Jusque dans les années soixante, le développement était vu comme un ensemble de mutations quantitatives et de progressions mesurables des produits et des revenus moyens - progressions généralement obtenues par une industrialisation croissante de l’économie. La Théorie de la croissance économique de Lewis (1955), les Effets de la croissance économiques de Rostow (1958), tout comme des ouvrages d’auteurs tels que Harrod, Domar, Solow, traitent de ce que l’on convient maintenant d’appeler le ’développement’. Pour une population donnée, ce serait alors l’accès à un certain niveau de richesse et de bien-être matériel, estimé en termes, par exemple, de pnb, de pib, ou de revenu par tête d’habitant. Ces indicateurs situent les pays dans l’échelle du développement.
L’intérêt de l’utilisation du revenu par tête est qu’il constitue en apparence un indicateur synthétique et relativement facilement disponible ; mais son large emploi fait de plus en plus apparaître ses déficiences et ses ambiguïtés en tant qu’instrument de mesure surtout pour les pays qu’il situe au bas de l’échelle. Il faut en effet remarquer que le revenu par tête ne prend en compte qu’une partie des biens et services autoconsommés (essentiellement agricoles), or les activités à des fins d’autoconsommation peuvent quelquefois représenter la majeure partie du temps de travail pour les pays les moins développés. De plus, il ne représente ’qu’une moyenne qui n’a guère de signification quand une petite minorité se partage une large partie du revenu national (...). Dans ce cas, le revenu « moyen » n’est nullement représentatif du niveau de revenu de la majorité des habitants. En troisième lieu, les statistiques servant à mesurer le pnb sont souvent de qualité médiocre, surtout dans les pays les plus pauvres qui ne disposent pas de ressources nécessaires à la mise en place d’une comptabilité nationale. Enfin, le pnb par tête n’est qu’un instrument de comparaison internationale très approximatif. En effet, la comparaison des pnb repose sur des taux de change officiels qui ne reflètent pas les parités de pouvoir d’achat’ (Grellet, 1986 : 38). Pour répondre à cette dernière critique, l’idée apparaît alors de calculer les indicateurs sur la base des ppa (parités du pouvoir d’achat). Il s’agit de taux de conversion monétaire qui égalisent les pouvoirs d’achat des différentes monnaies. Ainsi, une somme d’argent donnée permettra d’acquérir le même panier de biens et de services dans tous les pays en question. Il est cependant impossible de trouver des produits parfaitement similaires dans tous les pays et pour toutes les années considérées (Delalande, 1998). L’évaluation du développement uniquement à l’aune de ces indicateurs statistiques montre alors des limites.
Avec la prise de conscience qu’on ne pouvait définir le développement indépendamment de toute finalité, il devient alors clair que les théories du développement, trop rapidement assimilées aux théories de la croissance, ne sont pas applicables partout ni pour tous de la même façon. On remarque, dans les pays du Tiers-Monde en particulier, que l’industrialisation (dont un haut niveau était considéré comme le garant de tout développement), n’entraîne pas nécessairement une amélioration des conditions de vie de la majorité des populations, surtout parce qu’elle ne permet de créer que peu d’emplois. De plus, ’pour un espace périphérique, se doter de technologie avancée signifie accroître sa dépendance vis-à-vis des pays producteurs de ces technologies, adopter leurs modèles de vie, accroître la dépendance alimentaire et commerciale, et bientôt financière’ (Aydalot, 1985 : 109). Donc, les insuffisances de ces modèles de développement dit fonctionnels amènent à une vision moins uniformisante du développement, qui désormais prend un caractère plus social. A partir de la fin des années 60, il devient de plus en plus évident que plutôt que la recherche du taux maximal de croissance économique, qui ne profite qu’à un petit nombre, il peut sembler préférable de chercher un développement conciliable avec la pluralité des situations, même s’il doit quand même reposer sur des valeurs à vocation universelle.