CHAPITRE II : NOSTALGIE ET DÉSIR D’UN ROMAN D’AVENTURE(S) ?

1) Les romans du plaisir

Le sous-titre donné à Porporino, Les Mystères de Naples, montre assez dans quelle veine Dominique Fernandez voulait placer son « premier vrai roman », celui que n’importe quel lecteur doit considérer comme le roman de la maturité : c’est en effet dans la lignée du roman populaire, du roman d’aventures, qu’il veut se situer, après Eugène Sue et ses Mystères de Paris. Un roman qui mêle l’action et une intrigue sentimentale, dont le premier but est de séduire, de divertir le lecteur.

C’est la lecture d’un des romans pour la jeunesse de Gustave Aimard, Les Trappeurs de l’Arkansas (1858), qui provoque d’abord l’envie et le besoin de l’écriture chez l’enfant à l’âge de onze ans. Rien de surprenant en soi que ces histoires d’Indiens donnent le goût de l’aventure et du voyage, mais ce qui ne laisse pas d’étonner, c’est l’exploitation personnelle qu’il fait déjà de ce thème et de cette source littéraire : le héros de son roman, Oeil de feu, est déjà un double et substitut du père qui répond au nom de « don Ramon ». Tout enfant, il semble avoir déjà pressenti, derrière l’action et l’aventure, la richesse de relations, d’images et de scènes dans lesquelles son imaginaire pourrait trouver place, et sa quête une réponse.

Le point de vue de Dominique Fernandez sur cette littérature réputée facile, réservée aux enfants, sera donc double : il s’agira d’une part d’en montrer la grandeur, de dire la satisfaction immédiate que l’on éprouve à sa lecture, mais aussi d’en dévoiler les véritables lignes de force pour révéler au lecteur la raison de la fascination profonde que de telles oeuvres peuvent exercer non seulement sur les enfants mais aussi sur les adultes, pour mettre en valeur ce souffle de la création auquel personne ne saurait résister parce qu’il s’adresse à la part la plus intime, la plus sensible, de chacun.

Dans le discours tenu par l’auteur sur Dumas, auquel il consacre des dizaines d’articles, sur Stevenson, dont il écrit : « Si cet auteur de romans d’aventures pour enfants fascine encore les adultes d’aujourd’hui — L’Île au trésor n’a pas pris une seule ride — c’est qu’il fut un merveilleux précurseur de la sensibilité moderne », sur Simenon ou sur Melville, se manifestent une volonté de réhabiliter, au sens où il réintroduit leurs oeuvres à leur vraie place dans l’histoire de la littérature, et aussi un désir de révélation, dans la mesure où il dévoile cet arrière-plan que, enfant, le lecteur n’a pu que sentir sans le verbaliser, deviner sans le retenir.

‘[...] le goût des trésors, des bateaux, des aventures ne doit pas faire illusion. Rien de moins innocent que cette apparente puérilité. Depuis les travaux de Marie Bonaparte sur Edgar Poe ou de Marcel Moré sur Jules Verne, depuis les études admirables de Bachelard, on sait quelle symbolique profonde se cache sous les rêveries de la mer et de l’argent. Parions qu’un exégète rompu aux méthodes de la psychanalyse nous dirait qu’il n’y a pas de femmes dans les romans de Stevenson, mais leur substitut, l’eau, le flanc des navires, les coffres bondés d’or. Il nous apprendrait que le fameux tonneau de pommes où le jeune Jim Hawkins surprend le complot des bandits n’est qu’une allégorie du ventre de sa mère. Quant à L’Étrange Cas du Dr Jekyll et de M. Hyde, n’est-ce pas un des premiers témoignages sur le dédoublement du moi ? De même que Balzac, pour expliquer la puissance magique de la volonté, s’appuyait sur les théories illuministes de son temps, Stevenson a eu recours, pour rendre compte d’un phénomène psychique difficilement compréhensible, à une fiction un peu grossière ; le scrupuleux docteur Jekyll a découvert une poudre chimique qui lui permet de se métamorphoser en crapuleux monsieur Hyde. Mais de même qu’il est probable que Balzac ne se fût pas servi de Swedenborg s’il avait connu Freud, on peut avancer que Stevenson, mis au courant des travaux de la psychologie contemporaine, aurait décrit de l’intérieur la hantise du dédoublement.
« Robert-Louis Stevenson », La N.R.F., sept. 1961, p. 571.’

