Le développement endogène ou autocentré est une conception du développement avant de relever de l’économie régionale : c’est une approche territoriale du développement plus qu’une théorie de la croissance régionale. Il fait l’objet d’applications à divers niveaux. S’il a pour les pays occidentaux un contenu régional, voire micro-régional, il peut être appliqué dans le Tiers-Monde à des pays dans leur ensemble. Il se présente moins comme une théorie du développement de la région que comme un paradigme nouveau du développement : développement territorial, développement ’from below’ (partant du bas), s’opposant au développement fonctionnel et ’up-down’ (partant du haut) qui fondait les pratiques antérieures.
Qu’est-ce que le développement autocentré ? Pour J. Friedmann qui le nomme développement ’agropolitain’, c’est l’inscription territoriale des besoins fondamentaux. Il a trois caractères essentiels : il est territorial, communautaire et démocratique. C’est à la communauté de décider de l’usage de ses ressources. Le développement agropolitain, serait ’l’expression de la foi dans l’aptitude d’un peuple à progresser dans la direction qu’il a choisie’. Seule la communauté peut garantir la couverture des besoins essentiels. Il n’y aura pleine mobilisation des ressources que si chacun reçoit le bénéfice des efforts accomplis ; on ne peut y parvenir qu’en égalisant l’accès aux bases du pouvoir social. On trouve dans ces lignes un certain nombre de mots-clé du développement autocentré tels que :
développement territorial ; rappelons que pour les approches habituelles du développement, c’est l’entreprise qui est l’agent majeur : elle plie l’espace à ses besoins. L’espace pour elle est la réunion d’un certain nombre de caractères techniques, un ensemble d’inputs localisés. Mais l’espace est un élément qui dépasse la somme de ses composantes : des valeurs communes, des possibilités d’interaction qui créent des effets de synergie dont l’entreprise n’a pas l’usage et qu’elle tend à briser. Donner au ’milieu’ le rôle essentiel, c’est faire du ’territoire’ la source du développement.
ou encore la référence aux besoins essentiels ou fondamentaux ; si l’inventeur de cette notion est F. Perroux qui parlait déjà des ’coûts de l’homme’ dans les années 60, l’idée de besoins fondamentaux a été reprise dans les années 70 par Paul Streeten, puis par d’autres par la suite lorsqu’il s’est agi de définir le développement non plus en termes quantitatifs, mais en relation avec les besoins de la population. Le développement serait alors d’abord la capacité de nourrir, loger, vêtir, éduquer, employer toute la population et non pas uniquement celle d’accroître le chiffre du revenu monétaire moyen. Techniquement il s’agit de rompre avec la logique de la théorie de la base : ce n’est plus une demande externe qui définit la croissance, mais des besoins internes à la zone considérée.
Le développement endogène débouche sur le développement intégré c’est-à-dire le contrôle local de la vie économique ; le promouvoir revient à prôner un développement global intégrant dans une même logique les aspects sociaux, culturels, techniques, agricoles et industriels, plutôt que de développer des spécialisations ’pointues’. La petite échelle est alors de rigueur, et le refus des grandes unités et des centres de décision dominants découle des choix précisés plus haut. Ce type de développement peut s’accompagner (et s’accompagne le plus souvent) d’un développement de l’économie souterraine. Une fraction croissante de l’activité économique se réalise alors en marge des normes habituelles et du contrôle de l’Etat et des grandes organisations. Ce secteur dit informel, relève d’initiatives purement individuelles. Le concept de secteur informel ou non structuré est apparu au début des années 70 avec le lancement du Programme Mondial de l’Emploi par le B.I.T. et la publication d’un rapport sur le Kenya publié en 1972. Ce rapport faisait prendre conscience que l’exode rural et la croissance urbaine qui en résultait ne se traduisaient pas par l’existence d’un taux élevé de chômage, mais par le développement de petites activités permettant aux individus n’ayant pu avoir accès aux emplois du secteur moderne, de vivre et de survivre (Charmes, 1990). Compte tenu de la complexité du phénomène, il est souvent pris une définition multicritères pour le décrire. La plus connue est celle du rapport sur le Kenya qui met en avant les facteurs suivants : la facilité d’entrée, la concurrence non réglementée sur les marchés, l’utilisation de ressources locales, la petite échelle des activités, ou encore la formation acquise en dehors du système scolaire (Turnham, 1990). Il s’agit d’un marché d’échange des biens et services où l’ajustement entre offre et demande se fait très fortement par le prix (Boyabé, 1999). C’est une réalité qui suscite de nombreux débats et polémiques. Pendant longtemps, une majorité d’économistes ont préconisé de lutter contre les activités informelles, le progrès ne pouvant selon eux venir que de la résorption de cette poche de sous-emploi. Le reconnaître, c’est aussi reconnaître l’échec des Etats. Aujourd’hui, la tendance dominante au niveau économique est celle du ’moins d’Etat’. L’opinion s’inverse alors et ces activités qui s’épanouissent loin de l’interventionnisme de l’Etat apparaissent comme une solution au développement dans les pays pauvres. Ainsi, même s’il met en cause l’équilibre de l’économie officielle, le secteur informel se développe de manière considérable. Sa souplesse, un coût de gestion bien moindre, une complète autonomie vis-à-vis des organes de gestion centralisée concourent à expliquer ceci sinon le justifier.
Dans la droite ligne de cette vision de l’économie, la conception endogène du développement se définit comme la souplesse s’opposant à la rigidité des formes d’organisation classiques. Elle incarne l’idée d’une économie flexible, capable de s’adapter à des données changeantes et constitue une alternative à l’économie des grandes unités.
A partir de cette définition du développement régional, nous admettons que des entités spatiales infra-nationales forment la base d’une analyse nouvelle des processus économiques : des hommes et des formes d’organisation groupés sur un territoire restreint (une région) posséderaient ainsi une logique et/ou des intérêts propres, et certains phénomènes économiques prendraient corps dans un cadre territorial infra-national. Cependant, il faut noter que la région, contrairement à d’autres concepts (comme la ville ou la nation), n’a aucune existence matérielle. Aussi‘, ’a-t-on pu écrire que Région est un mot vide qui ne contient que ce que l’on y met’’ (Beguin, 1994 : 139). Elle serait alors une création de l’esprit qu’aucune frontière naturelle, aucune réalité visible ne vient dessiner. Elle peut cependant trouver sa place ‘’dans la démarche scientifique en se présentant comme un outil servant à tester des hypothèses relatives à l’organisation de l’espace ou à explorer des explications reposant sur la localisation, la diffusion, l’interaction’’ (Beguin, 1994 : 140). La pertinence du concept de région s’apprécient donc en fonction de la problématique qui la fait émerger, de la cohérence théorique de la démarche sur laquelle elle repose. Toute étude concernant cette entité, analysera alors implicitement la région comme un système visant à un fonctionnement relativement autonome et complexe, dont le champ d’action est déterminé par des frontières données a priori. Ici le contenu que nous y mettons est celui d’une ville, notamment d’une ville moyenne, entourée d’une zone qu’elle polarise, qu’elle fait bénéficier de sa dynamique propre.
Cette partie s’inspire largement de Aydalot, 1985 : pp. 144-150