On reconnaît généralement que le développement n’a d’autres fins que le progrès de l’homme, obtenu par l’amélioration du niveau de vie. Mais ce progrès humain ne découle pas automatiquement de l’expansion économique. Avec l’élargissement de la notion de développement au développement social, certaines questions se sont posées : quel est le niveau géographique le plus approprié pour intégrer les éléments économiques, sociaux et physiques du développement ? Introduire la notion de territoire permet de poser en termes nouveaux la question du développement. On quitte de plus en plus le cadre systématique des politiques de développement à l’échelle d’un continent ou d’un pays, pour promouvoir la mise en place de politiques de développement local1. Dès lors, de nombreux auteurs (Friedmann, Aydalot...) s’accordent à considérer que le développement suppose une prise en compte appropriée des besoins locaux. Cela passerait alors par une délégation du pouvoir exclusif sur les politiques de développement détenu par les Etats, à des acteurs situés à un niveau infranational. Le niveau territorial le plus couramment pressenti est celui de la région.
Cependant une question se pose : à quelle échelle privilégiée d’organisation attribuer le vocable de région ? ’Bien sûr il faut dépasser celle de structures locales. Mais encore... ? R. Brunet parle déjà de région pour ses « quartiers ruraux » ; unités cohérentes de 30-50 km2, complexes vivants et individualisés à partir d’une première articulation de relations ou structures déjà autonomes. Par contre, Juillard réserve l’acception de région au dernier niveau où se structurent et se coordonnent les différentes forces intervenant au niveau économique et social avant le niveau national. Ce qui (...) souligne la place à accorder aux recours aux services utilisés occasionnellement et la référence aux lieux qui les dispensent - les capitales régionales’ (Nonn, 1995 : 70). En Afrique, de plus en plus, est attribué le rôle de capitale régionale à la ville secondaire, ville petite ou moyenne, à l’opposé de la ville primatiale2. Le modèle de développement - du type centre/périphérie - véhiculé par cette dernière est longtemps resté la seule référence bien que, loin d’impulser un développement au niveau global, il ait entraîné l’augmentation des inégalités entre les populations du ’centre’, en l’occurrence la ville-capitale, et les autres. La ville secondaire apparaît elle, comme ’un lieu d’urbanisation « endogène », né souvent de la présence d’un marché desservant un hinterland et stimulé par le marché informel’ (Requier-Desjardins, 1993 : 51). C’est la crise de l’Etat qui renforce cette urbanisation intermédiaire, voulue aujourd’hui moins comme une étape vers le modèle primatial, mais bien comme un processus de développement décentralisé. Dans cette optique, ’les disparités de développement régional sont présentées comme la conséquence de l’aptitude des régions à transformer efficacement les ressources locales en perspectives de développement’ (Kirat, 1993 : 57).
Il y a donc actuellement dans les pays du Tiers-Monde, un retour vers le niveau local consécutif à ce qu’il est convenu d’appeler la crise nationale. ’Un exemple de cette montée de la dimension locale illustre ce lien entre l’effacement relatif du territoire national, comme cadre pertinent d’appréhension des phénomènes de développement, et la montée correspondante des dynamiques territoriales (...). Il s’agit de l’analyse des processus spécifiques de développement dans des territoires transfrontaliers, découlant des opportunités liées aux frontières’ (Requier-Desjardins, 1993 : 51).
La proximité d’une frontière internationale peut en effet constituer un atout au développement des régions qui l’entourent, atout important dans un contexte où la délégation du processus de développement aux centres secondaires ne s’accompagne pas d’une délégation de moyens matériels et financiers qui permettrait de mettre en oeuvre les politiques adéquates. Pour ces centres secondaires, un des moyens de survivre se trouve alors être une exploitation optimale de la moindre opportunité locale dans le but d’impulser une dynamique régionale qui permettrait de s’affranchir de la dépendance vis-à-vis du ou des grands centres urbains. Cette autonomie n’implique pas pour autant l’absence de relations avec leur environnement, mais réside plutôt dans les capacités d’un système (ici une région) à s’organiser selon sa ou ses logiques et à évoluer selon ses propres règles. La proximité d’une frontière internationale pourrait dans ces conditions constituer un atout en contribuant à la formation d’un espace transnational possédant une dynamique interne propre à lui conférer l’autonomie nécessaire à son développement. Si la frontière, par l’entremise d’échanges frontaliers, est un facteur de développement à un niveau local, elle va alors contribuer au processus global de développement. Ainsi, en Afrique par exemple, les frontières si contestées pourraient conduire à l’émergence d’un nouveau schéma d’intégration économique par la prééminence des régions.
