2) Saint Sébastien, patron du roman fernandezien ?

L’image du hérisson recueilli par Porfirio et accueilli par ses trois tantes, dépasse en fait la seule anecdote romanesque pour rejoindre la matière thématique d’une oeuvre dont la colonne vertébrale tient pour partie à la question de l’identité et pour une autre partie à la question du plaisir. Or, à travers ce questionnement, l’image de saint Sébastien, évoquée, suggérée, expliquée et commentée par l’auteur ou devinée par le lecteur, est très souvent présente comme une illustration essentielle de l’interrogation individuelle que poursuit le héros fernandezien.

L’histoire même de saint Sébastien mérite d’être rappelée, puisque Dominique Fernandez, dans Le Rapt de Ganymède, fait de cette légende et de ce personnage sur lequel les homosexuels comptent pour « les attendre à la porte du paradis et leur servir d’intercesseur » (Gan., p. 149), le point de départ de l’histoire de cette identification :

‘L’étonnante fortune iconographique de saint Sébastien remonte au plus haut Moyen Âge. Au VIIe siècle, une peste ravageait Rome ; le peuple pensait que Dieu envoyait cette épidémie comme un archer darde ses flèches ; or, Sébastien, officier converti au christianisme et condamné au supplice (au IIIe siècle, sous les grandes persécutions de Dioclétien), n’était pas mort de ses blessures (mais d’une ultérieure lapidation, épisode oublié par la légende) ; en sorte que lui fut attribué le don miraculeux de protéger des flèches, donc de guérir de la peste. Si on le représentait si souvent dans le coin des tableaux d’autel ou tout seul attaché à une colonne, c’était dans un but presque utilitaire, comme un talisman.
Gan., p. 150.’

Ce n’est pas tant ce symbole de la résistance au supplice et à la douleur qu’ont choisi les homosexuels, en faisant de saint Sébastien leur patron, que ce qu’il a commencé à représenter plus tard, à partir du XVIIe siècle, avec l’art de la Contre-Réforme, et donc avec l’introduction d’une donnée essentielle, celle du plaisir. Désormais, et c’est là ce qui fascine Dominique Fernandez comme ses personnages, le châtiment est lié à la volupté ; désormais apparaissent de suggestives représentations à partir desquelles rêver : « des adolescents nus et pâmés, peints ou sculptés pour le pur plaisir de l’oeil » (Gan., p. 150). Car, pour sa part, Dominique Fernandez n’oublie pas l’histoire du saint et ce qu’il tient à souligner chez cet officier sacrifié, c’est à la fois la pâmoison dans la douleur et la combativité, comme une sorte de parabole susceptible aussi de définir sa propre trajectoire. Ainsi la conclusion qu’il donne à ce chapitre du Rapt de Ganymède montre précisément les éléments qui doivent attirer l’oeil du lecteur dans son oeuvre quand il est question de saint Sébastien :

‘Profiter avidement du temps qui passe, plus vite pour eux que pour les autres (angoisse de vieillir et de se retrouver sans descendance ni compensation par la perte du pouvoir de plaire) ; rechercher la volupté mais avec la conscience, alimentée par la mémoire de la persécution, qu’il s’agit d’une aventure qui peut tourner facilement au tragique ; ajouter aux délices du plaisir l’excitation du risque : la plupart des gays ont-ils une autre philosophie ? Ils ont donc toutes les raisons d’avoir choisi un tel garant. Et eux qui ne retiennent d’habitude de saint Sébastien que l’image pantelante d’un adolescent meurtri pourraient se retremper aussi à la vertu combative de leur héros, capable parfois de secouer ses flèches, de se redresser, de brandir le poing et de dire non à ses agresseurs.
Gan., pp. 153-4.’

C’est donc bien l’ambiguïté que porte en lui le martyr qui fascine Dominique Fernandez et justifie les nombreuses références à ce jeune homme courageux et sacrifié, héros et victime, que l’on peut trouver dans son oeuvre. S’étonnera-t-on d’ailleurs que la première apparition de saint Sébastien dans les romans fernandeziens ait lieu dans L’Étoile rose où David, initié par Donald à la libre jouissance et à l’apprentissage de l’acceptation de soi, transpose le discours de son guide et l’adapte à ses propres fantasmes :

‘Tu as toujours considéré l’inconnu du métro comme le démon infâme qui t’entraîna dans sa chute. Il est temps que tu voies en lui ce qu’il a été pour toi : comme le saint Sébastien de Gênes pour Mishima, le messager glorieux de la divine surprise.
Étoile, p. 278.’

