Conclusion du chapitre 1

A l’issue de ce premier chapitre, quatre remarques importantes s’imposent. La première est la complexité croissante du phénomène migratoire que rende compte la pluralité des schémas d’analyse et des typologies des migrations.

La seconde remarque est la multiplicité des analyses de la migration internationale. Parmi celles-ci, il en est une, cependant, qui éclipse les autres : l’analyse néoclassique. Cette analyse propose de considérer la migration comme une réponse aux inégalités de revenus existant au sein et entre les espaces économiques nationaux. Cette idée semble largement admise en matière d’analyse des causes de la migration internationale. Cependant, elle souffre d’insuffisances patentes, en raison des hypothèses sur lesquelles elle se fonde, et prête à une série de critiques. En particulier, les inégalités économiques ou les différences de richesses entre les pays ne suffisent absolument pas à expliquer les migrations. En effet, d’autres facteurs autres que la dégradation des conditions de vie – sécheresse et famine – poussent les hommes à migrer, en particulier les guerres civiles, la violence et l’insécurité.

La troisième concerne l’évolution récente des flux migratoires vers les pays développés et les conséquences socio-économiques et politiques de l’immigration. Le ralentissement de la croissance économique de l’Europe Occidentale, suite notamment à la hausse brutale des prix du pétrole, a provoqué progressivement une situation de chômage croissant et déclenché dans le même temps un blocage de la migration de travail. Les travailleurs migrants ont beaucoup souffert de cette situation en étant les premières victimes des licenciements.

L’attractivité de la migration vers le Nord s’estompait à cause de l’augmentation du nombre de migrants chômeurs. Le solde migratoire vers le Nord devenait négatif, les migrants qui rentraient étaient beaucoup plus importants que ceux qui arrivaient. Ainsi par exemple, Paul R. Krugman et Maurice Obstfeld (1992, p. 191) nous rappellent que, de 1960 à 1969, l’émigration nette de Grèce, d’Italie, du Portugal et d’Espagne fut de 2,2 millions alors qu’elle ne fut que de 75 mille personnes de 1970 à 1979.

Ainsi, les migrations ont parfois engendré de sérieux problèmes sociaux et politiques, et ce même pendant la période de croissance rapide. Dans plusieurs pays d’accueil, les migrants sont considérés comme des citoyens de second rang, des personnes sans droit de vote, alors qu’ils peuvent constituer une proportion importante de la force de travail du pays hôte. Le cas de la Suisse illustre bien ce propos car les travailleurs migrants représentaient le tiers de la main-d’oeuvre totale120. Cette situation provoque souvent chez les immigrants des sentiments d’amertume et d’infériorité.

La quatrième et dernière remarque est relative à notre objet d’étude. Il ressort de l’analyse précédente que ni les théories macro-économiques, ni les théories micro-économiques quoique fondées sur les motifs socio-psychologiques ne peuvent, du moins dans un premier temps, nous être d’un grand secours pour étudier le comportement financier des migrants maliens et sénégalais. Ces théories reposent sur une approche à macro-échelle qui ne permet pas de saisir les représentations des acteurs. Or les représentations sont une part active de la réalité car elles sont une construction qui est condition de l’action.

Ainsi, la nécessité de recourir à l’enquête par entretien – qui est une approche à micro-échelle – s’impose pour saisir les représentations et les pratiques des migrants maliens et sénégalais résidant en France. Le chapitre suivant est essentiellement consacré à l’exposé de la méthode des entretiens de récits de vie.

Notes
120.

Paul R. Krugman et Maurice Obstfeld (1992, p. 191) citent Max Frisch, un auteur suisse qui avait écrit à ce propos : « Nous demandions des travailleurs mais ce sont des êtres humains qui sont venus ».