Cette troisième catégorie de frontières ouest-africaines concerne celles qui ont favorisé le développement des régions frontalières dynamiques, à l’instar de celle entre le Niger et le Nigéria. Elles se sont formées presque partout là où existe une forte possibilité de distribution, entre pays voisins, des richesses provenant de la vente des matières premières ou agricoles dont disposent abondamment certains Etats, là où existe aussi une forte solidarité des populations victimes de la partition coloniale, comme l’expression du refus de cette partition. Ainsi, la naissance de ces régions diminue les contraintes du partage colonial sur les populations à partir de la mise sur pied de tout un système de régulation sociale et économique, fondé sur l’intensité des migrations et des échanges commerciaux. Ces échanges commerciaux, lorsque leur animation est assurée par les populations vivant à cheval sur ces frontières, favorisent la naissance de villes frontalières et stimulent la croissance des localités déjà existantes dans la zone. Généralement, ces centres urbains sont disposés les uns en face des autres avec l’apparition d’agglomérations jumelles aux principaux points de passage. Ces agglomérations servent aussi de support à la création d’un important réseau de marchés frontaliers dont bon nombre sont aussi des marchés jumeaux.
L’espace frontalier ainsi créé est qualifié de plusieurs manières : en ce qui concerne les régions d’Europe et d’Amérique, selon les auteurs, il s’agirait juste d’espaces frontaliers ou encore de périphéries frontalières. Pour ce qui est de l’Afrique de l’Ouest, John Igué a préféré le terme de périphérie nationale qui selon lui reflète mieux la complexité des phénomènes qui s’y déroulent. En effet, l’autonomie dont jouissent ces zones par rapport aux lois qui régissent le territoire national permettrait de les considérer comme telles, c’est-à-dire de véritables enclaves qui s’imposent par leur rôle économique et social aux Etats-Nations limitrophes. Nous préférons quant à nous parler de périphérie transnationale, en référence aux théories liées à la prédominance du rôle de contact de la frontière. En effet, l’hypothèse est bien qu’il va se former une zone à cheval sur la frontière, zone dépassant les limites de l’Etat-Nation. Il s’agirait alors d’un espace économique dynamique, autonome dans sa capacité à s’organiser selon sa ou ses logiques et à évoluer selon ses propres règles, qui se greffe sur deux ou plusieurs Etats. Son fonctionnement repose sur les contrastes institués par la frontière.
On peut regrouper en quatre types les facteurs déterminants du développement des périphéries transnationales. Il s’agirait selon John Igué (1990) :
les racines historiques des Etats africains. De ce point de vue, on peut dire que les échanges commerciaux, qui constituent l’un des aspects dynamiques de ces régions et qui revêtent un caractère illégal au fur et à mesure que s’affirment les indépendances et que se créent des enceintes douanières et tarifaires différenciées, sont des legs d’anciennes relations historiques. Ils sont ’la marque d’une solidarité entre des populations partagées par ces frontières alors qu’elles ont vécu des expériences historiques communes, longues généralement, qu’elles sont ou ont été soudées par la même foi, ou tout simplement qu’il s’agit du même peuple’ (Verlaeten, 1991 : 8).
les différences de peuplement ou de richesse économique qui permettent à certains pays de distribuer une partie des ventes venant de l’exploitation des ressources naturelles vers leurs voisins plus petits et plus pauvres.
les différences d’espaces monétaires où figurent des entités politiques qui sont rattachées à des monnaies convertibles relativement fortes ou stables vis-à-vis de celles qui ont des monnaies autonomes plus instables. La décote des secondes par rapport aux premières sur les marchés parallèles de change engendre des flux de nature particulièrement spéculative ;
de facteurs conjoncturels liés à des aléas climatiques, des crises sociales et des conflits armés ou latents ;
d’avantages comparatifs et des complémentarités entre produits agricoles : c’est par exemple la possibilité d’échange entre pays producteurs de céréales et ceux producteurs de tubercules, entre pays d’élevage et d’agriculture. Il y a donc un marché commun naturel qui se forme loin des sphères officielles du fait d’un dysfonctionnement des structures nationales d’intégration. Les avantages comparatifs sont aussi dus aux inégalités des ressources naturelles et du coût du travail (comme nous l’avons vu dans le cas de la frontière mexique-usa), avec pour conséquence une organisation des échanges destinés à contourner les entraves telles que la rigidité ou la restriction des politiques commerciales ;
des différences entre politiques économiques : en dehors des disparités monétaires, on peut signaler les disparités douanières, les inégalités des taxes à l’exportation, la surévaluation ou la sous-évaluation des monnaies, la différence dans les régimes de subvention à l’importation...
Il faut pourtant rappeler que les échanges entre pays limitrophes, lorsqu’ils concernent la vie des régions ne se font pas, pour la plupart, dans un cadre officiel. Par rapport aux principales théories qui existent sur le développement des régions transfrontalières en général, l’Afrique possède donc une certaine particularité.