2.3.1 Pratiques de transferts semi-formelles

Ni les pratiques formelles, ni les pratiques informelles ne répondent de manière satisfaisante aux besoins des migrants notamment en matière de transfert. Ainsi, certaines structures semi-formelles proposent des produits de transfert plus adéquats.

Un système de compensation entre associés – en France et dans les pays d’origine – assure un transfert immédiat ; le problème de délais ne se pose plus. On assiste par ailleurs à des relations de proximité à la fois sociales et culturelles puisque ce sont des migrants qui sont à l’origine de ce type d’initiative. Les formalités sont beaucoup plus simples et plus souples que dans le système bancaire et contrastent avec l’anonymat des relations bancaires classiques. Précisons que ce type de transfert est surtout utilisé pour des transferts en nature à travers l’achat de matériel.

Nous avons rencontré une structure de ce type, implantée à Lyon, il s’agit du Groupement d’Intérêt Économique (G.I.E) Sénégal Conseils. Le groupement s’associe à un réseau de correspondants à Dakar et à Paris pour proposer aux migrants sénégalais de France, voire d’Europe, de transférer des fonds et de livrer divers produits (électroménagers, produits alimentaires, mobiliers, etc.) à leurs familles et parents restés au pays. Son correspondant à Dakar, la compagnie Mbaysinger qui est un groupement d’entreprises familiales, assure la livraison des produits.

Le destinataire choisit les produits dont il a besoin après que le paiement ait été effectué en France par virement bancaire ou par chèque. Le G.I.E a aussi mis en place, au profit de sa clientèle, un système de paiement à terme selon un échéancier préétabli. Parallèlement, ce même système existe pour les transferts de fonds vers le Sénégal. Il n’y a pas de transfert régulier de fonds, seulement des livraisons de matériels en grande quantité deux ou trois fois par an : les deux structures fonctionnent ensuite par simple compensation, ce qui assure la rapidité des transactions.

Ce système de transferts en nature ressemble à bien des égards à celui de certaines associations de migrants. En effet, ces associations ont mis en place des groupements d’achats dans leurs villages d’origine qui leur permettent de faire des commandes de divers types de produits – sacs de mil, de riz, et autres. Le migrant paie sur place et les produits sont livrés quelques heures après au village213. Par exemple à Kayes, le destinataire est informé à travers la radio rurale214 de la mise à disposition des produits au magasin du groupement d’achats215. Ce système pratique de transfert en nature constitue en même temps un moyen de contrôle de l’usage des fonds de transferts.

Outre le transfert de matériel, le G.I.E offre aux migrants deux types de services financiers. Le premier service peut être assimilé à un crédit à terme accordé aux acheteurs de matériel. Le client peut payer immédiatement. Il peut aussi opter pour un paiement en plusieurs fois, le paiement pouvant être échelonné sur six mois selon les montants.

La différence entre le prix comptant du produit acheté et la somme totale versée à l’échéance constitue le coût du service ou le coût du crédit. Ce coût est donc différent d’un produit à l’autre, mais il représente un taux qui varie entre 10 % et 50 % du montant du produit acheté, pour des montants variant entre 800 et 4 000 francs. Il est difficile de comparer ce taux avec les taux pratiqués par les banques, dans la mesure où le crédit s’accompagne d’un ensemble de prestations. C’est tout d’abord la rapidité des transferts qui est appréciée. La dispense des tracas de l’expédition et la lenteur des procédures administratives des services de la douane sont évitées, ainsi que le coût de dédouanement du matériel vendu.

Le second service est relatif aux transferts de capitaux des migrants, voire de certains Français, moyennant frais et commissions. Les taux sont dégressifs, variant entre 3 et 10 % selon les montants transférés. Le G.I.E envoie un fax ou téléphone à son correspondant de Dakar et l’argent est remis au destinataire désigné sur place. Une demande effectuée le matin en France peut être réalisée le soir même y compris le week-end. Cette activité a démarré fin 1995, le montant global des transferts financiers s’est élevé à 101 878 francs entre le 22 avril et le 28 novembre 1996, soit 12 481 francs par mois en moyenne. Ces transferts, qui représentent 3 % du chiffre d’affaires total du G.I.E en 1995 et 7 % en 1996, ne concernent que des particuliers. Le groupement n’a pas encore effectué un transfert pour une quelconque association humanitaire ou de migrants.

Notons également que le G.I.E. propose également un service de conseils et d’appui gratuit. Le service conseils qui s’adresse aux migrants en difficultés administratives, aux personnes désireuses d’obtenir des informations sur le Sénégal et aux porteurs de projets d’investissement. Le groupement facilite les échanges techniques et commerciaux, non seulement à travers le service de fret de biens personnels, de matériels industriels et commerciaux, mais aussi en mettant en relation des partenaires potentiels français ou migrants avec des entrepreneurs sénégalais. L’offre de ce service est gratuite. Cette gratuité de l’activité de conseils confère au groupement un réel avantage par rapport aux institutions financières.

Les produits proposés ici répondent ainsi à plusieurs types de demandes. La rapidité et la sécurité des transferts, la possibilité d’avance, le service conseil, et l’affectation de l’épargne à une dépense particulière sont autant d’éléments recherchés et appréciés. On retrouve une épargne de type « épargne projet » : compte tenu des sollicitations diverses, les personnes ont besoin de « cloisonner » leur épargne lorsqu’elles ont un besoin précis. Un tel procédé constitue en même temps un gage pour que l’usage prévu des fonds transférés soit effectif.

Les activités du G.I.E, notamment les services financiers, intéressent de plus en plus de migrants, notamment originaires d’autres pays. Mais actuellement les services proposés se limitent au Sénégal, et ne sont intéressants que pour des transferts à destination de Dakar, puisque le correspondant y est basé.

Notes
213.

A propos des magasins d’approvisionnement, voir M. Diombera [1993]. « Pour une meilleure communication entre ici et la-bas », Hommes et Migrations, n° 1165, pp. 28-29.

214.

Les radios rurales ont pour mission la diffusion de messages ou d’informations à caractère éducatif et sanitaire.

215.

A. Bâ et I. Coquet [1994]. « Les initiatives des émigrés de la région du Fleuve Sénégal installés dans le Nord-Pas-de-Calais », Hommes et Terres du Nord, 4, pp. 166-171.