4.1.1 La rareté de l’emploi en France

Les exigences technologiques imposées par les mutations industrielles ont accentué le chômage en particulier des travailleurs sans qualification. Les immigrés ont été les premiers à payer un lourd tribut de ces restructurations industrielles. Les entreprises recherchent de plus en plus de travailleurs qualifiés et flexibles. La part des immigrés salariés est passée de 25,9 % à 15,8 % entre 1973 et 1982 et la part des immigrés dans l’effectif total des ouvriers de 34,3 % à 25,5 % entre 1973 et 1979.

L’emploi des immigrés a baissé de 27 000 alors qu’augmente de 40 000 celui des Français sur la même période271. Le mouvement de délocalisation des entreprises en province consistait, selon O. Merckling (1986), à éviter le recrutement de la main-d’oeuvre immigrée. Il s’inscrivait, selon lui, dans le cadre d’une nouvelle politique d’emploi délibérément orientée vers la préférence des travailleurs nationaux.

La baisse des effectifs étrangers a été de 43 % entre 1979 et 1987272. Au 31 décembre 1988, 10,6 % des chômeurs étrangers étaient des Africains alors qu’ils ne représentent que 3,7 % de la population étrangère totale273. Ces suppressions concernent généralement des postes de travail non qualifiés. Ces « dégraissages » massifs posent d’énormes difficultés aux immigrés car leur reconversion semble difficile vu la faiblesse de leur niveau de formation.

Dans un premier temps, les immigrés s’orientent alors vers les emplois de services en pleine croissance. Les caractéristiques de ces métiers – flexibilité des horaires, faibles rémunérations et image de marque sociale peu valorisante – ne leur laissent guère de perspectives d’avenir intéressantes. En 1990, un recensement de l’observatoire du ministère du Travail indiquait une proportion de plus de 50 % d’ouvriers qualifiés parmi les travailleurs étrangers dont moins de 5 % sont agents de maîtrise et techniciens. À Paris, les immigrés représentent 60 à 70 % du personnel de nettoyage, du gardiennage et du blanchissage.

Ce glissement progressif de la main-d’oeuvre immigrée des emplois industriels vers les emplois tertiaires s’est accompagné d’une féminisation croissante de l’emploi salarié immigré : entre mars 1979 et mars 1983, les femmes sont passées de 24 à 28 % du total de l’emploi immigré, quand l’emploi tertiaire passait de 35 à 41 %274.

Par ailleurs, le Rapport du CEDEFOP (1986)275 a mis en exergue l’existence, en France, d’un déficit de formation initiale chez les migrants dits de la « deuxième génération » ; ce qui les handicape sur le marché du travail. Les jeunes migrants de la « deuxième génération » sont beaucoup plus vulnérables au chômage que les jeunes français de milieu identique276. Cette forte vulnérabilité est la conséquence de lacunes diverses, en particulier la non maîtrise de la langue française. Leurs conditions sociales les ont souvent conduits à s’orienter vers les filières d’études allégées aux perspectives peu valorisantes.

La persistance de la crise économique a aussi entraîné un décloisonnement du marché du travail, les travailleurs nationaux acceptant désormais d’occuper les emplois qu’ils refusaient jadis. Les opportunités de trouver un emploi devenant de plus en problématiques, certains immigrés commencent, dans un second temps, à investir dans leur pays d’origine, d’autres se mettent à exercer une activité secondaire pour épargner le maximum d’argent possible. L’entrepreunariat individuel ou collectif semble ainsi l’unique alternative crédible pour échapper à l’inactivité et s’assurer un niveau de vie correct.

La peur du chômage277 est ainsi un puissant facteur d’incitation à l’entrepreunariat. La provenance des fonds destinés à financer l’activité entrepreneuriale – source de financement formelle ou informelle – n’a que peu d’importance. L’essentiel est de pouvoir démarrer l’activité choisie. Ainsi, chez les chinois, les pratiques tontinières sont moins l’expression d’un comportement culturel que « la manifestation d’une éthique de subsistance dans un contexte de précarité économique »278. Les statistiques de l’INSEE les plus récentes, celles de 1992, montrent que près d’un entrepreneur sur dix est immigré (étrangers et français par acquisition)279. Cela témoigne de la réalité et de l’importance du phénomène entrepreneurial chez la population immigrée.

