3. Les migrants et les systèmes financiers

Les immigrés entretiennent des relations financières avec les organismes formels (les banques, La Poste) (3.1) et ils font des pratiques financières traditionnelles au sein de structures informelles et semi-formelles (3.2).

3.1 Les relations avec les organismes formels

Les personnes interrogées possèdent un compte courant postal ou bancaire. La Poste semble être l’organisme préféré des immigrés puisque nombre d’entre eux ont ouvert leurs comptes dans cet organisme et y effectuent presque exclusivement leurs opérations de transfert.

Les réseaux de transfert parallèles qui se développent, certes avec succès, n’ont pas encore acquis une place aussi prépondérante que celle de La Poste. Qui plus est, certains immigrés n’ont pas trop confiance et se méfient de ces réseaux en évoquant que même dans le circuit classique de La Poste, il peut y avoir des problèmes. Le système de La Poste est, pour d’autres, plus avantageux en terme de coûts et plus sûr. L’aspect sécurité est très crucial pour la personne qui fait le mandat. Elle est généralement assurée d’être remboursée si jamais l’argent n’arrive pas au destinataire désigné.

Quant au système bancaire, la clientèle immigrée semble se pencher plus vers les banques françaises. La Société Générale et le Crédit Lyonnais en sont les plus sollicitées. Ce constat peut s’expliquer par le fait que le mauvais souvenir de la crise bancaire en Afrique dans les années 1980 reste toujours présent dans l’esprit des gens.

De nombreuses personnes y ont perdues leur argent. C’est le cas d’un de nos informateurs, client de la Banque Nationale de Développement du Sénégal (BNDS), qui depuis n’a plus confiance aux banques sénégalaises et a rompu tout lien avec elles. Il a finalement ouvert un compte à la Société Générale. Cette méfiance peut être néfaste à l’ensemble des banques. Elle peut constituer un obstacle pour les clients potentiels. Ainsi, un autre migrant nous affirme avoir peur de mettre beaucoup d’argent dans son compte pour se prémunir d’une éventuelle crise bancaire.

Le système bancaire africain n’inspire nullement confiance à nombre d’immigrés. Un migrant sénégalais qui connaît bien la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS)216 et ses produits financiers, en particulier, l’épargne logement, a préféré faire ses démarches personnelles pour acquérir sa maison. Il évoque le manque de sérieux, de rigueur de ces banques.

Ces institutions financières « ne font pas les choses comme cela devrait se faire alors qu’il y a des méthodes qui ont déjà fait leurs preuves » ajoute-t-il. Il évoque aussi la distribution « clientéliste » des crédits bancaires, les chefs religieux et coutumiers ont des possibilités d’avoir des déblocages financiers au niveau des banques. Alors que souvent ils n’ont pas de projets viables. Malgré les changements opérationnels effectués lors des restructurations bancaires, il demeure réservé par rapport au système. Les pays d’Afrique fonctionnent beaucoup trop sur du relationnel, sur des parrainages, sur des liens de parentés, « et ça, pour lui, ce n’est pas toujours la bonne méthode ».

La confiance est donc fondamentale pour pérenniser les relations financières entre les banques et leurs clients. Cependant, ces réticences ne doivent pas masquer la tendance actuellement en cours : de plus en plus d’immigrés sollicitent les banques africaines. A côté de ceux qui ont déjà un compte dans une institution financière africaine, plusieurs autres envisagent très prochainement d’ouvrir un compte dans celles qui ont un bureau représentatif ou une filiale en France. Quelles peuvent être les raisons de ce nouvel engouement pour les banques africaines ? La réponse ne paraît pas évidente. Toutefois, trois propositions peuvent être avancées :

  • l’angoisse d’une expulsion brutale, qui s’accompagne souvent d’une confiscation des biens et des revenus de l’expulsé, signe de la précarisation croissante de la situation administrative des immigrés – changement de statut rapide – ;

  • les défaillances, détournement de fonds par exemple, et les carences, faiblesse du montant et du nombre de crédits octroyés, des structures financières des migrants – tontines et associations – ;

  • un retour vraisemblable de la confiance des immigrés envers le système bancaire africain.

Il demeure néanmoins que les relations financières entre les immigrés au travers de structures collectives semblent beaucoup plus développées.

Notes
216.

La BHS est l’une des trois banques africaines qui ont réussi à obtenir un bon résultat lors de la crise bancaire. Elle a réalisé un important bénéfice de 184 millions de francs CFA en 1988 (Jeune Afrique Économie, n° 124 - Octobre 1989).