Richesse insoupçonnée qui justifie l’admiration et l’intérêt que l’écrivain leur porte, profondeur mythique et puissance évocatrice qui sont à l’origine du plaisir de la lecture et de l’analyse. Une terre oubliée que redécouvre avec gourmandise Dominique Fernandez à l’occasion de chacune des rééditions de ces romanciers dits mineurs. Le plaisir qu’a goûté, jeune, l’écrivain à la lecture de ces oeuvres est demeuré : ils restent cités en référence comme un vague regret que la littérature contemporaine ne puisse donner naissance à nouveau à des talents comparables. Car ces romans d’aventures, ces romans populaires sont bien considérés comme des oeuvres qui appartiennent à une époque révolue, celle où ni l’écriture ni le goût littéraire n’étaient soumis à une théorie. C’est dans la préface qu’il donne au Dynamiteur de Stevenson que Dominique Fernandez livre avec le plus de clarté sa définition du roman d’aventures :

Le Dynamiteur est de 1885. C’est la période où commence à naître, dans l’Europe anglo-saxonne, le roman policier. 1887 marquera les débuts d’Arthur Conan Doyle. Stevenson se trouve placé à la charnière de deux époques, de deux styles. Le roman d’aventures pur, d’esprit encore romantique, est sur le point de céder la place au roman d’investigation. La merveilleuse innocence qui imprègne de son éclat L’Île au trésor est en train de se perdre. Le regard critique supplante le regard enchanté. Il n’est plus permis de se laisser aller, sans arrière-pensée, à la variété et au pittoresque des incidents, on doit les soupeser et les évaluer avec le même soin que met l’horloger à démonter les rouages d’une montre. Il faut casser le jouet, et en examiner l’intérieur.
Cette seule raison suffirait à expliquer pourquoi Le Dynamiteur n’a jamais atteint et n’atteindra jamais la centième partie de la célébrité acquise d’emblée à L’Île au trésor. Les enfants lui reprocheraient d’exiger de leur juvénile enthousiasme une réflexion qui est le propre des adultes, mais les adultes, à leur tour, lui feraient grief de les entraîner dans un amusement trop enfantin. Oeuvre hybride, qui ne s’adresse ni aux enfants ni aux adultes, Le Dynamiteur partage le sort de tous les ouvrages expérimentaux : il intéresse d’abord celui qui prend son plaisir à observer les mutations de la littérature. (On verra plus avant pourquoi et comment d’autres peuvent s’y passionner.) Cet observateur sera récompensé de son attention : car il est rare de trouver une construction de l’esprit aussi intelligente, des engrenages romanesques aussi sophistiqués, et en même temps une fraîcheur, une grâce, un don de raconter aussi naturels, aussi naïfs, aussi lumineux.
« Prestige et infamie », introd. au Dynamiteur, P.O.L., 1992, pp. II-III.’

La fascination de Dominique Fernandez pour cette oeuvre, dont il ne cache pas pourtant que certaines de ses intrigues « ne tiennent pas debout », tient non seulement au pouvoir d’évocation et à un certain génie de la narration mais aux ambiguïtés mêmes du roman, aux raisons précises pour lesquelles ce livre peut sembler raté. Tous les thèmes qui mettent en train l’imaginaire du romancier sont présents chez Stevenson à l’état brut : l’oeil exercé de Dominique Fernandez, sa familiarité avec ce thèmes de la duplicité, son intimité avec les arcanes de ce genre, lui permettent de porter un jugement solide sur la qualité du roman en question et, au-delà, de reconnaître la signification profonde des rouages de cette intrigue, la portée symbolique des événements narrés et des personnages créés. C’est sans doute là, d’ailleurs, qu’il se sent le plus à l’aise, le mieux dans son élément, face à ce type de roman qui ne peut que le satisfaire. Car n’a-t-il pas clairement exprimé les conditions du plaisir de cette lecture dans ce passage : avoir l’esprit critique et l’âme d’un enfant ? Il faut, selon lui et comme lui, aimer se prendre au jeu d’une intrigue, apprécier l’idée d’être emmené dans un ailleurs, de s’identifier aux héros mais il faut aussi, pour décupler ce plaisir d’une lecture naïve et immédiate, interroger avidement le roman, le questionner sans relâche pour espérer comprendre et ainsi amplifier les raisons même de ce plaisir. Là, pas plus qu’ailleurs, l’effort de compréhension et d’explication ne nuit au plaisir de la lecture, il en est, bien au contraire un prolongement.

