que deux fois. Certes il s’est intéressé un peu à sa généalogie, mais, contrairement à ce qu’il a annoncé196, le grand livre sur le baroque mexicain n’est pas encore paru et, jusqu’à présent, l’écrivain semble plutôt s’être construit un Mexique de circonstances par désintérêt du Mexique moderne.

Tout d’abord, si l’on revient aux réponses qu’il a fournies à la revue Biblioteca de México, force est de constater qu’il s’en tient prudemment à des généralités et, si la visite au Mexique, la découverte du baroque et des paysages mexicains, lui a, dit-il, permis de comprendre sa passion pour la Sicile, cette tentative d’analyse psychobiographique qui s’appuierait non pas sur le père mais sur le grand-père ne convainc pas vraiment, à cause sans doute de sa brièveté et de la faiblesse de ses arguments. Car, pour comparer la Sicile et le Mexique il évoque « climat, volcans, végétation, cactus, marchés colorés, femmes en noir, églises baroques, moeurs, métissage (avec les Arabes pour les Siciliens, avec les Indiens pour les Mexicains) », l’auteur pourtant si scrupuleux et si attaché au détail, à l’exactitude se contente ici de généralités et se garde bien de développer les éléments de cette énumération. Et, il justifie cette parenté providentielle qui révèlerait tout à coup les racines profondes de l’auteur de L’École du Sud, en faisant appel à l’argument d’autorité d’un « grand connaisseur de l’Espagne » en la personne de Pierre Veilletet qui lui a proposé une tentative d’explication (« Mais c’est bien naturel que vous vous trouviez chez vous à Naples et à Palerme ! Ces villes ont été espagnoles pendant deux siècles et demi, comme le Mexique a été espagnol pendant trois siècles »), mais finalement, il manque, quand il s’agit d’évoquer le territoire mexicain, ce qui justifie toujours le vrai voyage et ce qui fait naître la passion fernandezienne : le plaisir. Jamais le mot n’apparaît dans ces lignes, comme si la contrainte, le sens du devoir (de la dette, peut-être) en interdisaient l’évocation... Un autre motif essentiel fait défaut, dans cette évocation du Mexique : celui de l’art de vivre, gage d’authenticité baroque mais surtout terreau et ciment de l’élection de l’écrivain pour un lieu. Et comment ne pas penser que dans l’identité espagnole du Mexique, — assimilée un peu rapidement à la domination espagnole de Naples et de la Sicile par les Espagnols —, réside justement une des raisons qui retiennent Dominique Fernandez hors du Mexique ? Car, rappelons-le, il se considère comme profondément étranger à la culture et au mode de vie espagnols et se réjouit souvent, à Séville, au Portugal ou au Brésil, de ne pas trouver de marques de la superbe et de l’orgueil espagnols, de ne pas assister aux spectacles de processions religieuses qu’il a pu juger « sadiques » ou « fanatiques » en Espagne.

En fait, pas plus que dans L’École du Sud, il n’a vraiment rendu la vie à son père, n’a totalement exorcisé son image obsédante ni expliqué son énigme ; il ne semble pas se considérer, malgré les rappels à l’ordre d’une grand-mère paternelle possessive et autoritaire, comme à demi mexicain, mais bien plutôt, ce qui le rend plus riche et rend son héritage plus ambigu aussi, comme à demi étranger.

L’Amérique du père, sans être limitée aux frontières réelles d’un Mexique où Ramon Fernandez n’est allé que deux fois, pourrait bien être pour Dominique Fernandez, sinon ce territoire mythique où tout récit initiatique doit conduire, le voyage lui-même : instant de découverte d’un espace différent, de quête de soi-même par la rencontre des autres, et de déterminante expérience du plaisir...

Notes
196.

Voir supra, p. 344.