Le développement actuel des échanges régionaux prolonge les anciennes traditions commerciales ; à l’échelle locale, l’échange se structure autour de marchés qui représentent les plus importants centres d’exposition et d’achat.
Un certain nombre de ces marchés a vu le jour grâce au commerce transsaharien. Parmi ceux-là on peut citer Zinder et Birni Konni (du côté nigérien), Madaou, Illéla, Kamba (du côté nigérian). Ils ont prospéré car à côté du commerce à longue distance19, se sont développés des échanges locaux autour d’un système de marchés périodiques florissant à la fin du 19ème siècle. Ils étaient en quelque sorte les entrepôts du commerce transsaharien et/ou le point de contact entre des Haoussas sédentaires et agriculteurs, et des Peuls nomades et éleveurs. D’autres marchés par contre sont plus récents, nés pendant20 ou après la colonisation, montés par des populations conscientes de pouvoir tirer partie de la nouvelle donne géopolitique. John Igué (1985a) recense entre Gaya et Diffa, c’est-à-dire sur toute la longueur de la frontière, une centaine de marchés frontaliers nigéro-nigérians. Il propose alors (comme Iren Wright en 1989) de les hiérarchiser en fonction de leur importance et leur dynamisme. On retrouve la classification suivante :
Les marchés ’polaires’ ; ils rayonnent sur de vastes régions couvrant plusieurs dizaines de kilomètres-carrés. Ce sont des pôles d’approvisionnement ouverts sur les circuits import-export (exemple : Maradi-Konni-Kano). Ils doivent leur dynamisme à l’influence de grosses agglomérations dont la population constitue à elle seule un débouché important. Ils le doivent également souvent à l’attachement de la population frontalière à son sentiment d’unité et aux contrastes économiques nés de la partition. Parmi les marchés ’polaires’, Igué cite Zinder, Maradi, Konni au Niger et Katsina, Daura et Kano au Nigéria.
Les marchés relais ; ils sont situés entre les premiers (tant géographiquement que du point de vue de leur importance), et sur les principaux axes de communication ou à proximité des zones de production. Ils servent de relais à l’approvisionnement des marchés plus importants : c’est le cas par exemple de Matameye pour Zinder ou de Madaou pour Kano.
Les marchés de brousse ou ’satellites’ sont le lieu de collecte des denrées agricoles et de la revente des produits manufacturés. On y rencontre surtout des petits détaillants au service de grossistes qui interviennent au niveau des deux premières catégories de marché.
En fait, il s’agit la plupart du temps d’une disposition en marchés jumeaux, qui permet la permanence de la cohésion des groupes sociaux, en dépit des contraintes induites par la frontière. ‘’A ces marchés s’ajoute le rôle des villes frontalières qui par leur position géographique et leur population renforcent la structure des espaces (frontaliers). (...) Cependant, il faut noter qu’entre les villes et les marchés, il existe des localités qui servent d’entrepôts frontaliers ; lieu de revente pour les grossistes qui opèrent de chaque côté de la frontière - les marchandises peuvent provenir de loin’’ (Wright, 1989 : 35). Les échanges commerciaux concernent à la fois les produits industriels, agricoles et d’élevage.
Cette structure triangulaire, ville-marché-entrepôt, où les trois éléments peuvent se trouver sur deux ou trois localisations distinctes, fonctionne de façon autonome, car elle échappe en grande partie aux lois économiques en vigueur dans chaque Etat. Véritables traits d’union entre les deux pays, ces espaces périphériques doivent leur autonomie à des facteurs que nous avons déjà évoqués, à savoir la forte solidarité ethnique que manifestent les populations frontalières (solidarité qui peut aller jusqu’à concurrencer le développement d’une conscience nationale), et à l’utilisation des deux monnaies : il n’y a plus une zone cfa à côté d’une zone naira, il y a une zone cfa-naira. Le passage d’une monnaie à l’autre est une opération banale, quasiment instantanée, facilitée par les innombrables cambistes qui officient de part et d’autre de la frontière. Mais, l’autonomie de ces espaces périphériques peut aussi être due à la faiblesse des contrôles douaniers et à leur relative inefficacité. Ils se concentrent en effet souvent sur les postes frontières qui bien que nombreux, laissent les uns entre les autres de larges bandes où la seule entrave à la traversée est la distance. Ils se concentrent également sur des populations pauvres, qui n’ont pas les moyens financiers ou techniques de s’y soustraire.
Les espaces frontaliers que l’on peut trouver sur la frontière que nous étudions sont donc, a priori, du type des périphéries transnationales, telles que nous les avions définies précédemment : l’animation des échanges commerciaux assurée par les populations vivant à cheval sur la frontière, favorise la naissance de villes frontalières et stimule la croissance des localités déjà existantes dans la zone. Les centres urbains, généralement disposés les uns en face des autres, servent alors de support à la création d’importants réseaux de marchés frontaliers bien souvent jumeaux.
Le commerce à longue distance est considéré comme l’échange d’un produit local contre un bien de consommation qui vient de loin, alors que le commerce local est l’échange de produits entre des marchés qui ne sont pas éloignés de plus d’une journée de marche en utilisant les moyens usuels de transport c’est-à-dire à pied, en âne ou en pirogue (Daubrée, 1995).
En fait au début de la colonisation, on assiste surtout à une récession générale, une baisse d’activité des marchés frontaliers et une fuite des commerçants et des populations en zone britannique, lors de la mise en place en 1913 d’une frontière douanière, en complément de la frontière politique. Elle fut par la suite supprimée (Amselle et Grégoire, 1988).