Cependant la frontière n’est pas une réalité unique, même, et peut-être surtout, à l’échelle du continent africain. Ainsi, sa localisation, son tracé et l’historique de ce tracé, les caractéristiques des populations qu’elle sépare... sont des éléments qui entrent en jeu dans la détermination du visage de l’espace frontalier, ainsi que sur sa capacité à générer du développement pour les zones qui la jouxtent. Nous avons pour notre part choisi d’étudier la frontière Niger-Nigéria et donc, en définitive, le type de frontière qu’elle représente, type qu’il nous faudra avant toute chose identifier avant d’établir ce qu’il est possible d’en attendre en terme de dynamique de développement économique et social pour une région. Pour cela nous nous attacherons, à travers l’étude d’une ville moyenne, à ce qui fait la région, ’c’est-à-dire à sa vie, à son dynamisme (...). La région est le cadre dans lequel s’effectuent la plupart des actes des populations : actes non seulement économiques (...), mais également sociaux, culturels..., bref les actes « relationnels »’ (Nonn, 1995 : 69).
Nous nous demanderons alors, comment la frontière peut stimuler cette vie de région et faciliter les relations entre des populations dont le principal atout est d’être voisines. En mettant en contact deux entités spatio-démographiques, économiques et sociales, nous chercherons à évaluer dans quelle mesure une frontière peut entraîner une organisation spontanée de l’espace et l’émergence d’une région dynamique.
Pour développer cette problématique, nous avons choisi d’articuler une approche par les dynamiques spatio-temporelles et une approche par les dynamiques économiques. En prenant comme terrain d’observation une ville moyenne, en référence aux travaux d’auteurs tels que Christaller qui la considère comme la clé de voûte du dynamisme régional, l’approche spatio-temporelle nous permettra de mettre en évidence une dynamique intra-régionale. L’existence de celle-ci facilitera la diffusion des effets bénéfiques du dynamisme économique urbain que l’on mettra en lumière par l’approche économique. L’articulation dynamique urbaine/dynamique régionale servira donc à vérifier trois types d’effets que nous estimons primordiaux dans un processus de développement régional par le bas : des effets stabilisateurs, des effets attractifs et des effets dynamiques (graphe 1).
Il s’agit pour commencer, d’effets stabilisateurs des populations urbaine et régionale. Il ne peut y avoir développement lorsqu’une ville se vide de ses habitants. Mais, cette ville peut aussi exercer une polarisation à connotation négative, lorsqu’elle vide à son profit les populations de son aire d’influence. Il est donc important d’étudier les flux permanents, c’est-à-dire concrètement l’origine des citadins et les stratégies qui les ont menés à leur migration résidentielle urbaine. Il faut alors pouvoir vérifier l’existence d’une tendance à la stabilisation ou, tout au plus, à une mobilité résidentielle régionale.
Les populations stabilisées, notamment les populations urbaines, peuvent alors servir de relais, par le jeu des réseaux sociaux, aux populations de la région. Les effets attractifs du pôle régional se traduiront par des flux essentiellement temporaires si les effets stabilisateurs existent réellement. Dans le cas contraire, on assiste à un exode massif des populations rurales, ce qui jusqu’à présent n’a généré un développement notable ni des villes de destination, ni des campagnes d’origine. L’attractivité du pôle est en général d’autant plus forte qu’il est dynamique.
Il y a le dynamisme urbain, que l’on peut repérer à partir des flux quotidiens de personnes, mais aussi et surtout, le dynamisme économique. Dans une ville secondaire, celui-ci repose sur le développement des activités tertiaires en liaison avec l’activité agricole de la région (Bredeloup, 1989). C’est pourquoi nous étudierons de manière spécifique certaines activités de ce premier secteur-clé qui, dans un contexte frontalier, sont les déterminants des échanges économiques. Il s’agit tout d’abord du commerce, activité au coeur de l’échange marchand, du change qui en permet la réalisation financière dans cette région transnationale, et du transport qui en permet la réalisation physique. Le transport est également le facteur de diffusion de ce dynamisme économique, généralement maximal au niveau du pôle régional, aux zones de l’arrière-pays, de même qu’un facteur de stabilisation de la population régionale (dès lors que le pôle est accessible pour sa région, l’intérêt de venir s’y installer est moindre).