C’est en effet le guide dans la découverte de la volupté, celui qui montre que la souffrance est la contrepartie indispensable du plaisir le plus vif. Saint Sébastien, dans cette imagerie, n’est pas un saint qui nie son corps, qui le cache, — au contraire, c’est par chacun de ses muscles, par chaque pore de sa peau que l’impression voluptueuse et douloureuse est transmise au spectateur. Jusqu’à représenter le corps, le désir charnel et sexué dans le duel que se livrent le corps et l’esprit au sein de la recherche du plaisir. Pier Paolo, personnage double s’il en est, ne parvient pas, dans l’évocation des scènes bucoliques vécues avec Svenn, à trancher sur la nature même des rapports qu’il instaurait avec le jeune garçon : Alexis ou Sébastien, l’amitié grecque désintéressée, l’initiation artistique et l’éducation sentimentale, ou l’expression d’un désir pleinement charnel, il est impossible pour celui qui s’est offert à l’ange de savoir laquelle de ces deux idoles a remporté le combat dans son coeur.

Car, peu à peu, l’image de saint Sébastien représente plus la beauté virile dans sa forme la plus désirable, elle transmet le message d’un choix, d’un parti pris pour le désir et pour le corps, elle combat la peur et la crainte de la répression par l’affrontement de la souffrance, par l’attitude de défi envers les représentants de la loi. Abstraction et idéalisation montrent la puissance esthétique et morale accordée par l’auteur à ce résistant par excellence. Ainsi, Friedrich, constatant que Franz n’a de foi que pour un amour chaste, idéal parce que distinct de toute réalisation au point de peindre dans le cloître de Sant’Isidoro « trois fresques pour célébrer le refus de la chair et le triomphe sur la chair ! » (p. 323), ne trouve de compensation et de consolation qu’en se réfugiant auprès de l’image de saint Sébastien qui lui fournit sinon l’antidote du moins l’antithèse du propos de son ami.

‘Friedrich, découragé, s’enferma dans son atelier et fit en trois jours un saint Sébastien qu’il appuya à une colonne dans la pose la plus languissante que lui permirent les restes de son éducation protestante.
Am., pp. 323-4.’

Détail discret, certes, puisque le lecteur ne saura pas si ce tableau a été l’objet de commentaires entre les deux amis, mais qui en dit beaucoup sur le rôle et la fonction assignés par l’auteur au saint dont le corps, frémissant de douleur et de plaisir, est transpercé par les flèches. Et c’est encore l’image de saint Sébastien qui permet à Julius de montrer d’une part à Friedrich qu’il a percé à jour le secret de son désir et de son coeur et d’autre part à Ludwig que la naïveté et les préjugés moraux ne peuvent mener à une représentation convaincante de l’art : avec cette fresque, Julius tranche sur le point qui opposait les membres du Lukasbund quant à la sensualité et à la vie charnelle de saint François. Ce ne sont là que des insinuations et des allusions, mais elles déclenchent chez Friedrich une profonde interrogation sur le plaisir et la satisfaction qu’il peut attendre de sa relation amoureuse avec Franz.

‘Le lendemain matin, 25 août, jour fixé pour le départ, nous attendions, dans la petite chapelle de San Girolamo qui sert de vestibule à l’église, que les autres fussent prêts, lorsque Julius, devant Ludwig et Franz, attira mon attention sur une fresque de Tiberio d’Assisi peinte à gauche de la porte. Un saint Sébastien presque nu, et représenté dans une pose bien langoureuse pour orner un sanctuaire de saint François. Julius détailla les grâces éphébiques du jeune officier, en prenant à témoin Ludwig de l’incongruité d’une telle peinture dans ce lieu, avec trop d’insistance pour ne pas cacher un piège. Mais j’étais si affecté par la scène de la nuit, qu’il ne me vint pas à l’esprit qu’il avait pu nous apercevoir, de la fenêtre d’en face, et entendre une partie de notre conversation.
—Mon cher Ludwig, insinua-t-il, crois-tu qu’un moine de San Damiano ait eu l’effronterie de poser pour ce saint Sébastien ?
Pendant qu’il parlait, je songeais non sans chagrin que j’éprouvais plus de plaisir à regarder l’image de cette figure peinte sur le mur que je n’en avais ressenti à étreindre le corps contracté et presque hostile de Franz.
Am., p. 278.’