Et, parachevant son entreprise de réhabilitation de Stevenson, montrant encore avec plus de vigueur l’admiration qu’il éprouve pour l’oeuvre de l’auteur de L’Île au trésor, Dominique Fernandez lui rend la place qu’il mérite selon lui entre deux génies comparables qui ont su inventer des types romanesques identiques : Balzac et Proust.

‘Stevenson avait-il lu Balzac ? S’était-il intéressé à Vautrin, le plus grand chasseur de jeunes gens, d’un cynisme et d’un génie qui le placent au-dessus de Charlus lui-même ? M. Jones en tout cas, pour modestes que soient ses proportions, mérite de figurer entre ces deux géants, dans la galerie de ceux qu’un pouvoir iniquement répressif oblige aux subterfuges du verbe et du paradoxe. Stevenson ne lui a pas donné au hasard le surnom de Zéro. Zéro : l’Ange de la Destruction par excellence, celui qui veut rebâtir à neuf le monde, changer de fond en comble l’Angleterre victorienne, dévaster, avec la puissance meurtrière du cyclone évoqué dans l’épisode cubain, une société acharnée à punir les transgresseurs de l’interdit, et qui, dix ans plus tard, enverrait Oscar Wilde au cachot. Zéro, le messager de la vengeance, celui dont Bismarck pensait qu’il fallait craindre la force révolutionnaire, capable de dynamiter l’État en envoyant promener toutes les hiérarchies sociales, tous les principes d’ordre et d’autorité, et en mettant à leur place, triomphale et insolente, la seule anarchie du désir.
Ibid., p. XIX.’

Modernité, postérité de cet auteur de roman d’aventures dont la création révèle de terribles richesses et de formidables secrets. Dominique Fernandez se sent comme chez lui dans cette oeuvre où il reconnaît ses propres thèmes et les fantasmes qui l’ont amené à l’écriture : le goût du double, la fascination pour la transgression, la grandeur des réprouvés. L’aventure proposée par Stevenson n’est pas seulement un merveilleux voyage qui permet au lecteur de découvrir Cuba ou le Far West, c’est aussi, selon Dominique Fernandez, une aventure humaine qui ne laisse pas indemne, exploitant toutes les images les plus fortes et les plus inquiétantes, par un fantastique pouvoir de suggestion :

‘Une confidence qui échappe à cet apôtre du renversement des valeurs montre bien l’idée qu’il se fait de sa mission. « Si vous aimez les romans, comme les artistes en général, peu d’existences sont aussi romanesques que celle de l’obscur individu qui vous parle à cette heure. Obscur et pourtant fameux. Ma gloire est une gloire anonyme, infernale. Par des moyens infâmes, je travaille à une tâche glorieuse. J’ai vu la liberté et la paix de ce malheureux pays courant à leur ruine ; l’avenir sourit à ce peuple opprimé ; mais, en attendant, je mène la vie d’un fauve traqué dans le hallier, je marche vers un but qui fait frémir, mettant en oeuvre des machinations diaboliques. »
Ici aussi, chaque mot porte, avec son avers politique et son envers érotique. Les M. Jones éparpillés sur la terre sont obscurs, parce qu’ils se comptent par millions, mais en même temps glorieux, car l’appartenance à la marge, à l’ombre, contre une auréole déniée aux citoyens qui se cantonnent dans les voies admises. Enfin, l’alliance du prestige et de l’infamie constitue l’essence du romanesque : voilà le dernier mot du roman, sa charge de dynamite littéraire, son pouvoir subversif, et qui éclaire, non seulement les autres obscurités de ce livre, tels les rapports de l’émigré anglais et du docteur Grierson, de Teresa et du marchand d’esclaves, des serviteurs et des maîtres, des victimes et des bourreaux, mais aussi les ambiguïtés caractéristiques de tous les livres de Stevenson, où forbans et pirates rayonnent de l’éclat infernal des maudits.
Ibid., pp. XIX-XX.’

