La frontière est ici considérée comme un élément pénalisant du développement des régions qui l’entourent. Dans ce domaine, ce sont les plus anciennes, et l’on peut retrouver à ce niveau, les thèses développées, dès la première moitié du 20ème siècle, par deux grands auteurs qui se sont penchés sur la question, Christaller et Lösch.
Le premier identifie le principe de séparation socio-politique de la frontière à un tiers système d’organisation spatiale, à côté des logiques économiques d’organisation des marchés et des transports. La frontière serait un élément artificiel de distorsion des aires de marché et des places centrales qui ne permettrait qu’un développement économique limité des régions dans lesquelles ses effets se manifestent. De plus, la situation géographique de ces régions et l’instabilité liée aux zones-limites vont entraîner un renchérissement des coûts d’investissement et l’accumulation de ces effets négatifs peut alors empêcher la formation dans ces régions-ci de places centrales à haut degré de complémentarité et à forte capacité de développement.
Pour Lösch, un des grands freins au développement économique des régions touchées par l’effet-frontière se trouve dans la tendance naturelle des gouvernements (de par le ’principe de séparation’) à privilégier les politiques sectorielles au détriment des rapports socio-économiques régionaux et inter-régionaux. Il va mettre l’accent sur le conflit qui existe entre les objectifs politiques, de continuité et de puissance, et les objectifs économiques de productivité et d’efficience ; la taxe douanière, par le frein qu’elle peut constituer à l’échange, en est une illustration.
Pourtant, peu d’études ont été menées dans les divers domaines que compte l’Economie ; parmi ceux qui ont été relativement bien explorés, il y a l’action sur les localisations industrielles à la frontière. Cette action peut être appréhendée à travers les modèles de Giersch ou de Ponsard présentés par Courlet (1988). Comme l’indique ce dernier, ces modèles sont fondés sur trois hypothèses fondamentales (l’uniformité des fonctions de coût en tous points ; la répartition régulière de la demande ; la proportionnalité des coûts de transport à la distance), et aboutit à la thèse dite ’du départ frontalier’.
Selon celle-ci, en supposant trois localisations possibles dans un espace indifférencié (A, B, et C), les coûts sur place étant représentés par une verticale d’une hauteur proportionnelle, la prise en considération des coûts de transport, laisse l’entreprise localisée en A maîtresse de la totalité du marché, tendant en tout point à un prix inférieur à ses concurrents B et C (graphe 4).
L’existence d’une frontière en X modifie totalement la situation. Pour un droit de douane égal par exemple à DE, l’entreprise C devient concurrentielle sur la portion de l’espace HN. Un droit de douane plus élevé (DF) serait même favorable à B, au détriment plus encore de l’entreprise A.
Dans ces conditions, la tendance générale serait de retourner vers les sources d’approvisionnement et vers les débouchés intérieurs s’il y en a, c’est-à-dire de se rapprocher des fournisseurs ou des marchés nationaux, dans une situation plus centrale. L’entreprise A cherchera à récupérer vers la gauche le marché perdu à droite de la frontière. Telle est la théorie du ’départ frontalier’. En même temps, la région frontière perd l’aspect d’une région périphérique.
Dans cette conception, l’existence de la frontière limite l’exploitation des marchés. Ainsi l’exploitation des complémentarités a également pour effet de freiner le processus d’accumulation du capital. ‘’Les difficultés et les coûts élevés d’approvisionnement liés à l’éloignement des grandes agglomérations internationales, la perte d’une partie de l’« aire naturelle » des marchés et l’éloignement des centres de consommation nationaux, la situation excentrée par rapport au lieu d’implantation des organismes de décisions politiques et administratives, limitent le volume des investissements dans les régions situées à proximité des frontières. (...) Au total, la région frontière, bien que constituant une région naturelle, n’apparaît pas comme une structure polarisée cohérente ; en raison de la frontière, elle se décompose en deux sous-espaces distincts, dont les pôles ont un développement et un rayonnement incomplets. Les agglomérations d’activités, qu’elles soient situées d’un côté ou de l’autre de la frontière, sont limitées dans leur réalisation d’économie d’échelle et ne bénéficient que d’un volume restreint d’économies externes. Leur rythme de développement est donc moins rapide’’ (Courlet, 1988 : 8).
Ainsi, pour bon nombre d’économistes, la frontière est vue comme une coupure, une limite d’un système empêchant l’obtention de l’optimum économique. Certains auteurs, tels que Ratti (Ratti, Reichman, 1993), reprennent ces arguments pour souligner la faiblesse de la théorie de la localisation ainsi que son caractère statique. En effet, l’effet-barrière de la frontière peut être (et est de plus en plus fréquemment) surmonté par la création de zones-franches, ainsi que par l’émergence des stratégies de ’tariff factories’. Ces dernières sont des investissements réalisés dans la région voisine, de l’autre côté de la frontière dans le but de contrer les politiques protectionnistes des Etats en pénétrant leur marché de l’intérieur. Actuellement, surtout dans les pays industrialisés, le développement des régions-frontière est de plus en plus assuré par un rapprochement, voire une conjugaison des objectifs politiques et économiques. Ainsi, rappelle Courlet, des études étrangères (Sherrill, Vanhove et Klaassen) montrent qu’en Europe, les performances économiques des régions frontières ne se distinguent pas de celles des régions internes.