Le rôle dévolu à saint Sébastien dans Le Dernier des Médicis apparaît avec une très grande clarté : c’est par une double volonté de transgresser des lois, de provoquer et d’avilir le beau en créant la version subversive d’une oeuvre d’art, que Gian Gastone en vient à se servir de l’image du saint pour en faire le représentant ambigu d’un plaisir trouble et licencieux, entaché de vice et dont toute la beauté est niée, transfigurée et défigurée par la volonté de tourner en dérision les fleurons de la production artistique florentine :

‘Pour la Vierge sur le trône de Rosso Fiorentino, il fit poser Fabio. Le scélérat réclama du rouge à lèvres et du fard. Il se dandinait dans sa niche de carton en glissant des oeillades à Fabrizio, efféminé et nu en saint Sébastien.
Le résultat plut tellement à Gian Gastone, qu’il ordonna à Ferdinand Richter de surseoir aux finitions de son portrait, pour fixer sur la toile ce tableau vivant. Laquelle toile fut retrouvée, après la mort du grand-duc, à la porte d’un cabaret louche, où elle servait d’enseigne. L’Électrice a ordonné de l’emporter et de la détruire.
Médicis, p. 278.’

Oeuvre et volonté scandaleuses, qui, une fois encore, montrent la symbolique attachée à l’officier converti : plus qu’un héros, il est devenu le représentant d’une cause, le modèle en qui se reconnaissent tous ceux qui savent qu’ils ne sont pas en mesure de dissocier le plaisir et la douleur parce que leur quête se heurte non seulement aux règles de la société mais aussi aux principes que leur a transmis leur éducation. L’alliance de termes, cette fois encore, montre comment, à partir du combat entre le héros en quête d’amour et une société répressive, se met en place une stratégie fondée sur la duplicité du personnage, qui parvient pendant un certain temps à vivre en dépit de ces contradictions grâce à un dédoublement subtil, mais qui bientôt est rattrapé par son destin, qui doit choisir de fuir la part d’ombre et de douleur ou de se soumettre à elle pour en mourir.

Dans Tribunal d’honneur, Alexandre Obolev apparaît comme un homme incapable d’assumer ses instincts, contraint de rechercher dans l’art un moyen de sublimer ses désirs, mais obligé en fin de compte de convenir de la misérable compensation qu’il parvient ainsi à obtenir : recherchant dans les oeuvres d’art placées sous sa protection la satisfaction de ses indicibles désirs, se sentant coupable de chacun des regards qu’il porte vers ces éphèbes créés pour séduire, évitant les regards des autres de peur de se trahir, et se sentant finalement « persécuté » par une telle accumulation de « saint Sébastien dans son musée 223 ! »

L’indignation de Tchaïkovski contre la vulgarisation des représentants mythologiques ou historiques du désir homosexuel pratiquée par son frère Modeste (dans la lettre qu’il lui envoie pour le convaincre de s’installer à Naples) est révélatrice de l’importance que le compositeur accorde à saint Sébastien.

‘« Les Napolitains ont leur religion à eux : re-ligion, la vraie sans doute, celle qui ne sépare pas une chose et une autre, mais re-lie l’ensemble du monde créé, le ciel et la terre, l’âme et le corps, le sacré et le profane. Les polissons se signent avant de se jeter dans la mer. Saint Sébastien, leur aimable patron, sauva un enfant de la noyade. Ils lui demandent, non seulement de leur accorder sa protection, mais d’amener sur le rivage, au moment où ils plongent gracieusement, quelque seigneur étranger qui ne soit pas insensible à leurs charmes et les attende sur la grève au sortir de leur bain.
« Élevé comme j’ai été, il m’a fallu du temps pour accepter sans remords une existence aussi facile. Quand tu l’as goûtée une fois, les prêtres perdent tout pouvoir sur ton âme, et tu acceptes émerveillé les cadeaux du bon Dieu. »
Trib., p. 452. ’

