2.1.3 La théorie des pôles de croissance

Une autre théorie, quelques temps considérée comme ’le’ processus privilégié du développement régional, est la théorie des pôles de croissance ou de développement. Les auteurs francophones parlent de ’polarisation’ et de ’développement polarisé’ pour désigner le processus de propagation dans l’espace de l’essor engendré par les pôles de développement. Ceux-ci correspondent à une agglomération d’entreprises motrices et dynamiques où l’investissement a des effets d’entraînement importants sur l’économie régionale (Lajugie, 1985). A la base de cette théorie, on trouve donc l’idée selon laquelle la vie économique résulte non pas de l’action des agents isolés en situation de concurrence, mais de l’action spécifique d’unités économiques (entreprises) qui, par leur position et leur dimension, peuvent jouer un rôle dominant. On retrouve les fondements de cette théorie chez Perroux au début des années 50. Cette approche met en évidence le fait que le développement n’est pas étalé, homogène ; elle montre aussi comment les effets de la croissance ne se propagent pas également au profit de tous les secteurs mais surtout dans les secteurs liés à ceux qui donnent les impulsions initiales. Elle souligne enfin comment cette croissance se coagule au voisinage des unités motrices. Pour Perroux (1981), la croissance n’apparaît pas partout à la fois ; elle se manifeste en des points ou pôles de croissance, avec des intensités variables ; elle se répand par divers canaux et avec des effets terminaux variables pour l’ensemble de l’économie. En effet, il peut y avoir des effets de stoppage aussi bien que des effets d’entraînement ; le problème est d’obtenir que ces derniers soient plus forts. Ils peuvent alors jouer au profit d’activités amont (fourniture de matière première ou de produits agricoles, industries d’outillage et de biens d’équipement, industries agro-alimentaires), d’activités aval (industries de transformation, opérations de sous-traitance, industries de biens d’usage et de consommation courante) et d’activités latérales (transport, crédit, commerces, services et autres activités tertiaires) (Lajugie, 1985). Il existe des pôles naturels de développement qui sont déterminés soit par la présence de sources d’énergie ou de gisements de matières premières, soit par l’existence de communications et de noeuds de trafic ou celle de grands ports maritimes, soit enfin par la concentration de banques et d’établissements financiers. Cependant, seules certaines régions privilégiées bénéficient de tels atouts naturels, aptes à susciter l’investissement industriel. Pour les autres, il faut s’efforcer de rechercher des pôles dits ’compensateurs’ (Lajugie, 1985) : industries de bases, activités agricoles hautement spécialisées, grandes villes industrielles, métropoles provinciales... Il ne faut cependant pas perdre de vue le fait que l’implantation d’une activité motrice, même révélée opportune par l’analyse économique, peut se heurter à :

Parmi les théories du développement régional selon une dynamique exogène que nous venons de voir, aucune ne nous paraît vraiment adaptée à la nouvelle conception du développement comme un processus s’inscrivant sur un espace infranational et mobilisant en interne les ressources et les acteurs régionaux et locaux. Ainsi, pour ce qui est de la théorie de la base, il ne pourrait s’agir véritablement d’une théorie du développement régional même si l’approche par la demande est de plus en plus remplacée par des approches centrées sur l’offre pour tenir compte de spécificités internes. Les théories du développement inégal sont quant à elles plutôt des modèles explicatifs du déterminisme de la prospérité des zones riches/centrales par rapport aux zones pauvres/périphériques. Seule la théorie du développement polarisé se situe, selon nous, à mi-chemin entre une dynamique exogène et celle endogène du développement régional9. En effet, des forces internes sont sollicitées, elles ne le sont cependant qu’a posteriori. Un inconvénient majeur est aussi que cette théorie renoue avec l’idée que le développement est lié à l’industrialisation, ce qui la rend inapplicable en l’état dans les régions du monde qui sont globalement sous-développées. Nous en retenons pourtant l’aspect spatial selon lequel un territoire serait une somme de n pôles de rang équivalent et qui possèdent chacun une aire attirée dans leur voisinage ; une région serait ainsi un pôle entouré de son arrière-pays. Cette idée peut facilement s’intégrer dans des approches beaucoup plus proches de la notion du développement qui met en avant le bien-être des populations et des méthodes pressenties pour y parvenir dans le cas des pays les moins avancés : un mode de développement décentralisé et endogène.

Notes
9.

Certains auteurs (exemple : Duez, 1998) la classent parmi les théories endogènes, comme l’adaptation de la théorie du développement à un espace régional dans les pays du Nord.