Nous avons ainsi retenu, pour cette étude, la dimension des rapports de la vie courante. Pour cela, il faudrait selon Bailly (1995) prendre en compte le travail, l’emploi, les loisirs, la chalandise fréquente et les critères d’intensité et de répétitivité des flux de relations de tous ordres. Ainsi, la région deviendrait un espace de vie où l’emportent les connotations de vie sociale, de pratique de l’espace.
Pour le test de terrain, il nous fallait alors choisir une ville assez grande pour que les effets espérés puissent se voir et s’estimer aisément, autant par leur ampleur que par leur portée. Il fallait également que la frontière, ou plus exactement le centre urbain équivalent à son voisin (ou servant de relais) de l’autre côté de la frontière, soit assez proche pour que l’on puisse penser que les échanges aient un impact direct sur le quotidien des individus et permettent une structuration de l’espace.
Le choix de Konni, ville moyenne du Niger abritant un peu plus de 40 000 habitants et située à moins de 5 km de la frontière Niger-Nigéria (carte 2), répond à ces critères. Elle est l’une des rares villes du Niger qui remplit les différentes conditions requises, principalement celle de l’échelle démographique d’observation. En face de ce centre urbain, du côté nigérian, se trouve la ville de Illéla d’envergure similaire, considérée comme la ’jumelle’, et appartenant à l’Etat de Sokoto. Bien que cette zone fasse partie intégrante de la Région de Konni, nous centrerons notre étude sur le seul côté nigérien. Nous sommes conscient que n’étudier qu’une localité d’un seul côté de la frontière est certainement réducteur, mais des contraintes matérielles, financières et temporelles nous ont obligé à opérer ce choix. Toutefois, nous estimons que celui-ci reste compatible avec la problématique et qu’avec l’étude de Konni, il est possible d’obtenir un assez bon indicateur des interactions qui peuvent exister et d’analyser une partie de la dynamique qui se crée dans toute cette Région.
Konni se trouve donc sur une frontière, longue de plus de 1600 km exempte de toute barrière naturelle, qui met en contact deux pays très différents. Le Niger, de tradition coloniale française, est un pays enclavé et classé par le pnud (selon l’Indice de Développement Humain) 173ème pays le plus pauvre sur 175, en 1998. Le Nigéria quant à lui occupe la 146ème place de ce classement. Pays ayant connu la colonisation britannique, il est aujourd’hui considéré comme le ’géant africain’ pour des raisons aussi bien économiques - il représente plus des 2/5èmes du pib ouest africain3 - que démographiques - plus de 110 millions d’habitants actuellement (L’état du monde, 1997) ; cela représente près de la moitié des habitants de l’Afrique de l’Ouest.
Le Niger est découpé en 8 grandes unités administratives : la Communauté Urbaine de Niamey et 7 départements ayant pour chef-lieu la plus grande ville qui leur donne son nom. L’arrondissement est le deuxième échelon dans la division administrative du territoire et a pour chef-lieu l’un des 39 centres urbains que compte le pays. Ainsi, l’arrondissement de Konni fait-il partie du département de Tahoua et la ville de Konni en est le chef-lieu. La ville constitue le seul centre urbain de l’arrondissement de Konni et en concentre 12% des habitants. Cette population urbaine est en forte croissance ; relativement stable entre le début du siècle et l’indépendance du pays en 1960, elle passe entre 1962 et 1977 de 8 000 habitants à 16 000, et à 29 000 au recensement de 1988 [1]4 ce qui représente une croissance de plus de 5% l’an, et d’environ 80% en l’espace de 11 ans. Par comparaison, ce taux est de 42% sur la même période pour l’ensemble du pays, et de 70% pour la ville de Niamey. Compte tenu de l’existence de certaines infrastructures sociales, de sa taille et de sa densité de population, Konni est classé en 1988, septième centre urbain du pays (derrière 3 villes de plus de 100 000 habitants, dont Niamey, et 3 autres comptant entre 30 000 et 50 000 habitants).