Par ailleurs, la baisse continue du chômage, enregistrée depuis deux ans, bénéficie peu aux populations étrangères, encore beaucoup moins aux immigrés originaires d’Afrique noire. En effet, le taux d’activité des ressortissants des pays d’Afrique noire a fortement diminué (environ 4 points en moins) car il est passé de 65,2 % en mars 1998 à 61.5 % en mars 1999280. Au même moment les taux d’activité du total des étrangers hors CEE et de l’ensemble des étrangers (y compris les ressortissants de la CEE) sont respectivement passés de 54,3 % à 53,7 % et de 56,2 % à 55,4 %, soit 0,5 et 0,8 points de baisse en un an.

La hausse du taux de chômage chez les immigrés d’Afrique noire est essentiellement due à une faible augmentation de la population active masculine puisque le taux d’activité des hommes s’est légèrement amélioré passant de 78 % à 78,8 %. Le taux d’activité des femmes s’est considérablement réduit avec 7,4 points en moins entre 1998 (53,2 %) et 1999 (45,8 %). Cette baisse du taux d’activité des femmes doit s’analyser, eu égard au contexte favorable à l’emploi, comme un reflux massif des femmes sur le marché du travail. Toutefois, les femmes immigrées actives éprouvent des difficultés pour s’insérer sur le marché du travail281.

Notes
271.

Odile Merckling [1986]. « Transformations des emplois et substitutions travailleurs français – travailleurs immigrés : le cas de l’automobile », Sociologie du travail, n° 1, pp. 58-74.

272.

J.-P. Coulange (1991), op. cit.

273.

J. Barou [1990]. « Des chiffres et des hommes », Hommes et Migrations, 1131, avril, pp. 5-8, p. 5.

274.

J.-C. Willard [1984]. « Conditions d’emploi et salaires de la main-d’oeuvre étrangère », Economie et Statistiques, n° 162, juin, pp. 15-27.

275.

CEDEFOP [1986]. Situation de la formation professionnelle des jeunes migrants en Belgique, au Danemark, en France, au Luxembourg et au Royaume-Uni : Rapport de synthèse, Centre européen pour le développement de la formation professionnelle, Office des publications officielles des Communautés européennes, Luxembourg, 89 p.

276.

CEDEFOP (1986), op. cit. La plupart des programmes européens de formation se préoccupent, notamment au Royaume-Uni, davantage à initier les jeunes migrants à des emplois peu ou non qualifiés ne requérant pas de connaissances et de savoir-faire techniques spécifiques. Or, il est nécessaire pour ces jeunes d’avoir accès à une véritable formation professionnelle de qualité débouchant sur un emploi stable.

277.

En France, 50% des créateurs d’entreprise sont des chômeurs. Voir I. Guérin et D. Vallat [2000]. « Facteurs de survie : les clefs du succès de la création d’entreprise par les chômeurs », Rapport pour le Programme d’action du Bureau International du Travail, La microfinance et le travail autonome. La création d’entreprise par les chômeurs, avril, 93 p.

278.

T. Pairault [1998]. « Finance informelle et entrepreneuriat chinois », in J.-M. servet et d. vallat Rapport Exclusion et liens financiers 1997, AEF/Montchrestien, 287 p, pp. 174-177, p. 177.

279.

Nous avons effectué ce calcul à partir des statistiques fournies par l’INSEE. Les immigrés, étrangers et français par acquisition, représentent exactement 9,5% de la catégorie des Artisans, Commerçants et chefs d’entreprise (ACCE). Voir INSEE [1992]. Recensement général de la population de 1990 : population – activité – ménages, INSEE, Paris, 201 p, p. 27.

280.

INSEE (1998), op. cit., p. 93 et INSEE (1999), op. cit., p. 100.

281.

S. Thave [2000]. « L’emploi des immigrés en 1999 », INSEE Première, mai, n° 717.