Loin de ne représenter pour lui qu’une exhortation à la débauche, un guide dans la voie de la licence, le saint pour garder son attrait, sa grandeur et son charme, doit au contraire conserver toute son ambiguïté, c’est-à-dire le prestige qui fait de lui un modèle et un exclu. La facilité du plaisir, l’idée de pouvoir trouver satisfaction à son désir à tout moment et sans contrepartie ne peut convenir à Tchaïkovski, qui trouve précisément son inspiration créatrice dans la nécessité de voiler, de travestir ou de masquer ce qui est à l’origine de sa composition. À travers son attachement à saint Sébastien, c’est le besoin de sa propre part d’ombre et de mystère qu’il exprime.

Ainsi, la valeur emblématique formée par l’image de saint Sébastien est profondément liée à l’idée même de duplicité qui constitue le personnage. Que montrent, en effet, Pier Paolo, Signor Giovanni, Friedrich ou Tchaïkovski, sinon l’obligation de mener une double vie, de devoir avancer masqué, en changeant d’identité, en sortant la nuit, masqué, pour quelque aventure occasionnelle et dangereuse, quelque commerce charnel si dégradant qu’il ne saurait en rien corrompre l’autre identité qu’ils ont su bâtir au grand jour  par leurs efforts et leurs sacrifices ? Rançon de l’artiste qui ne doit pas se sentir le droit d’exprimer directement ses fantasmes, pour qui la quête du plaisir reste distincte de la quête du bonheur, qui accepte de sacrifier sa sérénité à son devoir d’artiste. Être libre, se sentir capable de tout faire, ne plus avoir aucune contrainte dressée sur sa route, aucun interdit, c’est bien là, selon Dominique Fernandez, le pire des sorts réservés à la création et à l’artiste. Tout, dans le roman fernandezien, montre comment le plaisir est indispensable à l’homme, et tout particulièrement au créateur, mais comment aussi la quête du plaisir doit impliquer l’idée de transgression pour rester distincte du travail du créateur.

Le sort réservé aux créateurs ne laisse guère de doute sur l’issue de cette vie à double sens. Friedrich renonce à l’art en ne se sentant pas capable d’affronter la réprobation sociale et les dangers qui le mènent au Pincio pour satisfaire ses désirs, il préfère mener une existence bourgeoise contraire à ses instincts, repousser l’image de saint Sébastien comme son père avait pu renoncer au charme de Sapho et d’Anacréon, plutôt que de suivre l’exemple de Canova. Winckelmann, pour n’avoir pratiqué que le refoulement de ses désirs pendant toute son existence, meurt, anonyme, sous les coups de celui qu’il a choisi comme son messager du plaisir charnel, Archangeli, homme aussi éloigné que possible des modèles esthétiques auxquels l’érudit s’est consacré : moyen de montrer que la sublimation des pulsions érotiques par le travail et la discipline n’est pas une solution... Pier Paolo, entre les deux identités qui se disputent en lui, donne la préférence à l’obscur, en s’abandonnant entre les mains de celui qui joue pour lui le rôle de l’ange et du bourreau, seule solution qu’il semble avoir trouvée pour révéler sa complexité, la pleine mesure de sa personnalité, ce qui fait de lui un artiste de la transgression et un défenseur de la règle, un éternel exclu. Le cas de Tchaïkovski marque une évolution dans la mesure où sa fin montre le refus de renoncer à cette duplicité : montrer qu’il est incapable d’accepter l’offre de son frère, qui est aussi une invitation au plaisir facile, c’est signifier son attachement à une existence précaire, dangereuse, comme lorsque, la nuit, il doit se coiffer d’un large chapeau et s’enrouler dans sa cape de peur d’être reconnu dans les endroits les plus sordides de Saint-Pétersbourg ; c’est dire surtout que la mort est la seule solution pour le créateur qui est placé entre le choix de la permissivité et celui de l’abstinence. La Russie avec tout ce qu’elle représente, non seulement d’inspiration poétique mais aussi de règles à respecter, est indispensable au compositeur, qui ne peut donc envisager l’exil.