Pour cette étude, nous avons jugé nécessaire d’utiliser deux types d’outils : un outil quantitatif, en l’occurrence une enquête-ménages, et un outil qualitatif, des entretiens individuels et semi-directifs avec les acteurs économiques des secteurs-cibles. Ces deux méthodes de recueil de données sont complémentaires. La première permet d’avoir une quantité importante et diversifiée d’informations semi-’collectives’ (au sens du ménage comme entité sociale) et individuelles (propres à chaque personne composant les ménages) sur une population donnée et donc une vue d’ensemble. La seconde permet quant à elle d’étayer de manière qualitative des données statistiques, et de mettre plus particulièrement l’accent sur des secteurs ou des acteurs identifiés comme important dans les échanges.
L’enquête-ménages repose sur la définition de deux niveaux principaux d’observation : les ménages et les individus les constituant. La définition du ménage adoptée lors du recensement de 1988 a été retenue pour cette enquête : ’le ménage est un ensemble de personnes qui habitent dans un même logement et qui mangent la nourriture préparée sur un même feu’. Dans chaque ménage, ont été recensés les résidents permanents, personnes séjournant plus de 6 mois par an dans ce logement, mais aussi les résidents temporaires, présents entre 3 et 6 mois, et enfin les personnes de passage, dont la durée de séjour prévue n’excède pas 3 mois. Seuls les permanents et les temporaires de plus de 13 ans (âge à partir duquel on peut estimer que l’adolescent dispose d’une certaine autonomie de mouvement) ont été enquêtés. L’échantillon représente environ un ménage sur vingt habitant à Konni, soit un taux de sondage équivalent pour l’échantillon des individus de plus de 13 ans.
L’enquête-ménage nous permet, dans l’optique de l’approche par les dynamiques spatio-temporelles, de saisir dans un premier temps, les flux permanents à travers les parcours migratoires individuels des résidents (tous les lieux que l’individu a habités pendant plus de 6 mois et les raisons pour lesquelles il les a quittés), mais aussi dans ce qu’ils peuvent mettre en oeuvre comme stratégies collectives (au niveau des ménages ou plus largement des familles) de localisation résidentielle. L’enquête nous permet ensuite d’appréhender les flux temporaires à partir d’une entrée par réseau : les ménages accueillent en leur sein des individus pour un temps limité (allant de une nuit à 3 mois) et il est alors intéressant de connaître, au moins pour les plus réguliers, les caractéristiques socio-économiques, la portée spatiale de cette migration et ce qui la motive. L’enquête nous permet enfin, à travers les flux quotidiens, de connaître l’usage quotidien qui est fait de l’espace urbain et régional par les citadins, à tous les niveaux : celui de la vie domestique, de la vie sociale ou encore professionnelle. En étudiant le comportement au quotidien des résidents, les activités et les lieux fréquentés, nous pourrons saisir et caractériser les pratiques spatiales des citadins. Pour cela, nous utiliserons les habitudes déclarées, ainsi que la mobilité quotidienne.
Etudier les usages et les usagers de la ville nous permettra d’en avoir une bonne connaissance à travers ce qu’elle génère en termes de flux, d’identifier l’existence d’un dynamisme quotidien, et d’en reconstituer, par le biais de l’espace d’usage, l’aire d’attractivité, l’espace qui est pratiqué autour de la ville, de manière à vérifier la réalité d’une Région de Konni. C’est cette Région qui est supposée bénéficier de la diffusion d’une dynamique économique urbaine relative à la proximité de la frontière. Nous l’appréhendons à travers les caractéristiques socio-économiques des citadins, par l’enquête-ménages, puis à travers l’échange dont les divers aspects ne peuvent être mis en évidence que par des entretiens spécifiques avec les acteurs économiques.
Pour recueillir ces informations, l’enquête-ménages s’appuie sur deux types de questionnaires (cf .annexe 1) : une fiche ménage et une fiche individu. La première, administrée au chef de ménage uniquement, vise à recueillir des renseignements généraux sur sa personne, la composition du ménage, les personnes résidant en dehors de Konni qu’il accueille régulièrement, le logement et les véhicules de transport appartenant au ménage. La fiche individu concerne tous les résidents permanents et temporaires de plus de 13 ans, y compris le chef de ménage. Dans cette fiche sont abordées, avec l’enquêté, des questions sur ses caractéristiques socio-démographiques (le genre, l’âge, le statut matrimonial, la position dans le ménage, le niveau d’instruction...), son parcours migratoire (tous les endroits où il a vécu plus de 6 mois) et son statut socio-économique. Des informations relatives à sa vie quotidienne sont également recueillies : activités domestiques effectuées, réseaux de sociabilité fréquentés, accès à un mode de transport, ainsi que tous ses déplacements réalisés la veille5.
