Conclusion du chapitre 1 : Les hypothèses d’étude

Au terme de cette analyse des résultats d’entretiens, nous pouvons avancer plusieurs constats concernant le comportement financier des immigrés maliens et sénégalais.

D’une part, les immigrés dans leur ensemble reproduisent globalement les pratiques d’épargne et de crédits issues des pays d’origine. Ce phénomène qualifié « d’incapsulation » par P. Mayer [1963]225 reflète bien l’importance de la pesanteur socioculturelle sur le comportement des immigrés. Cependant, le contexte économique, institutionnel et social des pays d’accueil ne peut être éludé puisque non négligeable. Ainsi, son impact sur le comportement financier des migrants doit être étudié.

D’autre part, le comportement d’épargne des migrants est essentiellement déterminé, pour nombre d’entre eux, par le souci majeur d’entretenir la famille, le plus souvent restée au pays, et le besoin d’entraide à travers les associations de nature et d’objectifs divers. Les conséquences en matière de pratiques financières en sont l’importance des transferts vers les pays de migration et l’accroissement du rôle financier des associations.

Ainsi, l’épargne migratoire destinée aux familles et aux localités d’origine constitue à la fois un révélateur pertinent de la permanence, de l’étroitesse et de l’intensité des relations qui lient les migrants avec leur pays d’origine. Cet attachement à la communauté et au pays d’origine explique ce que J. Barou appelle « la volonté de reconstituer un univers social » en France notamment au travers de structures associatives dont la finalité ultime étant la recherche d’une harmonie socioculturelle.

Les opérations de transfert de revenus sont d’une fréquence assez régulière. Leur nombre est considérablement élevé. Le montant moyen général, estimé en monnaies locales, est significativement important et nous semble largement supérieur au niveau moyen du salaire réel dans les pays d’origine.

En outre, il existe vraisemblablement une absence de relation (corrélative) entre le montant des transferts et les variations du pouvoir d’achat dans les pays d’accueil. Ce constat reste valable à la fois au niveau individuel et au niveau de l’ensemble de la population immigrée ouest-africaine. Ceci n’exclut nullement l’existence de relation forte, a contrario évidente, entre le revenu net disponible (non déflaté) perçu par l’immigré et le niveau des fonds envoyés au pays d’origine. Cependant, la régularité et le niveau du montant des transferts semblent diminuer avec l’accroissement de la durée de l’immigration.

Enfin, les immigrés réalisent des projets individuels et collectifs dans leur pays. Presque tous les immigrés ont au moins un projet. La nature de ces projets est très diversifiée et dépend souvent du métier exercé par son initiateur. Cependant, nous remarquons souvent la concentration de ces projets dans un petit nombre de secteurs tels que le logement, le petit commerce et le transport. Le problème majeur est la recherche de moyens financiers suffisants pour réaliser ces projets car l’épargne financière des immigrés nous semble faible.

De ces constants, nous en déduisons trois conclusions-hypothèses relatives au comportement financier des immigrés maliens et sénégalais.

D’abord, l’épargne financière des immigrés n’est pas importante, contrairement aux idées reçues. S’il est vrai que l’épargne brute des immigrés, définie comme la partie de leur revenu non consommée, est considérable ; il n’en demeure pas moins que l’épargne financière, celle destinée au financement de l’investissement de l’immigré et/ou aux agents à besoin de financement, semble relativement faible.

Les transferts de fonds des immigrés sont considérés comme une épargne brute dans les statistiques des pays d’accueil. En réalité ces transferts sont une non consommation dans ces pays. L’éclatement de la famille entraîne des rythmes et des espaces de consommation différents. Ainsi, cette épargne correspond le plus souvent à une consommation différée dans l’espace, celle de la famille ou des parents restés au pays d’origine. Ceci explique en partie l’importance et la régularité des transferts financiers.

L’épargne brute des migrants se répartit en deux parties : les transferts que nous avons déjà définis en quatre types et l’épargne brute qui reste dans le pays d’accueil. L’épargne brute peut être destinée à un ou plusieurs des usages suivants : remboursements de dettes et/ou paiements de charges diverses, investissement dans un réseau social de solidarité – cotisations dans une tontine et/ou une association de migrants ou autres – et investissement sur place – création d’une petite entreprise, placements financiers.

Ensuite, le comportement financier doit être différencié selon des critères socio-démographiques (âge, sexe, profession); l’appartenance ethnique – la différence de degré de hiérarchisation des sociétés africaines peut le cas échéant expliquer, en partie, la différence de comportement financier – ; la durée de l’immigration et le choix de retour ou non dans le pays d’origine.

L’appréciation des différences de comportement financier des immigrés s’appuiera sur un certain nombre d’éléments. Ces derniers nous permettront ainsi de discriminer la population cible pour cerner les différences de comportement. Ces éléments d’analyse sont la capacité d’épargne et les transferts, le comportement d’endettement et l’esprit d’entreprise.

Enfin, cette étude part aussi de l’hypothèse que le comportement financier est inhibé par divers facteurs qu’il faudrait prendre en compte dans l’analyse, à savoir : les facteurs socioculturels des espaces d’origine, les motivations profondes de l’émigration et la situation des immigrés dans le tissu économique et social du pays d’accueil.

L’exploitation des résultats des questionnaires élaborés à partir de ces hypothèses vont nous permettre d’expliciter le comportement financier des migrants maliens et sénégalais. L’objet du chapitre suivant est précisément d’exposer les caractéristiques et les déterminants du comportement financier de ces derniers.

Notes
225.

Auteur cité par J. M. Gibbal [1981]. « Loin de Mango : les Tiokossi de Lomé », Cahiers d’Études africaines, 81-83, XXI-I-3, pp. 25-51.