Et si l’on n’était pas encore convaincu du rayonnement et de l’influence de Stevenson dans l’univers fernandezien il suffirait sans doute de rappeler l’importance que revêt le cauchemar de David, où l’aveugle qui frappe de sa canne est une image qui dévoile la voluptueuse attente du jeune homme en même temps que la crainte du châtiment, n’est autre qu’un personnage de L’Île au trésor. L’autre raison qui justifie cet intérêt pour les oeuvres de Stevenson ou de Melville est bien leur contenu érotique, ce monde qui ne se révèle qu’à celui qui le recherche : dans le processus d’identification, s’ajoute donc au plaisir enfantin de jouer aux pirates ou aux marins, la satisfaction de reconnaître ses fantasmes les plus secrets, les plus inavouables. Des romans de Stevenson comme de ceux de Melville, Dominique Fernandez relève non pas comme un simple point commun entre les deux romanciers, mais comme une particularité essentielle, l’absence de femmes. Et, quand elles sont présentes comme dans Le Dynamiteur, la lecture montre l’inadaptation de cet élément dans cet univers romanesque, au point de faire naître la conjecture que, sous les traits de cette femme, se trouve un jeune garçon. Un contenu homosexuel est identifié, reconnu et démontré : la quête de l’aventure, la fuite et la recherche du trésor sont des motifs doubles et dont l’aspect immédiat recouvre un plan métaphorique qui, aux yeux de celui qui, rompu à la recherche de ses indices comme l’est Dominique Fernandez, est en mesure de le reconnaître, justifie les sensations fortes de volupté et de terreur qu’il a pu éprouver, enfant, sans toutefois avoir pu, alors, nommer ni identifier l’origine ou la cause de ces émois.

De Melville, il a déjà souvent été question avant le texte que Dominique Fernandez écrit en 1993 pour le programme de l’Opéra de Nancy à l’occasion de la représentation de Billy Budd (opéra de Benjamin Britten, avec un livret de E. M. Forster). Dans l’analyse qu’il a faite de cette oeuvre romanesque (et de son prolongement lyrique) en 1989 dans Le Rapt de Ganymède, il a démontré déjà quelle place, selon lui, occupait Melville dans le monde des écrivains homosexuels :

‘Enfin, dans le troisième cercle, on trouve les écrivains si profondément refoulés qu’ils se soumettent à une censure inconsciente. Au lieu de travestir ou de dissimuler, comme Proust ou Balzac, l’homosexualité de leurs personnages, ils l’expriment par des voies si indirectes que le lecteur peut s’y tromper de bonne foi. Le beau marin, dans Billy Budd, ce récit dense et parfait de Melville, excite, comme nous l’avons vu, la haine du maître d’armes : le matelot finit par tuer son persécuteur, et lui-même, condamné à être pendu au grand mât du navire, meurt sans un mot. On peut lire cette histoire comme une parabole de l’innocent qui prend sur lui les fautes de l’humanité et expie le crime des autres ; sans doute Melville n’a-t-il pas voulu écrire autre chose qu’une version moderne et laïque de la passion du Christ. Mais il n’est pas moins vrai que son texte nous raconte à son insu une seconde histoire en filigrane sous la première : la tragédie du maître d’armes qui, offensé dans le sentiment de son honneur viril par la tendresse du beau marin non seulement se refuse à s’avouer cet amour, mais voue une haine implacable à celui qui lui a fait douter d’être pleinement un « homme ».
Le thème de la fraternité virile, qui parcourt le roman nord-américain [...], est un thème homosexuel qui s’ignore.
Gan., pp. 224-5.’

Si bien qu’une fois de plus, la nostalgie du roman, ici celle du roman d’aventures, est bien liée à la disparition de l’interdit, causée indirectement par elle : comment le romancier pourrait-il se contenter du non-dit, de dissimuler (et de se cacher à lui-même) un thème romanesque qui justifierait ou pourrait expliquer les actes de ses personnages si la loi a disparu ? Car c’est bien dans ce cadre d’une évolution sociale et morale qu’il faut resituer cet enjeu de la pérennité même du roman d’aventures. Comment le roman d’aventures pourrait-il rester ce qu’il a été jusque-là, conserver le charme mystérieux de ces personnages de maudits, de leurs actions infâmes et pourtant héroïques, alors que la voie de l’explication est désormais attendue ? La primauté et l’enchaînement des actions doivent être, avec la libération morale, relégués au second plan pour privilégier des explications psychologiques, un éclairage nouveau — ironique parfois — sur les motivations des personnages. D’où, selon Dominique Fernandez, l’émergence d’un nouveau genre : le roman policier ou roman d’investigation.

