Toutes les théories relatives à l’échange international cherchent à expliquer d’une manière ou d’une autre pourquoi les courants d’échanges s’établissent entre tel et tel pays. ’Il s’agissait d’expliquer la spécialisation des pays dans certaines productions et par conséquent la nécessité de recourir au commerce international pour se procurer les biens qu’ils ne produisent pas eux-mêmes en échange des biens qu’ils produisent en excédent’ (Vate, 1982 : 298).
Une première explication proposée par Adam Smith s’appuyait sur le principe de la division du travail étendue au plan international : chaque pays produit ce pour quoi il est naturellement le plus apte ; ses coûts de production seront alors plus faibles que ceux des pays moins doués. Il va alors y avoir un processus de spécialisation des pays pour certains produits, et une importation systématique des autres produits qu’ils ont meilleur compte à acheter qu’à produire dans des conditions désavantageuses.
David Ricardo fait le même raisonnement, mais explique l’échange international par les coûts comparatifs et non plus par les coûts absolus.
A partir des années 1920 et 30 les analyses du commerce international vont connaître un certain renouvellement par l’introduction de raisonnements en termes monétaires et la prise en compte de l’influence des échanges extérieurs sur la rémunération des facteurs de production. On retrouve ce type de raisonnement avec les Suédois Hecksher et Ohlin pour qui dans un pays, chaque facteur de production est plus ou moins rare. Un pays va donc produire et exporter des biens qui nécessitent principalement les facteurs abondants et bon marché et importera des biens qui contiennent des facteurs qui chez lui sont rares et onéreux. Ainsi chaque pays a tendance à se spécialiser dans les productions qui consomment beaucoup du facteur dont il dispose abondamment. Ce dernier, de plus en plus demandé aussi bien pour la consommation locale que pour l’exportation, va devenir moins abondant et plus cher, un phénomène symétrique se produisant dans les autres pays pour les autres facteurs. L’échange de produits opère, en quelque sorte, un transfert des facteurs de production. La tendance à la spécialisation s’accompagne d’une tendance à l’égalisation des raretés relatives et des prix relatifs des facteurs de production sur le plan international.
Le commerce international serait alors, dans toutes les thèses évoquées, un moyen d’utiliser au mieux les différences économiques entre les pays partenaires ou encore de réduire l’écart entre des économies de niveaux différents. Ce dernier argument est souvent repris par certains économistes du développement qui soutiennent que le salut des PED se trouve dans l’échange avec les pays industrialisés. Si au niveau national cette hypothèse est encore sujette à caution, au niveau local, c’est-à-dire au niveau du commerce ou des échanges frontaliers entre deux pays d’envergure différente, l’étude empirique a parfois permis d’observer une certaine tendance à l’égalisation des situations des populations voisines.
Si l’on prend l’exemple de la frontière Mexique-Etats-Unis, on constate que du côté mexicain, les villes y sont sensiblement plus prospères, avec des revenus par tête jusqu’à 50% supérieurs à la moyenne nationale dans certains cas14. Côté américain, en dehors de San Diego et Tucson qui ne diffèrent pas beaucoup de la moyenne nationale, les villes de la frontière sud font partie des plus pauvres des Etats-Unis. Ce type de ’nivellement’ est obtenu de plusieurs manières :
par des échanges commerciaux intenses et spontanés par lesquels la population se procure ce dont elle a besoin là où c’est le moins cher. Ce phénomène est accentué lorsque les monnaies sont différentes et que se constitue au niveau de la frontière un marché noir où l’achat de la devise rend l’échange encore plus attrayant pour les deux parties.
par la mobilité du travail et la mobilité du capital (que nous verrons à la suite de cette section).
Le statut frontalier des régions exerce-t-il une influence déterminante sur les échanges extérieurs ? Selon Giraud (1991), les relations économiques ont toujours passé outre l’existence de frontières administratives. La division du travail et la polarisation de l’espace marchand ont développé des zones attractives pour leur périphérie, que celle-ci soit de même nationalité ou étrangère. Mais ce qui n’est qu’échanges inter-régionaux dans le premier cas devient import-export dans le second. Ainsi, le statut frontalier a jadis eu une influence sur le niveau des échanges extérieurs des régions. L’ère des colporteurs étant révolue, on aurait pu penser, en Europe par exemple, que l’établissement d’un marché commun allait atténuer la différenciation de l’espace. Or, plus de trente ans après la signature du traité de Rome, il observe que l’effet du statut frontalier est toujours présent. En France, selon la région on peut passer d’une propension à échanger par actif de 189 KF pour le Limousin à plus de 1000 KF pour l’Alsace et la Haute-Normandie15. Six régions possèdent une forte propension à échanger (plus de 120% de la moyenne). Elles ont toutes un statut frontalier (même si les régions à frontière exclusivement maritime ont une propension à échanger plus modeste). La présence d’une frontière terrestre induit une nette densité des échanges extérieurs. Dans l’ensemble, les régions frontalières sont plus extraverties que les autres.
L’effet frontière joue donc effectivement, mais cependant à des degrés divers et il est loin d’exercer une détermination absolue. Son incidence, bien réelle, doit être précisée à l’aide d’une localisation détaillée des flux et est d’autant plus indispensable que la visualisation graphique de l’effet de frontière reste une représentation statique, relevant d’une géographie descriptive (Catin, 1990).
Les activités exercées de part et d’autre de la frontière doivent être en correspondance pour générer des flux notoires car il ne suffit pas qu’une région ait une frontière pour qu’elle voit se développer des échanges commerciaux typés qui la distinguerait de ses voisines.
Hansen, 1994 : 87, cite Peach (1984) pour souligner la pauvreté de ces régions selon les standards américains et leur relative prospérité selon ceux mexicains.
La propension à échanger est ici le rapport entre la somme des exportations et des importations par région d’une part et les effectifs régionaux d’autre part.