1.1 De la frontière précoloniale à la frontière ’moderne’

L’idée de la frontière n’était pas étrangère à la culture africaine et ‘’dans différentes régions, les chefferies, les royaumes et les empires africains ont dû régler le problème de la coexistence dans des espaces limitrophes. Mais elles l’ont fait d’une façon différente. Les frontières africaines semblent avoir le plus souvent séparé des dominations qui contrairement à l’Etat moderne n’homogénéisaient pas l’espace, mais le polarisaient autour d’un noyau dur entouré d’une périphérie beaucoup plus souplement reliée au pouvoir central. Aux limites, il faut noter l’institution fréquente et quelquefois systématique d’espaces tampons, aux allégeances fluides et parfois vides de populations (...) Tout ceci renvoie sans doute à une autre conception de la souveraineté, et l’espace du pouvoir se définissait à partir et en aval de chaînes de relations sociales et d’allégeances diverses alors que dans l’Etat moderne, la soumission des hommes à des institutions procède de leur appartenance à un espace par nature délimité au centimètre près’’ (Sautter, 1993 : 384). Avec la colonisation, on passe d’un flou territorial, d’une relation pouvoir-hommes-espace à des formes occidentales, rigoureusement spatialisées, de l’Etat et à des relations du type espace-hommes-pouvoir ; mais à l’échelle du continent, cela c’est fait progressivement. En effet, au départ les puissances européennes n’occupaient que des points de la côte (à l’exception du Sénégal où l’expansion vers l’intérieur datait du Second Empire), mais pénétraient vers l’intérieur du continent. Ce n’est qu’au milieu des années 1880 qu’il fallut négocier des frontières entre elles. Il y eut de la sorte en Afrique occidentale, trois vagues de délimitations territoriales entre les deux principales puissances en présence, la France et la Grande-Bretagne (Brot, 1993) :

  • de 1889 à 1895 dans les régions côtières : en 1889 furent délimitées la frontière entre Sénégal et Gambie et celle entre Dahomey et Nigéria ; en 1893, celle entre Côte d’Ivoire et Gold Coast ; en 1895 entre Guinée et Sierra Leone de l’océan aux sources du Niger.

  • de 1898 à 1911 dans les régions de l’intérieur : les frontières entre la Gold Coast et la future Haute Volta, et entre le nord du Dahomey et le Nigéria, furent tracées en 1898 ; celle entre Niger et Nigéria en 1904 et 1906 ; et la dernière section Guinée-Sierra Leone, des sources du Niger jusqu’au Liberia, en 1911.

  • en 1919 pour le partage des colonies allemandes, Cameroun et Togo.

Il faut noter qu’il pouvait s’écouler plusieurs années entre le tracé d’une frontière sur des cartes imprécises, dans des régions pas toujours conquises, et son abornement sur le terrain.

Plusieurs logiques ont prévalu au partage colonial (Igué et Soule, 1993) :

  • les manoeuvres militaires qui concernent les déserts africains depuis la Méditerranée jusqu’à l’orée de la forêt équatoriale,

  • le contrôle des matières premières généralement dans les zones côtières et forestières, même si les faibles connaissances géologiques sur l’Afrique ne permettaient pas alors de savoir, a priori, jusqu’où s’étendaient les réserves de métaux précieux,

  • le peuplement des territoires conquis, à partir du trop plein démographique européen après la révolution industrielle ; cette logique n’a cependant pas concerné l’Afrique de l’Ouest.