3.2.2 Les structures formelles

Les associations de migrants accordent en général une importance toute particulière à la solidarité financière. On est très loin des associations immigrées des années 60 et 70 qui se préoccupaient plutôt de l’identité et de la culture africaine221. Leur objectif est de favoriser l’amitié et la solidarité financière entre les membres. « Créer un lien de solidarité et d’amitié entre les membres, favoriser les rencontres et les échanges d’idées, favoriser l’amitié et la solidarité, tant morale que financière, aider tout membre en difficulté, favoriser l’éducation culturelle des enfants », sont autant de motifs évoqués par les responsables de groupements de migrants rencontrés222.

Par ailleurs, ces structures trouvent leur essence dans le désir de reconstituer l’architecture de la vie communautaire originelle. En effet, les sociétés traditionnelles africaines reposaient fondamentalement sur le principe de prééminence du collectif sur l’individuel. Chaque individu est entièrement défini par rapport à son identité culturelle, ethnique et finalement par rapport à un groupe communautaire. La reconnaissance de cette conscience collective et la contrainte d’appartenance constituent une obligation morale de participer à ces organisations, quel que soit l’endroit où l’on se trouve.

A l’origine, l’association villageoise assumait deux fonctions : d’une part, promouvoir l’intégration sociale au sein de la communauté ; d’autre part, améliorer le rendement des productions agricoles. Au cours du temps, elle a élargi ses domaines de compétences. De nos jours, elle assure la sécurité et la protection sociale, mais aussi et surtout la mise à disposition auprès du village des équipements d’infrastructures diverses. Elle dispose d’une autonomie financière et décisionnelle. L’individu membre de l’association est obligé d’épargner (épargne forcée) pour s’acquitter de ses obligations envers le village. Il subit une contrainte, une pression sociale perpétuelle.

D’aucuns, contrairement à nous, pensent que cette épargne associative est une épargne formelle. Il est donc clair que ces associations se fondent sur la solidarité communautaire. Elles favorisent une redistribution financière au sein des membres. Citons l’exemple des associations villageoises sénégalaises. Elles financent des projets d’utilité publique et aident les plus démunis des villages.

Les associations ne reçoivent généralement pas de subventions. Elles se contentent de la cotisation de leurs membres et de recettes issues de leurs activités au cours de l’année. Leur budget sert à financer leurs dépenses de fonctionnement , à aider certains adhérents en difficulté et à octroyer des prêts à ceux qui en font la demande.

Leurs membres bénéficient souvent de prestations financières dans des conditions très souples. Il s’agit de prêts et de dons. Les dons dépendent de la nature de l’événement, heureux – mariages et baptêmes – ou malheureux – maladies graves et décès. L’octroi de prêts se fait dans des conditions très favorables. En effet, il n’y a aucun taux d’intérêt et qui plus est la durée de remboursement est relativement longue, le délai maximum étant parfois de plusieurs mois – six à huit mois.

Cependant, il subsiste beaucoup de restrictions contraignantes qui constituent les limites du rôle financier des structures associatives. En effet, les prêts et aides dépendent des moyens financiers dont disposent les associations au moment de la demande. Par conséquent, des besoins peuvent être non satisfaits si la situation financière de celles-ci est défavorable .

De plus, le montant total d’un prêt ne peut excéder une certaine somme, en moyenne 5 000 francs. Toutefois, cette offre de crédit n’est possible que lorsque l’argent prêté n’est pas destiné à une activité lucrative. La justification du prêt ne peut être que le souhait urgent d’un membre de satisfaire des besoins pressants voire vitaux.

Les associations de migrants que nous avons recensées sont toutes régies par la loi 1901 et sont donc à but non lucratif. Certaines de ces associations réalisent des projets collectifs dans les régions d’origine. Les migrants jugent ce type d’associations très utiles. Elles ont fait beaucoup d’actions notables, en particulier la construction d’infrastructures de première nécessité. « Certains villages en Afrique sont parvenus à survivre » d’après un migrant grâce aux initiatives salvatrices des associations. Des centres de soins primaires, des écoles, des postes, etc. ont été ainsi construites.

L’exemple des ressortissants du village de Waoundé223, une association de Toucouleurs, est une illustration : ils ont construit une poste sans aucune subvention ni intervention de l’État. Cela prouve, selon la même personne, la bonne volonté des immigrés qui n’attendent rien de leur État. Ils prennent leurs propres initiatives pour « développer à partir d’ici leur village, là où ils habitent. Déjà, là-bas les gens vivent mieux », ajoute-t-il.

Certaines associations organisent aussi des collectes de fonds et de médicaments pour les envoyer aux hôpitaux de leurs pays d’origine. Récemment, une association sénégalaise de la région parisienne a offert un don de près de trois millions de francs CFA de matériel médical à l’hôpital Aristide Le Dantec de Dakar.

Cependant, force est de reconnaître pour l’instant qu’une partie des migrants, dont nous ne pouvons estimer l’importance, rejette ces pratiques en parlant de système dépassé. Pour eux, la raison d’être de ces systèmes ancestraux en Afrique est compréhensible au regard de la situation qui y prévaut. L’administration n’est pas décentralisée et le système bancaire ne couvre pas tout le territoire, en particulier les zones rurales ; alors qu’en France, la situation est complètement différente, voire opposée : il y a beaucoup d’institutions financières qui proposent une gamme très variée de produits financiers avec des conditions de rémunération favorables.

Un autre argument financier a été avancé par un migrant à l’encontre des tontines. Celles-ci n’offrent aucune opportunité de gain contrairement aux organismes financiers qui rémunèrent les placements de l’épargne224. Un arbitrage existe entre ce supplément de revenu que procure le placement de l’épargne dans les institutions financières et les avantages symboliques offerts par les tontines. Les immigrés membres de tontines ont presque tous conscience de ce manque à gagner. Ils privilégient les rencontres régulières et les relations suivies qui en découlent, la solidarité financière et morale. « La solidarité est quelque chose de naturelle chez nous, nous rappelle un migrant. A maintes reprises nous avons cotisé pour aider telle ou telle personne ou pour un marabout ».

Au fond, la tontine et les associations ne sont qu’un outil de perpétuation des habitudes culturelles. Pour autant, ceux qui n’en font pas partie ne peuvent pas être incriminés d’égoïsme ou d’individualisme, nombreux sont ceux, parmi eux, qui envoient de l’argent à leurs parents ou amis restés au pays. L’exemple de ce Malien illustre bien cette catégorie de migrants : il ne fait partie d’aucune association ni tontine et pourtant il fait des transferts régulièrement.

Il reste maintenant à voir quels types de projets envisagent et/ou réalisent les migrants sénégalais et maliens.

Notes
221.

Voir Mar Fall [1986]. Des Africains noirs en France : des tirailleurs sénégalais aux... Blacks, Paris, L’Harmattan, 115 p.

222.

Voir annexe 1 pour un exemple de transcription d’entretien avec un responsable d’association de migrants maliens.

223.

Waoundé se trouve dans la région de Matam, au Nord du Sénégal.

224.

Cette assertion n’est pas vraie pour les tontines financières. Celles-ci, en particulier les tontines financières avec enchères, peuvent générer d’importants profits. Cependant, parmi toutes les tontines rencontrées, il n’y a aucune tontine financière.