1.3. Les conséquences de ces crises

La crise de liquidités a gravement affecté l’ensemble du système bancaire. On a assisté à de nombreuses mises en liquidation judiciaire et d’innombrables faillites de banques. Dans l’espace de l’UMOA, on notait déjà en 1988 que 22 des 68 banques avaient un passif qui dépassait très largement leur actif. En Afrique Centrale, 20 des 39 banques ont été mises devant le fait accompli de faillite et liquidées pour cause d’un poids important de créances irrécouvrables. Au Bénin, la situation était catastrophique puisque l’ensemble du secteur bancaire était en faillite. Le Sénégal, qui ne disposait pas moins de 22 institutions au début de la décennie, s’est retrouvé avec 9 établissements de crédit en fin 1991.

Il va sans dire que cette crise a atteint le système financier tout entier. En effet, les caisses nationales d’épargne et les chèques postaux ont connu des problèmes de liquidités du fait des ponctions régulières opérées par les États. Les compagnies d’assurances ont vu leurs activités se contracter. Il s’ensuit inéluctablement des conséquences économiques et financières.

En premier lieu, les investissements productifs ont été pénalisés par le désengagement des investisseurs privés étrangers et par la rareté notoire des ressources. Parallèlement, les grandes banques étrangères ont adopté une stratégie de repli par la fermeture de bon nombre de leurs agences et la séparation de filiales. En second lieu, les restructurations financières du système bancaire ont exigé la mobilisation d’une masse considérable de capitaux. Ce qui a nécessité l’assistance de la Banque Mondiale, du FMI et des banques centrales africaines. La réforme du secteur bancaire camerounais a généré une dépense de FCFA 400 milliards. Tandis que le coût de l’assainissement était estimé à FCFA 200 milliards au Sénégal, soit la moitié du budget de l’État.

Les conséquences sociales du redressement du système sont aussi importantes. Prenons l’exemple de deux banques sénégalaises restructurées : la Banque Nationale de Développement du Sénégal (BNDS) et la Banque Internationale de l’Afrique de l’Ouest (BIAO). La première a compressé près des trois quarts de ses employés, la seconde a réduit ses effectifs qui sont passés de 300 à 100 agents.

Par ailleurs, la méfiance à l’égard des États qui existait déjà avant la crise, s’est renforcée au sortir de celle-ci. La confiance accordé à l’État et aux organismes publics de garantie ou de promotion avait poussé les banques à financer des opérations sans mesurer rigoureusement la qualité du risque qu’elles encouraient. C’est aussi sous son influence que des prêts ont été consentis à des clients insolvables et généralement sans garantie. Ceux-ci ont été accordés, non sur la base de projets viables et rentables mais, sur l’existence de liens politiques, amicaux, ethniques et familiaux. La publication des listes nominatives des gros clients défaillants a permis de vérifier cette affirmation et montré la partialité des États. La découverte des réalités profondes de la crise a amené les populations à se méfier davantage de tout organisme ayant des relations explicites avec les gouvernements.

Dans ce contexte, la finance informelle apparaîtrait non comme un refus de l’accumulation mais bien comme un refus de soumission à l’égard d’autorités étatiques qui ne ménagent pas l’intérêt général. Ainsi, les établissements financiers ont de plus en plus de difficultés à convaincre les agents économiques. Ce qui a favorisé le développement des « banquiers ambulants ». Il s’agit de personnes qui reçoivent, moyennant rémunération, des dépôts et font des prêts. Ils jouent un rôle de « gardiens de monnaie ». Qui plus est, les banques se sont toujours heurtées à des pratiques traditionnelles d’épargne, lesquelles ont généré des circuits parallèles et informels de financement. Ceux-ci constituent une problématique majeure et donc un élément de blocage de l’essor des institutions officielles.

Où en sommes-nous actuellement en ce qui concerne le Mali et le Sénégal ? Le Sénégal compte quatorze établissements de crédit, soit quatre établissements de plus que le Mali. Le système bancaire sénégalais est entièrement sous le contrôle du secteur privé tandis qu’au Mali plusieurs banques restent majoritairement détenues par l’État. La restructuration du système bancaire malien est toujours d’actualité puisque la plupart des établissements connaissent encore des difficultés.

Cependant, la rentabilité globale du secteur bancaire malien s’est fortement améliorée car le taux de marge nette (résultat net/produit net bancaire) est passé de 18,5 % en 1996, 19,6 % en 1997 et 30,5 % en 1998. Après deux années de rentabilité relativement constante (24,3 % en 1996 et 24,8 % en 1997), le taux de marge nette du système bancaire sénégalais a accusé un net recul de cinq points, s’établissant à 19,7 % en 1998. Ce recul de la rentabilité s’explique par la baisse des marges d’intermédiation et la moindre intensité de l’activité bancaire.

Le Mali et le Sénégal sont encore des pays faiblement bancarisés, le montant total des dépôts représente dans les deux pays près du cinquième de leur PIB en 1998. Les difficultés qu’éprouvent les banques maliennes et sénégalaises, voire l’ensemble des banques de l’UEMOA, dans la collecte de ressources longues s’expliquent en partie par cette faible bancarisation.