‘’La faiblesse des échanges entre les pays du continent africain mérite réflexion lorsque l’intensification de la coopération régionale est à l’ordre du jour’’ (Egg, 1985 : 1). En fait, de nombreuses tentatives ont été faites en Afrique pour établir des liens d’échanges entre des Etats limitrophes. Depuis les indépendances, plusieurs dizaines d’institutions à vocation d’intégration régionale ont vu le jour en Afrique de l’Ouest et le bilan, après quelques décennies d’existence, se révèle très inférieur aux objectifs souhaités. Visiblement, dans le continent africain, les Etats voisins ne sont pas des partenaires. En revanche, on peut observer ‘’au niveau de différentes catégories d’acteurs, la permanence de logiques sociales et économiques ne se limitant pas au cadre du territoire des Etats. La mobilité des populations ouest africaines, leur aptitude à franchir les frontières pour tirer parti des opportunités offertes dans un pays voisin, l’éclatement d’un même lignage en différents points du continent, les réseaux marchands ouest-africains opérant dans des espaces trans-étatiques en sont des exemples vivants.
Il existe un décalage entre le cadre de référence de l’Etat, qui détermine les approches économiques et les débats sur les politiques de développement et sur l’intégration régionale, et la réalité des logiques mises en oeuvre par les opérateurs économiques intervenant dans les échanges’’ (Lambert, 1998 : 27). Le mode de fonctionnement des échanges repose donc en grande partie sur une organisation en réseau qui dessine un espace économique différent.
Ces réseaux marchands tirent essentiellement leur subsistance des disparités économiques et financières existant entre les pays. Les écarts de richesse, les différentiels de prix, la diversité des politiques fiscales et douanières ont fortement contribué à développer ces échanges trans-étatiques. Quant aux disparités monétaires, elles apparaissent comme le catalyseur de ces échanges. La zone franc a joué, et continue de jouer, un rôle important, du fait de la parité fixe avec le franc français, par rapport aux pays voisins à monnaie inconvertible (la naira nigériane, le cédi ghanéen, le dalasi gambien...). Le franc cfa n’est alors pas recherché pour lui-même, mais sert de monnaie-relais pour l’obtention de devises fortes sur le marché international, dont, essentiellement le dollar américain. ’‘Ce facteur monétaire, conjugué aux disparités de productions et de richesses entre les Etats fait apparaître trois sous-ensembles géographiques de pays de la zone franc, situés au contact soit du Nigeria, soit du Ghana, soit de la Gambie. Jusqu’en juillet 1993, la libre sortie des billets de la zone franc a constitué un des éléments fondamentaux du système d’échanges. L’une des causes de la décision du 28 juillet 1993 de suspendre le rachat des billets (émis par les Banques centrales, bceao et Banques des Etats de l’Afrique centrale, et présentés par les Banques centrales de pays tiers) fut précisément l’accroissement de la sortie des billets de la zone franc, hors de leur zone d’émission. La bceao avait dû racheter, en 1990, 153 milliards de Fcfa, 154 milliards en 1991, 231 milliards en 1992 et 163 milliards pour les 6 premiers mois de l’année 1993. Ainsi, pour l’année 1992, c’est plus du tiers de la circulation fiduciaire qui était passée à l’extérieure de la zone. Cette mesure entraîna une diminution des achats des ressortissants des pays de la zone franc dans les autres Etats de la sous-région’’ (Stary, 1996 : 46).
La dévaluation du Fcfa en janvier 1994 a changé un certain nombre de rapports de force entre les pays de la région. Certes, le changement de parité a réduit les différentiels de prix qui pouvaient exister auparavant, mais la parité fixe avec le franc français lui permet toujours d’apparaître comme une monnaie forte.
L’essor de ces échanges trans-étatiques plus ou moins illégaux et informels ces vingt dernières années est également une réponse a la crise économique et financière que traversent les Etats africains. ‘’L’Etat ne jouant plus son rôle de régulation sociale, le contournement des règles étatiques instaure des systèmes de substitution’’ (Stary, 1996 : 53). La contraction du secteur moderne a été compensée par un glissement vers le secteur informel. La présence et la persistance de ces types de marché conduisent à une certaine autonomie par rapport aux règles étatiques et cela en dépit du fait qu’une bonne partie des flux transfrontaliers répond surtout à un besoin de survie. C’est donc dans l’ensemble une économie basée sur la recherche de l’opportunité du moment où la capacité d’adaptation des acteurs à toute nouvelle donnée macro-économique est souvent remarquable. En même temps, du fait de leur faible capacité financière, ils sont aussi les premiers à disparaître quand la raison d’être des flux transfrontaliers disparaît.
Les échanges frontaliers sont donc nombreux, même si on peut se demander s’il est possible d’en établir une image plus conforme à la réalité que celle des statistiques officielles. Dans le cas du Niger et du Nigeria, la présence d’une frontière longue de plus de 1500 km, ne présentant aucun obstacle naturel et traversant un milieu culturellement homogène, laisse augurer que de nombreux flux échappent à l’enregistrement des douanes, traduisant la permanence de logiques sociales et économiques ne se limitant pas au cadre du territoire des Etats. Ayant déjà évoqué les raisons historiques de ce phénomène, nous allons maintenant détailler les facteurs économiques qui rendent ce milieu propice aux échanges, avant d’aborder de manière plus concrète ces derniers.