La mobilité du travail est une pratique légale lorsque la frontière est ouverte et clandestine lorsque les pays en présence n’entretiennent pas de relations déclarées. La situation est néanmoins rarement aussi tranchée et on assiste en général à une migration professionnelle dont une partie échappe au contrôle des autorités. Cette migration peut être quotidienne, saisonnière (entre 3 et 8 mois chaque année) ou définitive. Dans les deux derniers cas, il s’agit en général de se rendre ou de s’installer plus à l’intérieur des terres, de l’autre côté de la frontière.
Cette fois encore, c’est le niveau relatif de développement du pays voisin, mais aussi de l’état du marché du travail (entre autres facteurs), qui vont expliquer l’effet d’attraction que va exercer un territoire ou une portion de territoire donnée sur les travailleurs d’un pays limitrophe. Si on prend l’exemple de la France et de la Suisse (Diaz-Olvera et al. 1995), plusieurs facteurs structurels viennent expliquer pourquoi en 1994, 90 000 individus résidant en France traversent quotidiennement la frontière pour aller travailler en Suisse. D’une part, la baisse de la population active due au vieillissement de sa population, alliée à un taux d’activité féminin le plus faible des pays de l’ocde et à la désaffection des emplois secondaires de la part des jeunes travailleurs suisses va entraîner dans ce pays une supériorité de l’offre d’emploi par rapport aux capacités internes. Un choix politique va donc être de privilégier le recours à une main-d’oeuvre résidant en France et donc peu consommatrice de services publics, plutôt que de recourir à une population immigrée provenant de pays plus lointains. Côté français, ce sont surtout la montée du chômage et un attrait supérieur du salaire qui expliquent l’importance du flux de migrations quotidiennes de travailleurs aux frontières. En Europe, l’Allemagne et la Suisse sont les principaux pays d’emploi. De tels mouvements quotidiens existent aussi dans bien d’autres pays, aux frontières de la Finlande en provenance de la Russie, de Singapour en provenance de la Malaisie, aux frontières des Etats-Unis en provenance du Canada et surtout du Mexique (Gildas, 1995).
Ce dernier exemple illustre bien l’attraction exercée par la différence de niveau de vie et de salaire sur les travailleurs frontaliers du pays le moins développé vers le pays le plus développé. Ainsi, on remarque tout le long de cette frontière U.S.A.-Mexique, une croissance importante des populations des villes. Du côté américain, entre 1980 et 1990, les métropoles frontalières (celles-ci abritent 95% de la population frontalière) connaissent une augmentation de 31% en moyenne (Hansen, 1994) ; la moyenne du pays est de 10% pour cette même période. Du côté mexicain on note également une augmentation moyenne de la population de 31% de 1980 à 1990 (augmentation qui va de 18 à 61% selon les régions). Sur cette zone, il n’y a donc pas uniquement une forte mobilité professionnelle quotidienne, mais également une importante mobilité résidentielle conduisant des Mexicains de l’intérieur des terres à se rapprocher de la frontière et ceux de la frontière à s’installer de l’autre côté. L’attractivité de la zone transfrontalière y a toujours été très forte pour les populations mexicaines du fait de différents accords entre les deux gouvernements - l’accord ’Bracero’, sur l’entrée de travailleurs agricoles saisonniers aux Etats-Unis, qui a pris fin en 1965 (Requier-Desjardins, 1998), remplacé par des programmes plus favorables à une mobilité transfrontalière du capital que des hommes.