Pour l’ensemble du Tiers-Monde, la thématique de la frontière coloniale est récurrente. Les frontières coloniales sont présentées, de l’extérieur, comme artificielles, arbitraires et injustes ; ces arguments sont parfois repris de l’intérieur, en cas de litige. Il y a à cet égard, un stéréotype africain de la frontière (Foucher, 1991) qui est souvent présenté par les observateurs non seulement comme un des symptômes du colonialisme, mais encore comme une des causes du sous-développement et des tensions, puisqu’il faut détourner des ressources pour gérer un espace hétérogène, dans lequel ont été regroupés des groupes humains antagonistes.
De fait, la colonisation de la quasi-totalité du continent en l’espace d’un peu plus d’une décennie traçait soudain sur la carte de l’Afrique la trame d’une organisation territoriale toute nouvelle. A ce découpage hâtif ‘’établi souvent sur la foi de documents sommaires, voire erronés, on attribue deux maux (...) : la division artificielle d’entités ethniques et une balkanisation qui aurait abouti à la constitution d’Etats trop petits pour être viables. Ces « vérités établies » méritent discussion’’ (Dubresson, 1994 : 28).
Il y a d’abord constat du caractère artificiel des frontières africaines qui est incontestable lorsqu’on se penche un tant soit peu sur la nature des supports choisis par les traceurs. Un nombre important de tracés suit des lignes géométriques astronomiques (parallèles ou méridiens) ou mathématiques (lignes droites, lignes d’équidistance, arcs de cercle) ; Foucher avance le chiffre de 42% alors que d’autres auteurs tels que Sautter parlent de 74%, le reste suivant des faits de géographie physique. Pour Foucher, ce dernier élément a prévalu au tracé de 47% des frontières en Afrique, ce qui laisse 11% de tracés à supports ’autres’ parmi lesquels ceux qui suivent les discontinuités de la géographie humaine. Au-delà des chiffres qui ne sont pas toujours les mêmes, on peut souligner qu’il n’a pas été fait grand cas des frontières humaines (’l’on a relevé 187 groupes ethniques dont les territoires sont divisés entre plusieurs Etats’ Dubresson, 1994 : 28).
Mais, il faut apporter au constat initial des atténuations. En effet, les tracés choisis en fonction de considérations abstraites ont parfois fait l’objet, après coup, d’ajustements locaux tenant compte des réalités humaines. D’autre part, ’derrière les revendications territoriales des puissances coloniales les unes vis-à-vis des autres, il y avait dans un certain nombre de cas les traités conclus avec les « chefs indigènes » ’ (Sautter, 1993 : 379). Il arrivait donc que les frontières entre colonies traduisent l’existence antérieure, au moins près des côtes, d’une sorte de division entre unités politiques distinctes ‘(’appartenance ethnique et appartenance politique ne se recouvrent pas forcément’’ Dubresson, 1994 : 29). Mais si dans ces cas on a choisi, dans la gamme des lignes physiques ou géométriques possibles, celles qui reflétaient la moins mauvaise approximation par rapport à ces partages d’influences, il n’en demeure pas moins qu’une majorité de frontières a été imaginée souvent sur le papier, de manière à cristalliser des rapports de forces.
Il y eut dans un premier temps négation des frontières ainsi tracées, surtout quand il y avait de part et d’autre continuité culturelle, linguistique et sociale. Les populations ne se souciaient pas des frontières nationales ou ne s’en souciaient que pour en tirer profit. Ainsi pour des Africains qui ont depuis longtemps acquis une grande mobilité, les bouleversements de la colonisation et ’les différences entre régimes coloniaux français et anglais, furent de puissants facteurs de mobilité. Les migrations se produisent très largement des colonies françaises vers les colonies britanniques’ (Brot, 1993 : 25). L’attrait de ces dernières tenait à leur relative prospérité (Nigéria, Gold Coast), mais aussi à la plus grande dureté, d’une façon générale, du régime colonial français.
Au fur et à mesure que les pouvoirs étatiques se renforcent, les consciences nationales s’affirment et le phénomène migratoire perd de son ampleur. Les frontières, dites arbitraires et ne correspondant pas à des réalités africaines historiques, ethniques et économiques, ont une existence réelle avec laquelle il faut désormais compter.
Pour illustrer l’historique du tracé des frontières en Afrique, prenons une frontière qui nous intéresse particulièrement ici : celle entre Niger et Nigéria.