Le Niger est un pays enclavé, contraint d’entretenir avec ses voisins des relations qui lui permettent d’avoir un accès à la mer. L’économie du pays est essentiellement rurale et s’apparente fortement à celle de ses voisins francophones (lorsqu’on excepte les pays arabes avec lesquels il y a peu d’échanges frontaliers). Leurs économies ont donc plus tendance à se concurrencer qu’à se compléter. Ceci explique que les échanges avec ces pays soient toujours restés à des niveaux assez faibles. Par contre, du fait d’un mode de développement différencié, l’économie du Nigeria est loin d’être comparable à celle du Niger.
L’industrialisation du Nigeria a débuté avant celle de ses voisins, dans la décennie 1950-60. Elle s’est poursuivie lors de l’indépendance du pays par l’entremise d’une politique de substitution aux importations et de développement de l’industrie lourde, appuyée sur un régime douanier protectionniste, dont les moyens financiers ont été fournis par une agriculture de rente avant que le Nigeria ne s’affirme comme une économie de rente pétrolière (Verlaeten, 1991). Dès lors, et malgré l’affirmation d’une doctrine libérale en matière d’accumulation, l’Etat nigérian va devenir l’opérateur principal d’investissement de ce pays dans le cadre de plans de développement et ce, jusqu’au courant de l’année 1986. Cela passe d’une part par la réalisation d’infrastructures nécessaires au développement et d’autre part par la définition des entreprises à promouvoir en priorité. Les secteurs concernés en premier sont ceux des biens intermédiaires et d’équipement, secteurs à fort potentiel de création de valeur ajoutée. Toutefois, si le Nigeria s’affirme ainsi comme producteur de biens manufacturés et de pétrole, il montre également une économie où prévaut structurellement un excès de demande alimentaire vis-à-vis d’une offre entrée en crise à la fin des années 1960, c’est-à-dire à l’avènement de l’économie de rente pétrolière. La crise de l’offre agricole nigériane est complexe et fut longtemps masquée par le développement industriel. Elle est essentiellement liée au mode de développement agricole choisi par les autorités du pays. ’La croissance agricole fut impulsée par le haut, de façon exogène à une paysannerie considérée un peu comme un frein au progrès, de par ses méthodes et structures de production, cela par le biais d’une politique publique sélective et productiviste. En conséquence, les aides gouvernementales furent concentrées sur les meilleures terres, dont la productivité potentielle fut accrue par un recours aidé à la mécanisation et à l’utilisation d’intrants chimiques’ (Verlaeten, 1991 : 14), au détriment des autres. Ainsi, la politique agricole et les énormes ressources monétaires apportées par le pétrole, découragèrent l’agriculture nigériane, puis finirent par la ruiner. Le ravitaillement alimentaire du pays ne pouvait se faire qu’à partir d’une forte importation de denrées agricoles des pays voisins ou du marché international.
Avec son marché de près de 100 millions d’habitants, le Nigeria devint alors au début des années 1960, le principal client des exportations alimentaires nigériennes. Les échanges furent très importants lors de la guerre du Biafra qui isola le nord Nigeria en l’empêchant de s’approvisionner régulièrement en marchandises et conduisit les marchands de Kano et des autres villes septentrionales du Nigeria à venir se ravitailler au Niger. Les liens entre commerçants installés de part et d’autre de la frontière se renforcèrent et leurs échanges se diversifièrent. A la fin des hostilités, le Nigeria remit en marche son économie et les transactions avec le Niger retrouvèrent leur niveau antérieur. Cependant, dès 1972, ils reprirent grâce à une nouvelle activité : le transit. Celui-ci consiste à importer des marchandises (tissus, cigarettes, friperie etc.) pour les réexporter ensuite frauduleusement au Nigeria où leur importation est interdite. De 1972 à 1989, les échanges entre les deux pays vont connaître une forte croissance : ces années sont, pour l’un comme pour l’autre, une période d’expansion économique induite par l’exploitation de leurs gisements respectifs de pétrole et d’uranium. Outre le développement du transit, le Niger exportait du bétail et du niébé tandis qu’il importait des céréales (mil, sorgho, maïs), de l’engrais, du ciment, des matériaux de construction et divers produits manufacturés. Au début des années quatre-vingts, le Nigeria adopta une politique protectionniste en raison de la diminution de ses ressources due à la chute du prix du pétrole sur le marché mondial. Cette limitation volontaire des importations favorisa le commerce frontalier, les marchandises bannies étant introduites frauduleusement depuis les pays voisins (Grégoire, 1992).
A la fin des années 1980, plusieurs mesures vont tendre à réduire les échanges en voulant ’casser’ le commerce clandestin. En effet, on assiste en 1984 à une démonétisation de la naira et à la fermeture de la frontière nigéro-nigériane (jusqu’en 1986), puis à la mise en place en 1986 d’un second marché des changes par le gouvernement de Lagos. C’est un marché sur lequel le cours de la naira est déterminé par la loi de l’offre et de la demande, ce qui a entraîné une dévaluation de fait de cette monnaie et une réduction du pouvoir d’achat des Nigérians. D’autre part la libéralisation de l’économie affecte le transit en rendant inutile le passage par le Niger des marchandises dont l’importation était désormais autorisée.
En tout état de cause, le commerce frontalier n’est plus aussi florissant qu’autrefois. Il n’en demeure pas moins que la présence du Nigeria à ses frontières est, pour le Niger, un facteur déterminant au niveau économique.