3.1 L’existence de zones monétaires distinctes

C’est un élément essentiel du fonctionnement des marchés frontaliers. Durant la période coloniale, les deux zones monétaires s’interpénètrent et la livre nigériane a valeur de devise hors du pays. Un marché parallèle existait avant tout en raison du protectionnisme dans les colonies françaises, qui contraste avec l’approvisionnement à relativement bas prix des marchés du Nigeria. Par la suite, pour régler leurs échanges, les commerçants doivent obtenir des livres dont l’accès est contrôlé. Ils vont alors massivement transférer des francs cfa sur des comptes au Nigeria pour payer leurs achats via des montants en livres sterling dont ils sont ainsi crédités. Le franc cfa est déprécié par rapport à la livre. Lors du conflit du Biafra (1967-1970), ‘’le gouvernement nigérian, principalement pour empêcher le Biafra de bénéficier de la dynamique sterling, mais aussi pour contrôler la masse monétaire, décida de sortir de la zone sterling, à l’instar du Ghana. Il édicta en conséquence, une série de règles telles que la non-convertibilité, l’instauration du contrôle des changes et la restriction des importations avec la création de licences imposées à toutes les grandes sociétés commerciales du pays’’ (Verlaeten, 1991 : 19). Les banques françaises refusèrent la naira et hormis le cas des comptes permettant la compensation sans transfert des devises (accord entre le Niger et le Nigeria), la voie d’échange devint le marché parallèle. Sur celui-ci, la naira était une monnaie convertible, mais à un coût de transaction élevé. Elle était donc dépréciée. En conséquence, dès le décrochage de la zone sterling, la naira cotée sur le marché parallèle fut dépréciée par rapport à sa valeur officielle. Il faut attendre la fin de la guerre du Biafra pour voir les deux taux se rejoindre : 389 Fcfa et 350 Fcfa pour une naira respectivement sur les marchés officiel et parallèle (Verlaeten, 1991), même s’il ne s’agit que d’un phénomène temporaire. On peut en effet remarquer sur le Tableau 2, entre 1977 et 1984, une importante décote entre cours officiel et cours sur le marché parallèle.

Le développement industriel et le boom pétrolier ont modéré la décote de la naira vis-à-vis du Fcfa sur le marché parallèle jusqu’à la fin des années 1970. On peut calculer qu’entre 1977 et 1980, la naira a perdu par rapport au Fcfa, moins de 5% de sa valeur sur le marché officiel et moins de 10% sur le marché parallèle.

Tableau 2 : Evolution du cours moyen de la naira
1977 1980 1984
Marché de Zinder (Niger)1 251 228 129
Cours officiel2 437 419 584
Décote 43% 57% 77%
Source : igué, 1985b : 24.
1 cours moyen calculé à partir de relevés quotidiens effectués par la BCEAO, agence de Zinder
2 cours officiel obtenu à partir de la parité de la naira avec le dollar, et du dollar avec le franc cfa, fournie par le F.M.I.

La décennie 1980 fut marquée pour le Nigeria par une expansion non maîtrisée de la demande parallèle de devises (essentiellement des dollars) non satisfaite par la cbn (Banque centrale) qui fournissait surtout à l’Etat de quoi éponger la dette publique. A partir de 1986, on assiste à ‘’une succession de dévaluations « réparatrices » faites pour endiguer la pénurie de devises et contenir à 10% environ l’écart entre marchés officiel et parallèle du dollar (...). Entre 1984 et 1992, le taux de change effectif réel de la naira a considérablement chuté, passant de l’indice 100 en 1984 à 10.8 en 1992. Le prix relatif des biens nigérians a donc baissé, et provoqué au Niger une réduction de 45% de ses exportations enregistrées vers le Nigeria, ainsi qu’un report massif d’importation vers les circuits parallèles’’ (Labazée, 1996 : 56).

Ce fut un coup fatal à l’industrie nigérienne qui déjà cherchait ses marques face à la concurrence des biens en provenance du Nigeria. D’ailleurs cette quasi-absence d’industrie au Niger est un des facteurs qui encourage l’échange entre les deux pays.