Tous les quartiers ont été enquêtés. A chacun des six quartiers qui constituent ce qui est considéré comme le noyau ancien de la ville, Fada, Malamawa, Tagagia, Matankarawa, Roumdji et Rini, correspond une zone d’enquête (cf. Carte en annexe 2). Il en est de même pour les quartiers plus récents de Mounwadata et de Kaoura. Seul Sabongari, qui à lui seul représente plus de la moitié de la superficie de la ville et 41% de la population en 1991, a été scindé en 4 zones (cf. échantillonnage en annexe 2) que nous avons appelé Sabongari nord, quartier plutôt administratif, Sabongari marché qui héberge le marché principal et une grande partie des gares routières, Sabongari ouest et Sabongari camp des gardes, ancienne base de la garde républicaine.
L’enquête, réalisée auprès de 253 ménages et 990 individus de plus de 13 ans, s’est déroulée à Konni sur 12 jours en mai 1997 avec une équipe de 12 enquêteurs et de 2 superviseurs que nous avons recrutés au service d’arrondissement du Ministère du Plan. Après en avoir assuré la formation, nous avions, avec l’aide de deux chercheurs de Laboratoire d’Economie des Transports, encadré le processus d’enquête, tant sur le plan pratique (sur le terrain) que scientifique (contrôle des données recueillies au jour le jour). Nous avons pour cette enquête bénéficié de l’expérience acquise quelques mois plus tôt (en 1996) par la réalisation d’une enquête du même ordre que nous avons réalisé avec notre équipe de chercheurs sur la ville de Niamey et qui concernait 750 ménages et 2700 individus.
Les entretiens ont été réalisés uniquement par nos soins. Après une première vague qui a servi de phase exploratoire, nous avons choisi de nous focaliser sur le commerce, le change et le transport, activités économiques qui nous ont paru être à la fois au coeur du dynamisme urbain de Konni, et constituer les éléments de la diffusion de ce dynamisme sur l’espace régional. Une quarantaine d’acteurs économiques ont été interviewés.
Parmi les commerçants, il s’agit aussi bien de ceux exerçant des petits commerces que des commerces plus importants, et de tout type. En ce qui concerne les agents de change, nous avons essayé d’en interroger de tous les niveaux hiérarchiques, le change étant une activité très structurée. Quant au transport, pour l’appréhender dans sa totalité, il fallait y inclure le volet interurbain aussi bien qu’urbain. Le premier a été abordé dans l’enquête-ménages sous l’angle des habitudes, puis en questionnant des chauffeurs, des chefs de gare et un douanier. La dimension urbaine du transport ayant également été largement couverte par l’enquête-ménages, nous avons seulement cherché un complément d’information ; dans un premier temps, par un entretien avec le vice-président du syndicat des transporteurs urbains (les taxis-motos ou kabu-kabu) portant sur l’organisation de l’ensemble du secteur et sur les pratiques individuelles, et dans un second temps avec le secrétaire général de la mairie sur le rôle des autorités locales dans ce domaine.
Les guides d’entretien (en annexe 3) permettent d’abord une identification de l’enquêté, de son activité principale et, le cas échéant, de son activité secondaire, de même que le parcours professionnel qui l’a amené à l’exercice de son activité actuelle. Les thèmes suivants sont plus centrés sur l’activité. A cet effet, des renseignements sont demandés sur les conditions d’entrée dans le secteur, les lieux d’approvisionnement, les habitudes de change et de transport et les réseaux de l’agent économique. Nous avons également voulu connaître plus spécifiquement la clientèle, les pratiques de la profession, ainsi que son évolution. Les relations entretenues avec l’administration et le rôle éventuel de la proximité de la frontière ont également été abordés.
Nous avons effectué les entretiens en trois vagues successives, sur une période d’environ un an (entre 1996 et 1997). Le guide était alors à chaque fois retouché pour tenir compte des problèmes rencontrés lors de son administration précédente (mauvaise interprétation des questions, questions pouvant amener à un refus de répondre ou à des réponses évasives...). Les entretiens ont été réalisés sur le lieu de travail car nos principaux lieux d’investigation étaient la rue, le marché et les gares. L’échantillonnage était totalement aléatoire, et en dehors du choix des catégories d’actifs, nous étions soumis à l’acceptation ou au refus des personnes que nous voulions enquêter. L’entretien durait en général entre 30 minutes et 1h20, écart dû à la quantité des thèmes abordés qui est différente selon les secteurs (plus grande pour les commerçants et les cambistes), et à la volonté plus ou moins forte des individus de coopérer à l’étude.