Enfin, avec des personnages comme Bernard ou Rachid, Dominique Fernandez montre comment l’homme qui a vécu, qui a recherché son plaisir dans l’ombre, ne peut tout à fait survivre à l’expérience de la liberté, comment il essaie de s’arranger tant bien que mal en se créant une nouvelle part d’ombre et de lumière pour se prouver à lui-même que les vieux démons qui attisaient ses angoisses et stimulaient son désir sont encore là. Son ombre, Bernard la retrouve quand, apprenant qu’il est malade du sida, il veut se convaincre que son infection est la conséquence de la licence : c’est fort de cette pensée qui le réconcilie avec son identité d’exclu qu’il veut mourir, en paix avec l’histoire qu’il s’est choisie.

Pour Rachid, il y a un dédoublement de cette part d’obscurité, puisque c’est par le renoncement à ses désirs homosexuels, par la volonté de mener une vie de père de famille qu’il a espéré rompre avec toute tentation pour la permissivité ambiante. Sa position, en épousant Juliette, a été aussi radicale que possible : il a préféré renoncer définitivement à son identité pour commencer une seconde vie, plutôt que d’être tenté de se complaire dans des attitudes faussement provocatrices. Enfin, en s’éprenant de Nicolas, il voudrait ressusciter un amour courtois, une dévotion chevaleresque qui interdirait toute expression du désir, mais c’est sans compter le corps qui dans tous les cas trahit l’esprit et réclame avec d’autant plus de vigueur sa satisfaction qu’on a tenté de l’en priver.

La duplicité sur laquelle repose la constitution de tous les personnages fernandeziens est donc l’héritage direct des modèles esthétiques (saints et saintes, héroïnes d’opéra, héros de romans...) ou mythologiques qui fascinent l’auteur. Cette duplicité est le point précis sur lequel se fonde la naissance du drame du personnage, le point d’ancrage choisi par Dominique Fernandez pour développer le récit de la tragédie qu’il conte. Ainsi, caractérisés par ce qu’il faut bien nommer une nature profondément dichotomique (ou oxymorique), choisira-t-on de les dire néo-romantiques parce qu’ils s’abandonnent à leurs démons, parce que dans leur lutte ils finissent par se laisser mourir, baroques parce qu’ils sont définis par une suite d’oppositions, que leur existence peut être représentée comme la tentative de multiplier, de dédoubler des valeurs et des actes comme au théâtre, ou devra-t-on convenir que la tragédie de tous les grands héros fernandeziens est comparable à tous les destins des personnages du théâtre classique, dont les excès se confrontent violemment aux limites de la réalité : un personnage luttant seul contre le monde ?

Il faut bien convenir, quelle que soit l’étiquette choisie, que ni la constitution psychologique des personnages, ni la nature du drame qui leur donne vie, ni enfin la nature de la référence esthétique qui les déterminent ne permettent de donner la préférence pour des raisons décisives à une catégorie esthétique plutôt qu’à une autre. L’oeuvre de Dominique Fernandez se fonde avant tout sur une question essentielle qui est celle de la possibilité de la création artistique en dépit de la disparition progressive de tous les interdits. Pour lui, le moyen qu’il a trouvé, pour rétablir ce qu’il considère comme une contrainte esthétique indispensable est la formule romanesque qu’il emprunte à Chateaubriand et à Stendhal : celle d’un roman qui pose des questions actuelles en proposant un voyage dans le passé ; or, la transgression pourrait bien consister aussi en cette relecture personnelle, non seulement d’événements historiques, d’une époque, mais d’un personnage célèbre, considéré comme intouchable en raison même de la grandeur de son travail artistique.

C’est ce plaisir de la recréation romanesque qui peut opposer l’écrivain au monde des historiens, qui peut justifier des querelles par voie d’articles ou de colloques comme cela a eu lieu à de nombreuses reprises au sujet de Pier Paolo, comme cela a pu avoir lieu plus récemment à propos de Tchaïkovski...

Notes
223.

Voir Trib., pp. 175-6.