1.2 La remise en cause de l’universalité du concept de développement

La question des structures sociales et politiques ainsi que celle des cultures apparaissent désormais comme déterminantes. On considère alors le développement comme ’le processus par lequel une société parvient à satisfaire les besoins qu’elle considère comme fondamentaux. Cette définition permet de souligner deux points essentiels : le développement est un processus et il ne peut se mesurer que par rapport à certaines valeurs’ (Grellet, 1986 : 29). Le développement n’est donc plus la croissance dans la mesure où il lui est fixé d’autres objectifs que la simple augmentation du pib6, et le fait qu’il ne puisse se juger que par rapport à certaines valeurs signifie qu’il n’existe pas d’étalon universel du développement.

François Perroux fut l’un des premiers économistes à différencier croissance économique et développement : la croissance est de nature quantitative et le développement est une notion qualitative, qui suppose le déploiement de l’activité des hommes par l’échange de biens et services, d’informations et de symboles. Ce faisant, il passe de la notion de progrès à celle de développement global et intégré et recommande l’adoption de stratégies endogènes, axées sur la mise en valeur des ressources locales en faveur d’une couverture des besoins essentiels. Il définit ces derniers comme étant ‘’les besoins du statut humain de la vie pour chacun dans un ensemble (social) déterminé’’ (Commission française justice et paix, 1990 : 128). Le développement serait donc l’évolution au cours de laquelle ces besoins sont progressivement satisfaits. Mais en fait, il n’existe pas de critères objectifs pour définir les besoins essentiels car les besoins humains ne sont pas une donnée naturelle, mais sont largement déterminés par l’époque, la culture, l’information, l’imitation sociale ou encore la publicité. S’il est difficile pour les experts de déterminer a priori ces besoins, il est également difficile d’en faire un recueil, exhaustif et utilisable, auprès de populations concernés, surtout les plus pauvres. ‘’L’on peut toutefois s’accorder pour penser qu’en deçà des besoins culturellement déterminés existent des besoins que chacun devrait pouvoir satisfaire : manger à sa faim, pouvoir être soigné en cas de maladie, disposer d’un toit en dur, avoir accès à l’eau potable et apprendre à lire. Ces besoins peuvent être considérés comme le plus petit commun dénominateur entre les besoins définis par les experts et ceux exprimés par les populations’’ (Grellet, 1986 : 210). Il s’agit de besoins considérés comme communs aux hommes de différentes cultures et civilisations.

Il faut donc aujourd’hui mesurer le degré de satisfaction de ces besoins pour mesurer le niveau de développement d’un pays. Pour cela, le pnud propose (Delalande, 1998) de remplacer le pib par habitant par l’idh (indicateur de développement humain), indicateur composite ayant pour objectif de refléter trois aspects du développement économique et social : l’espérance de vie (mesurée à l’aide de l’espérance de vie à la naissance), le degré d’éducation (mesuré par le taux d’alphabétisation des adultes et le taux de scolarisation), l’accès aux ressources indispensables pour vivre (mesuré par le pib réel par habitant exprimé en ppa)7. Le calcul de l’idh pour 175 pays ainsi que le nouveau classement qui en résulte8 montrent que les bénéfices de la croissance économique au regard des critères utilisés par le développement humain ne semblent pas répartis équitablement. A un même niveau de pib peuvent correspondre des niveaux de développement humain différents. Cependant, l’idh fait lui aussi l’objet de nombreuses critiques liées à ’l’arbitraire’ du choix des indicateurs qui le composent, au mode d’ajustement du pib réel et au fait que l’idh est une moyenne nationale qui masque bien souvent des disparités entre les sexes, les régions, les classes de revenus. Pour répondre en partie à ces critiques, d’autres indicateurs voient le jour, tel que l’isdh (indicateur sexospécifique du développement humain) proposé par le pnud en 1995, ou encore l’iph (indicateur de pauvreté humaine) en 1997, fondé sur l’espérance de vie, le niveau d’éducation et les conditions de vie (mesurées par l’accès au services de santé, l’accès à l’eau potable et la part des enfants de moins de cinq ans victimes de malnutrition). Ce dernier indicateur semble prometteur, car ‘’contrairement au concept de pauvreté monétaire qui estime qu’une personne est pauvre si et seulement si son niveau de revenu est inférieur à un seuil de pauvreté défini, en l’occurrence $1 par jour, l’iph repose sur l’idée que la pauvreté est aussi l’absence d’opportunité permettant de bénéficier d’une existence tolérable’’ (Delalande, 1998 : 85).

Le développement tel que nous le définissons ici est à la fois économique et social. Il désigne l’ensemble des transformations techniques, sociales, démographiques et culturelles accompagnant la croissance de la production. Il peut être associé à l’idée de progrès économique et social qui traduit l’amélioration du niveau de vie et du niveau d’instruction, besoins qualifiés d’essentiels pour le bien-être des populations.

Les stratégies de couverture de ces besoins reposent alors sur deux principes. Le premier est d’accorder la priorité à la satisfaction par l’ensemble de la population des besoins essentiels, et le second impose une stratégie décentralisée, c’est-à-dire que le choix des objectifs et des moyens est fait par ceux-là même qui produisent et qui consomment. ’Un tel développement impose la rupture avec la logique fonctionnelle de l’organisation de la vie économique et propose de revenir à une vision « territoriale » : c’est dans un cadre local, par la mise en valeur des ressources locales et avec la participation de la population que le développement pourra réellement répondre aux besoins des populations’ (Aydalot, 1985 : 109). C’est dans ce contexte qu’on voit apparaître, en dehors des versions spatialisées de l’analyse économique générale, des approches plus régionales ou locales du développement.

Notes
6.

Même si de nombreux économistes ou organismes internationaux utilisent le PIB par tête comme indicateur de développement, considérant qu’il existe suffisamment de preuves empiriques pour affirmer que le niveau de développement économique est un bon prédicteur des niveaux de développement social.

7.

Les 4 indicateurs qui entrent dans la composition de l’idh se calculent de la manière suivante :

indicateur = (valeur réelle - valeur minimale)/(valeur maximale - valeur minimale)

Les valeurs minimales et maximales fixées pour chacun des éléments sont : espérance de vie [25 ans - 85 ans] ; alphabétisation des adultes [0 - 100%] ; taux de scolarisation [0 - 100%] ; pib réel par habitant en ppa [100 ppa - 40 000 ppa]. L’idh est la somme des 4 indicateurs calculés, pondérés respectivement par les coefficients 1/3, 2/9, 1/9 et 1/3. (delalande, 1998)

8.

10 pays se classent 20 places plus haut selon l’idh qu’en fonction du pib réel par habitant, en revanche 17 pays se classent mieux en fonction du pib.