1.3.2 Les modèles d’opportunités

Un autre ensemble d’explications privilégie les avantages escomptés par le migrant. Il s’agit de modèles d’opportunités où les décisions de migration reposent sur l’existence d’un quelconque avantage, un meilleur cadre de vie ou une plus forte rémunération, par exemple.

Le premier de ces modèles est celui de Samuel Stouffer (1940)38. Dans ce modèle, la migration est le résultat d’un arbitrage entre les possibilités offertes par le pays de destination en termes d’emploi et de qualité de vie et celles qui existent dans le pays de départ. Les personnes se déplacent lorsqu’elles jugent plus intéressantes les possibilités que leur offre l’espace de destination. L’intensité du flux migratoire dépend de l’importance du nombre de possibilités offertes par le pays de destination. Cependant, si la distance qui sépare le lieu de départ du lieu d’arrivée est grande, le migrant peut trouver des opportunités plus intéressantes dans un des pays situés entre ces deux lieux. Stouffer (1940) parle à ce propos de possibilités intermédiaires.

L’existence de ces possibilités intermédiaires rend aléatoire le lieu de destination du migrant. La seule certitude est la décision de migrer, mais la destination demeure toutefois incertaine. Ce modèle est comparable aux modèles de gravité car on retrouve les deux critères de distance et de taille de la population exprimés sous d’autres formes. Le critère d’importance de la population est remplacé par les possibilités et celui de distance (physique) par la distance fonctionnelle et donc par les possibilités intermédiaires.

Le principal reproche que l’on peut faire de ce modèle est qu’il ne se prête guère à un usage simple. Les possibilités sont très difficilement quantifiables et il semble aussi difficile de mesurer la distance fonctionnelle39. Quant aux difficultés que pose la quantification des possibilités, plusieurs auteurs, y compris Stouffer (1960), ont suggéré d’estimer les possibilités par le nombre total d’immigrants. Ainsi Daniel Courgeau (1970)40 considère que le nombre d’immigrés déjà installés constitue une force d’attraction pour les migrants potentiels et non la population totale. Cette proposition ne peut toutefois permettre de comprendre les mouvements migratoires actuellement en oeuvre d’autant plus qu’elle repose sur une hypothèse très discutable que l’auteur reconnaît lui-même41. Cette hypothèse stipule que les étrangers occupent tous les postes que refusent les Français.

Ira S. Lowry (1966)42, étudiant les migrations de travail entre zones urbaines, a préféré substituer aux « possibilités » de Stouffer (1940) les débouchés professionnels. Les débouchés professionnels sont estimés à partir de trois variables que sont le taux de chômage, le niveau des salaires et l’effectif de la population active. Ces trois variables servent simultanément de base pour la comparaison de la situation des pays de départ et d’arrivée et pour la décision de migrer.

Lowry (1966) montre ainsi que le changement net de population dû à la migration entre les métropoles américaines s’expliquaient largement par le taux d’accroissement naturel de la population et les variations nettes de l’emploi dans chacune d’elles. Ce modèle est trop général car il ne prend pas en compte la spécificité de certains emplois et la diversité des débouchés et des besoins selon les secteurs économiques.

Les modèles coûts - avantages, reposant sur le principe de rationalité des personnes et sur le raisonnement économique, sont aussi utilisés pour expliquer la migration. L’idée fondamentale est que les personnes font un arbitrage entre les coûts à engager et les bénéfices escomptés d’une migration avant de prendre la décision de migrer. Dans cette optique, Larry Sjaastad (1962)43 a élaboré un modèle où il considérait la migration comme un investissement dont le migrant espère soutirer suffisamment de bénéfices pour amortir le coût de son déplacement. La différence entre les coûts monétaires du déplacement – les frais de transport – et les avantages monétaires attendus de la migration, actualisée au moment du départ, permet de juger de l’opportunité de la migration. Si cette différence est positive, alors la migration doit avoir lieu car elle laisse espérer des avantages.

Bien que ce modèle nous aide à comprendre les migrations économiques tant internes – émigration rurale – qu’externes – migration internationale –, il souffre cependant de deux handicaps majeurs. D’une part, ne sont pas défalqués des avantages attendus les différents coûts de la vie courante tels que le logement, les dépenses alimentaires, l’habillement et les taxes de toute nature et les éventuels coûts sociaux – par exemple, l’éloignement de la famille et de la communauté. D’autre part, tout comme les autres modèles, il n’est guère aisé de quantifier les coûts engagés et les avantages attendus, et ce d’autant plus que la durée du séjour reste une donnée incertaine. Au-delà même du problème de la quantification, il subsiste un fort degré d’incertitude sur le type d’activité ou d’emploi qu’aura le migrant et par conséquent sur le niveau de ses revenus.

Notes
38.

Samuel A Stouffer « Intervening opportunities. A theory relating mobility and distance », American Sociological Review, 5, 1940, p. 846 et « Intervening opportunities and competing migrants », Journal of Regional Science, 2, 1960, pp. 1-26.

39.

G. -F. Dumont (1995), op. cit.

40.

Daniel Courgeau [1970]. Les champs migratoires en France, PUF, Paris, 158 p.

41.

Daniel Courgeau, op. cit., p. 103.

42.

G. -F. Dumont (1995), op. cit., p. 78.

43.

Larry A. Sjaastad [1962]. « The costs and returns of human migration », Journal of Political Economy, supplément à « Investment in human beeings », 70 : 5 (part 2), 1962, pp. 89-93.