Abandon, donc, de ce que Dominique Fernandez nommait « le roman d’aventures pur, d’esprit encore romantique », non par goût personnel du créateur mais à cause de l’évolution esthétique, historique et sociale : les lecteurs attendent autre chose. Le romancier ne pourra plus écrire ce genre d’histoires, il ne pourra plus masquer par la force de l’action la réalité des thèmes qu’il soumet à son lecteur : de là vient, sans doute, le choix que fait Dominique Fernandez lui-même, qui parvient à contourner ces différentes difficultés. Les mémoires écrits par Porporino constituent cette première tentative aboutie d’échapper par la fuite aux contraintes terribles qui pèsent sur le romancier du XXe siècle parce qu’elles lui donnent toutes les 1ibertés et lui ôtent en même temps les voies de la transgression et de la suggestion qu’il devait imaginer pour exprimer sa vérité. Ces fuites dans le temps (l’époque de la fin du XVIIIe siècle) et dans l’espace (Naples) lui permettent tout à la fois de satisfaire son désir d’écrire un roman qui le place dans la tradition du roman d’aventures et son goût pour l’explication psychologique. Le narrateur, quant à lui, double possible du romancier, est le témoin privilégié, l’enquêteur par excellence, l’esprit lucide qui saisit le mieux les contradictions et subtilités de son époque, qui, les ayant vécues, est à même de les partager avec autrui. L’« avertissement de l’éditeur », bien plus qu’un simple « effet de réel » ou qu’une fantaisie de l’auteur pour se placer dans la tradition des romans du XVIIIe siècle, démontre aussi la grandeur du genre romanesque, du roman historique et d’aventures, sa supériorité aux yeux de l’auteur sur l’histoire, par sa capacité à faire vivre les instants les plus obscurs d’une époque.

‘S’il y eut jamais une ville plus amusante et plus stimulante à habiter, où la noblesse par la variété de ses talents justifia l’abondance des privilèges, c’est bien la capitale du royaume des Deux-Siciles, dans les années qui précédèrent son brusque et terrible déclin. Les historiens, à l’avenir, feront bien de tenir compte d’un témoignage aussi précieux ! Tel qu’il est, voici un document très complet sur les fastes de Naples au faîte de sa splendeur, quand les Bourbons en avaient fait la métropole de l’opéra, un des centres les plus actifs de l’architecture, de la peinture, de la sculpture baroques, et le rendez-vous de l’Europe éclairée, comparable seulement par l’afflux de ses visiteurs, le lustre des fêtes, le développement du commerce et de l’industrie, l’essor des sciences appliquées, la fermentation intellectuelle, l’inquiétude politique, à Paris et à Londres.
Porp., p. 14.’

Roman d’aventures — le pluriel est ici pleinement justifié —, Porporino se situe bien dans cette tradition d’un récit riche et dense par la multiplicité des actions qu’il conte, par le terreau même qui est le sien (l’aventure culturelle d’une ville), par le grand nombre des personnages qu’il met en scène, mais c’est aussi une oeuvre qui appartient à la tradition romanesque du XXe siècle, dans la mesure où son narrateur ne se contente pas de raconter mais qu’il s’acharne à vouloir comprendre, à percer à jour les mystères de ces héros napolitains, les motivations secrètes de leurs actes. Le roman fernandezien, de Porporino à Tribunal d’Honneur en passant par Dans la main de l’ange, correspond bien à la « définition » que Gide donnait du roman, « une espèce littéraire indécise, multiforme et omnivore 210 », puisqu’il est un roman d’aventures, un roman historique utilisant les armes de la psychologie sans pourtant renoncer aux charmes romantiques de la rêverie poétique, un roman d’investigation collective et individuelle, et, enfin, un roman d’amour.

Notes
210.

« L’évolution du théâtre » (Conférence de Bruxelles de 1904), dans Prétextes suivi de Nouveaux Prétextes, Mercure de France (1963), p. 146.