Du point de vue spatial, lorsque l’on reprend les définitions données plus haut, la frontière est une ligne. Ceci ne fut pas toujours le cas : au 17ème siècle en Europe, la frontière comme délimitation territoriale est inexistante (Clemens-Denys, 1999) et c’est à la ville, par ses portes et ses taxes, qu’est dévolue la fonction frontalière principale de signe de changement de souveraineté. La frontière fut donc longtemps considérée comme une zone, et ce jusqu’au 18ème siècle, avec les progrès de la cartographie (entre autres motifs) et la matérialisation précise des frontières par des bornes. Aujourd’hui encore, cette vision linéaire de la frontière ne fait pas l’unanimité, et l’historien L. Febvre11 souligne fortement l’origine essentiellement européenne de cette notion de frontière linéaire, notion qui s’est diffusée à travers le monde à la faveur de la période coloniale. En Afrique par exemple, dans la conception autochtone, la frontière était conçue ’‘comme une zone d’interférence de plus en plus floue entre deux formations politiques : l’espace étatique précolonial n’était pas, en effet, défini comme « homogène », mais comme « polaire », c’est-à-dire organisé autour d’un centre diffusant le contrôle de l’Etat en auréoles concentriques de moins en moins concernées au fur et à mesure de leur éloignement’’ (Coquery-Vidrovitch, 1982 : 5). La conception occidentale est le résultat d’une évolution générale : notion sacrée aux origines, puis assimilée à des limites de propriété, dans la Grèce des cités, la frontière est enfin zone, puis ligne.
Cependant, lorsque les géographes s’intéressaient aux zones (’the frontier’) plus qu’aux lignes-frontières (’boundary’), ils développaient alors davantage le concept de région-frontière qui souligne l’idée de l’affrontement, du choc et de la rupture. J-P. Renard (Renard, 1997 : 55) reprend les propos de F. Ratzel selon lequel : ‘’Les grandes villes commerciales, les zones industrielles importantes et surtout la capitale seront éloignées de la frontière’, et constate que cette définition de la zone frontière établie voici un siècle était justifiée par une approche militaire de la frontière en tant que ligne de défense et plus encore d’attaque. La vocation militaire de l’ourlet frontalier en faisait une zone de manoeuvres et à bien des reprises, la zone-frontière est apparue comme une aire comprise entre deux lignes-frontière dédoublées : en avant la ligne politique marquant la limite de souveraineté nationale, en arrière la ligne de défense militaire prenant appui sur des éléments naturels particuliers (forêts, crêtes, fleuve, etc.) ; entre les deux lignes-coupures s’étend la zone-frontière constituant un glacis à vocation militaire. Dans ce contexte géostratégique, les territoires de la frontière sont soumis à de fortes contraintes qui pénalisent leur développement économique et social.’
‘J. House (1980) tente de concilier les deux positions du débat ’la frontière est une ligne ou une zone’ en stipulant que la frontière est une zone s’étendant des deux côtés d’une ligne qui démarque une frontière internationale. Et lorsqu’on regarde l’évolution des frontières, qui passent ’de la zone de séparation large, stérile et vide, à la simple ligne de démarcation sans épaisseur, de l’indétermination d’un tracé souvent aberrant à la rigoureuse détermination d’un contour défini mathématiquement’’12, on se rend compte alors qu’aujourd’hui la définition de House est peut être la mieux adaptée car, de part et d’autre du tracé-frontière, vivent des régions qui communiquent : l’idée de la zone-tampon cède le pas à celle de la zone de contact et de vie. La frontière est donc un concept mutant qui varie dans l’espace et dans le temps, un concept aujourd’hui en voie de démultiplication (elle n’est plus simplement terrestre, mais aussi portuaire et aéroportuaire) et en voie de complexification, avec pour conséquence des fonctions et des effets divers.
Dont les écrits de 1928 furent repris par Foucher, 1991 : 59.
Propos de l. febvre dont les écrits de 1928 furent repris par Foucher, 1991 : 59.