La zone dans laquelle s’entretenaient les relations entre les populations des Etats nigériens et nigérians était le Soudan central. Cette zone était sous l’influence des mêmes facteurs climatiques et d’un point de vue géographique la zone nigérienne était la continuité naturelle du nord-Nigéria.
Les populations soumises aux mêmes contraintes climatiques, géographiques et environnementales, ont formé leur style de vie sur le même modèle, révélant de grandes similitudes entre les cultures (Sani, 1989). Similitudes au niveau des institutions sociales et politiques, au niveau de la production et de la distribution. Les populations du Soudan et de la savane sahélienne ont toujours été agriculteurs, nomades et chasseurs, occupations qui résultent d’une adaptation à l’environnement géographique.
Cette adaptation peut se voir à travers les rythmes de vie. Sur une année, ces rythmes prennent la forme de saisons : saison des pluies, consacrée à l’agriculture, et saison sèche, où l’on mène une vie plus nomade. Au quotidien, ces rythmes suivent la courbe de température, avec l’exécution des tâches les plus pénibles pendant les heures les plus fraîches.
Ayant donc subi les mêmes contraintes, les communautés vivant dans la région nord-Nigéria et sud-Niger formaient un bloc géographique qui, à l’exception de quelques différences locales mineures, était resté longtemps sans barrière physique ou culturelle, sans démarcation.
Ce bloc géographique était également un bloc linguistique. Le haoussa était le langage dominant parlé dans cette région. Les populations du Soudan central et du sud-Niger étaient et sont encore des Haoussas.
L’unité géographique et linguistique qui existait dans le Soudan central et qui liait les populations du nord-Nigéria et du sud-Niger, a eu une grande influence sur la production agricole et sa répartition. Les ressources naturelles à disposition et les méthodes de culture adoptées ont déterminé les habitudes alimentaires de cette communauté. L’agriculture était l’activité dominante des populations et l’échange se faisait pour la plupart sur les produits agricoles et artisanaux. A l’intérieur du Kasar Hausa (territoire haoussa), les marchands de céréales transportaient les surplus de production des zones du sud-Niger (sous-peuplées), aux zones du nord-Nigéria (très peuplées).
D’autre part, à cette époque, la prospérité des populations haoussas était assurée par leur situation privilégiée, au carrefour des grands axes commerciaux (Egg, 1985). Des centres urbains disposant d’entrepôts importants se développaient. Ils approvisionnaient le commerce transsaharien des produits collectés à l’Ouest et au Sud (esclaves, ivoire, or, plumes d’autruches, étoffes et cuir) et recevaient en échange les produits d’Afrique du Nord, d’Europe et des pays Arabes (sucre, épices, métal, armes, textiles européens, aiguilles et fil ...), que les commerçants se chargaient de redistribuer localement ainsi que vers le Sud et l’Ouest.
Le coeur du Kasar Hausa était constitué d’Etats traditionnels haoussas. L’émergence de ces Etats ainsi que leur développement dans cette zone a commencé dans l’antiquité (Sani, 1989). Le Gobir, un des principaux Etats haoussas, a son origine profonde au Niger (carte 3). Des Etats comme Kano, Maradi, Damagaran, Kwanni et Adar ont émergé et se sont développés dans cette région. Les relations entre ces Etats sont des échanges aussi bien matériels que diplomatiques, mais aussi des appuis militaires et des conflits. Pendant les 18ème et 19ème siècles, on peut recenser de nombreux conflits visant à déterminer la suprématie politique des divers Etats de cette région. On peut rappeler les conflits ayant opposé Kano au Damagaran, Katsina à Maradi, Daura au Damagaran, Kano au Gobir. Mais la guerre n’entraîne pas la suspension des relations économiques, sociales et religieuses qu’entretiennent les populations de ces communautés. Les Etats guerroient, les populations communiquent et échangent. Les unités indépendantes regroupées, centrées autour du birni (centre urbain), se sont donc souvent combattues pour le contrôle des routes du commerce ou pour étendre leur territoire. Mais le principal conflit, celui qui a remis en cause l’homogénéité géographique du territoire haoussa, a été la Jihad (guerre sainte musulmane) pendant le 19ème siècle, menée par les Peuls avec à leur tête Ousmane Dan Fodio. Il voulait combattre les « infidèles » dont l’influence s’accroissait en pays haoussa. Cette guerre conduisit en territoire haoussa à la destitution des classes traditionnelles au pouvoir. En 1810, les Peuls, après avoir fondé Sokoto, symbole du ’nouvel ordre politico-social’ (Foucher, 1991), avaient conquis une grande partie du territoire et établi leur influence (Muhammad, 1989). La nouvelle élite peule remplaça les chefs traditionnels qui furent alors obligés avec leurs fidèles de migrer vers le nord, à l’extérieur des zones sous le contrôle des Peuls. Ils établirent alors leurs centres à Maradi, Tsibiri et Zango. Les populations qui leur étaient restées fidèles, entreprirent de les suivre ; on assista à un exode massif vers Maradi et Tsibiri. C’est pourquoi il y a aujourd’hui une grande concentration de population dans ces centres. Quant à Daura, les séquelles de la conquête peule y furent toutes autres : il fut divisé en trois Etats, Daura, Baure et Zango. Etats petits et affaiblis, ils se retrouvèrent dans la position d’Etats-tampon entre le puissant émirat de Kano au sud et celui du Damagaran au nord. Ce dernier, avec l’aide du Bornu dont il était le vassal au moment de la conquête peule, conquit alors Zango et Baure. Pendant presque un siècle, le conflit entre Peuls et descendants des anciens chefs traditionnels persistèrent. Les chefs en exil n’acceptèrent pas leur défaite ; ils tentèrent de garder le contrôle des routes du commerce et de reconquérir leurs territoires perdus. Cela eut pour conséquence l’émergence d’une ’frontière’ entre les deux zones rivales. En effet, les Peuls introduisirent artificiellement une frontière en dévastant la zone située entre Katsina et Sokoto. Ainsi des villes comme Junkuki, Dankama, et Madawa avaient été détruites au milieu du 19ème siècle.