La méthode que nous avons choisie pour étudier l’incidence de la frontière sur le développement d’une région qui l’entoure n’est donc pas classique. Elle est relativement éloignée des approches macro-économiques souvent utilisées pour appréhender ce type de phénomène. De plus il est clair qu’elle ne nous permet pas de scinder systématiquement les effets liés à la présence de la frontière et ceux directement liés à la dynamique intrinsèque d’une ville moyenne et de son hinterland. Cependant cette méthodologie nous paraît appropriée. Territoire-hommes-activités est une combinaison courante, mais nous ne pourrons parler de développement régional en ce qui concerne cette entité spatiale (à déterminer) que lorsque nous aurons vérifier qu’à la fois les hommes et les formes d’organisation groupés sur ce territoire restreint possèdent une logique et/ou des intérêts propres, avec une emprise locale sur la vie économique.
Nous allons, dans un premier chapitre, après un aperçu des théories générales du développement et de leur évolution dans le temps, définir la dynamique régionale du développement. Nous aborderons les différentes formes sous lesquelles elle se décline, puis la manière dont nous la concevons dans une logique de développement par le bas. Nous évoquerons alors le rôle de la ville moyenne dans ce processus, et la contribution que peut lui apporter la proximité d’une frontière internationale.
Nous étudierons ensuite dans le chapitre 2 la réalité des espaces frontaliers tels qu’ils existent en Afrique comme le résultat d’une histoire précoloniale et du découpage colonial. Puis nous nous concentrerons sur la frontière Niger-Nigéria et sur les facteurs qui font d’elle a priori un facteur de promotion d’échanges bilatéraux, et par là même de développement.
Nous tâcherons alors, après avoir décrit la population de Konni telle qu’elle ressort de l’enquête-ménages dans le chapitre 3, de délimiter dans le chapitre 4, l’espace Région de Konni et de vérifier, si la ville se révèle bien être un pôle stabilisateur d’abord, un pôle attractif ensuite, un pôle dynamique au quotidien enfin. Identifier l’usage qui est fait de l’espace urbain et régional et l’intensité de cet usage permettra de mettre en évidence un espace de vie autour de la ville qui en constitue alors un pôle de développement.
Ainsi, après avoir établi le lien entre la ville et sa Région et donc la possible diffusion du dynamisme urbain à l’arrière-pays, nous analyserons dans un dernier chapitre l’activité économique dans la ville. Ce sera une étude relativement détaillée des principales activités telles qu’elles se pratiquent en ville, de leur portée spatiale et sociale, et bien sûr de leurs conséquences sur le développement.
Dans la conclusion, nous tirerons les leçons des constats faits dans l’étude de terrain sur les effets de la frontière à un niveau local. Nous déterminerons ce que cette proximité peut apporter de positif et de négatif à un processus de développement initié au quotidien par des populations qui tentent de tirer profit de ce qui peut être dans certains cas considéré comme un atout. Sans occulter le fait que le local peut avoir des conséquences très variables au niveau national, nous essayerons de tirer des conclusions sur le développement des zones transfrontalières en particulier et de manière plus générale, sur le potentiel des régions à initier en leur sein un processus de développement. Nous évoquerons enfin le rôle que peuvent jouer les différents acteurs de la vie économique, dont l’Etat, dans un tel processus.
Nous utilisons le terme de ’local’ par opposition au national, au général.
On parle de primatie lorsqu’un système urbain est dominé par une ou quelques villes de grande taille (Cosinschi et Racine, 1995 : 104).
Soit un PIB de $1430 par habitant en 1997 (L’état du monde, 1997) et de $800 pour le Niger.
Le dernier recensement, réalisé en 1999, n’a pas encore été dépouillé.
Nous sommes conscient qu’étudier la mobilité à partir de données recueillies sur une seule journée peut poser quelques problèmes, et nous prenons le risque de voir apparaître des comportements exceptionnels. Cependant, le nombre d’individus enquêtés permet statistiquement de pallier ces difficultés en diminuant les chances d’apparition des phénomènes trop rares (Bonnafous, 1981).