2.2.2 Les effets de l’immigration sur le marché du travail

Les immigrés exercent des fonctions spécifiques dans l’organisation de la production. Lorsque les immigrés constituent une main-d’oeuvre complémentaire, toute réduction de leur nombre entraînerait une baisse simultanée de la production globale et de l’emploi et par conséquent un chômage technique pour une partie des travailleurs nationaux. En revanche, si les immigrés constituent une main-d’oeuvre substituable, ils peuvent être remplacés par les travailleurs nationaux. Dans ce cas, toute réduction de leur nombre créerait de l’emploi pour les nationaux, toutes choses égales par ailleurs – maintien du rapport capital/travail et de l’organisation de la production.

Jusqu’au milieu des années 70, la main-d’oeuvre immigrée était plutôt un facteur de production complémentaire en France. Elle était fortement et reste concentrée en quelques sous-secteurs tels que le nettoyage, le bâtiment et les travaux publics. Elle constitue donc une main-d’oeuvre d’appoint nécessaire pour répondre aux variations de la demande dans les emplois peu recherchés par les Français.

George J. Borjas (1993)71 a présenté une synthèse et une analyse critique des résultats des études empiriques relatives à l’impact de l’immigration sur la rémunération et les possibilités d’emploi des travailleurs natifs du pays d’accueil. Ces études se fondent sur une hypothèse théorique qui consiste à supposer l’alternative de complémentarité ou de substituabilité entre les travailleurs immigrés et les travailleurs nationaux pour le système productif du pays d’accueil. Lorsque ces deux groupes sont complémentaires, une faible offre de travailleurs immigrés devrait conduire à une légère baisse de la rémunération des travailleurs nationaux. Dit d’une autre manière, plus l’offre de travailleurs immigrés est importante, plus elle a d’effet bénéfique sur la rémunération des nationaux.

Au contraire, lorsqu’ils sont substituables, un afflux important de travailleurs immigrés devrait entraîner une baisse des salaires des travailleurs nationaux. Cependant, les analyses qui reposent sur l’hypothèse stricte de parfaite substituabilité entre les nationaux et les immigrés ne sont guère pertinentes puisqu’elles aboutissent indiscutablement au résultat que les immigrés « prennent » l’emploi des travailleurs nationaux.

En revanche, les analyses pertinentes sont celles qui ont différencié le facteur travail en plusieurs catégories de main-d’oeuvre et intégré le plus possible les facteurs de variation des taux de salaires des travailleurs nationaux dans les différents marchés du travail. Le degré de validité de ces analyses dépend effectivement de la capacité à neutraliser les facteurs de variation des taux de rémunération, que sont les différences de niveau d’instruction donc de compétences et les différences de salaires entre les régions ainsi que les différences relatives au niveau d’activité économique d’un marché du travail à l’autre.

La plupart de ces études ont été réalisées aux États-Unis. Il ressort de ces études empiriques tant transversales que longitudinales que l’immigration n’a globalement pas d’impact sensible ni sur la rémunération ni sur le niveau d’emploi des travailleurs nationaux même s’il peut y exister des effets positifs et négatifs non négligeables au niveau de différentes catégories (George J. Borjas, 1993 et A. de Rugy et G. Tapinos, 1994). Toutefois, certaines de ces études empiriques ont révélé que la rémunération moyenne des travailleurs nationaux était légèrement inférieure sur les marchés enregistrant une forte augmentation de la main-d’oeuvre immigrée.

La plupart des études sur la causalité entre immigration et chômage conduisent à une absence de corrélation entre ces deux variables. R. Vedder et L. Gallaway ont réalisé une étude relative au lien entre immigration et chômage aux États-Unis entre 1960 et 1990. Ils ont remarqué que sur cette période, les dix États où les taux de chômage étaient les plus bas sont ceux qui avaient les plus forts taux d’immigration et inversement72.

En somme, le recours à l’immigration a permis d’améliorer la croissance et de pallier les déséquilibres structurels – les pénuries de main-d’oeuvre et les rigidités – du marché du travail de certains pays développés. Comme l’avait si bien remarqué C. Mercier (1977) en considérant que le lien entre l’immigration et l’activité économique du pays d’accueil et la question de la substituabilité ou de la complémentarité entre les travailleurs immigrés et les travailleurs nationaux dépendent de l’évolution du système économique capitaliste73 – c’est-à-dire des phases de l’accumulation du capital et de l’apparition de crises de suraccumulation. La dynamique de l’immigration en France entre 1949 et 1974 peut se résumer, selon C. Mercier, en trois phases :

  • une immigration naissante qui répondait aux fluctuations du marché du travail ;

  • une immigration complémentaire de la main-d’oeuvre française et devenant de plus en plus déconnectée de l’évolution du marché du travail ;

  • une immigration redevenue dépendante de l’activité économique et du marché du travail suite à l’accroissement du chômage issu de la crise de suraccumulation.

Ainsi, lorsque l’immigration est strictement contrôlée par les autorités administratives – ce qui semble très difficile –, le pays d’accueil peut réguler les flux d’entrée des travailleurs étrangers selon les besoins du marché du travail et donc selon le rythme des cycles économiques.

Les effets des migrations sur le marché du travail dans le pays d’origine sont une diminution du taux de chômage voire une amélioration des rémunérations suite à la baisse de l’offre de travail après le départ des migrants. L’émigration permet de valoriser certes dans le pays d’arrivée le potentiel de facteur surabondant et inutilisé.

De plus, les chômeurs qui partent constituent autant de personnes en moins à nourrir et à entretenir sur les ressources propres du pays. Si cette situation d’hémorragie de la force de travail est individuellement profitable aux travailleurs locaux, elle génère des pertes au niveau collectif en particulier la baisse de la production nationale et des recettes fiscales. Le migrant profite naturellement du taux de salaire élevé du pays d’accueil comparativement à celui du pays d’origine.

Notes
71.

George J. Borjas [1993]. « L’impact des immigrés sur les possibilités d’emploi des nationaux », in SOPEMI [1993]. Migrations internationales : le tournant, Rapport Annuel 1992, Paris, OCDE, 298 p, pp. 215-222.

72.

Nicole Morgan et Rémy Oudghiri [1997]. « Immigration : le laboratoire américain », Futuribles, n° 219, avril, pp. 59-71, p. 67.

73.

La France avait mis en place une structure de recrutement de travailleurs étrangers, l’Office national d’immigration (l’ONI), pour satisfaire aux besoins de main-d’oeuvre exprimés par les employeurs ayant des difficultés à trouver sur le territoire français du personnel suffisant ou acceptant certains emplois. Les flux migratoires fluctuaient ainsi en fonction de la conjoncture économique. Voir Henry Bussery [1976]. « Incidence sur l’économie française d’une réduction durable de la main-d’oeuvre immigrée », Economie et Statistiques, n° 76, mars, pp. 37-47.