Hors de Konni, la destination que les individus déclarent fréquenter le plus est le Nigéria (tableau 52) ; c’est aussi là que les individus vont plus spécifiquement pour faire leurs courses.
% de fréquentation | Part de ceux qui n’y font que des achats | |
Nigéria | 98 | 5/6 |
Villages environnants | 4 | 1/3 |
Ailleurs au Niger | 5 | 1/4 |
Les villages environnants sont très peu fréquentés. Les rares personnes qui le font, y vont très peu souvent (la fréquence indiquée en général est : ’au moins une fois par an’), et surtout, elles n’y vont pas spécialement pour cela (tableau 52). Nous expliquons ce phénomène de deux manières ; d’abord par le fait qu’en toute logique, il ‘’existe toute une gamme d’échanges interfamiliaux qui permettent aux citadins de s’approvisionner à bon compte et aux ruraux d’accéder aux services urbains (...) à moindre coût. Les citadins soutiennent par des envois d’argent, de provisions, la parenté restée au village. Ils les hébergent et leur facilitent l’insertion dans l’économie et la société urbaines’’ (Courade, 1985 : 76). Il existerait donc en ville des ’poches importantes de ruralité’, et cela, même en faisant abstraction de la grande pratique de l’agriculture pas les Konnawas. La deuxième raison que l’on peut invoquer pour expliquer le faible approvisionnement des citadins dans l’arrière-pays, est que le marché de Konni semble assez bien approvisionné en produits qui en proviennent, pour ne pas justifier la nécessité d’effectuer soi-même le déplacement. Rappelons en effet que le jour du marché de la ville, les villageois viennent nombreux pour vendre leur production directement aux consommateurs, ou aux commerçants. L’offre est donc importante et les écarts de prix probablement peu significatifs.
En ce qui concerne les autres destinations au Niger, elles sont également très peu fréquentées, soit parce que la nécessité ne se fait pas sentir, soit parce que la distance est un élément assez dissuasif. Dans tous les cas, on n’y va que parce qu’une autre raison motive le déplacement ou pour des montants d’achats importants.
Les Konnawas se rendent plus fréquemment au Nigéria : près de trois-quarts des individus concernés y vont de une à quatre fois par mois. Les sommes dépensées, en moyenne 12 000 Fcfa, bien que beaucoup plus faibles qu’ailleurs (26 000 Fcfa dans les villages et le reste du Niger), révèlent que les petits achats de la vie quotidienne relèvent bien de la ville ou du quartier. On ne traverse la frontière que pour des achats relativement gros ou groupés. Moins de 1 individu sur 5 reconnaît se déplacer vers le Nigéria pour un achat ne dépassant pas 2 500 Fcfa. Pour la majorité (55%), ce seuil se situe entre 3 000 et 10 000 Fcfa. Mais, si le critère de l’existence d’un seuil à l’achat est relativement clair dans la stratégie des individus, les pratiques d’achat, dans lesquelles entrent en compte le type de produit à acheter en tel ou tel lieu ainsi que les raisons de ce choix, restent assez hétérogènes. Ainsi certains produits sont achetés par tous à Konni (tableau 53), exclusivement (la viande par exemple) ou majoritairement (les articles d’usage domestique, les aliments de type industriel). D’autres, tels que les ustensiles de cuisine sont acquis uniquement ou, dans le cas des fruits, des hydrocarbures ou encore du textile-habillement, plus fréquemment, au Nigéria. Certains produits enfin, comme les condiments et les céréales, sont achetés par les uns à Konni, par les autres au Nigéria et par certains indifféremment sur les deux lieux. Certaines raisons sont invoquées pour expliquer cela (tableau 54).
Produits | Uniquement à Konni |
% |
Uniquement au Nigéria |
% |
A Konni et au Nigéria |
% |
Effectif total |
% |
Condiments | 95 | 45 | 77 | 37 | 37 | 18 | 209 | 100 |
Textile-habillement | 30 | 15 | 133 | 66 | 38 | 19 | 201 | 100 |
Céréales | 63 | 43 | 57 | 39 | 28 | 19 | 148 | 100 |
Produits d’hygiène | 18 | 13 | 111 | 81 | 8 | 6 | 137 | 100 |
Aliments de type industriel | 50 | 56 | 35 | 39 | 4 | 4 | 89 | 100 |
Viande | 84 | 100 | 0 | 0 | 0 | 0 | 84 | 100 |
Légumes | 26 | 43 | 29 | 48 | 6 | 10 | 61 | 100 |
Articles d’usage domestique | 31 | 66 | 15 | 32 | 1 | 2 | 47 | 100 |
Ustensiles de cuisine | 0 | 0 | 30 | 100 | 0 | 0 | 30 | 100 |
Fruits | 3 | 11 | 24 | 89 | 0 | 0 | 27 | 100 |
Hydrocarbures | 3 | 13 | 21 | 88 | 0 | 0 | 24 | 100 |
Articles de décoration | 2 | 15 | 11 | 85 | 0 | 0 | 13 | 100 |
Bonbon-confiserie | 0 | 0 | 5 | 100 | 0 | 0 | 5 | 100 |
Pièces détachées | 0 | 0 | 5 | 100 | 0 | 0 | 5 | 100 |
Bétail | 2 | 100 | 0 | 0 | 0 | 0 | 2 | 100 |
Effectif total | 407 | 38 | 553 | 51 | 122 | 11 | 1082 | 100 |
Ainsi, il apparaît très clairement qu’on s’approvisionne à Konni parce que c’est le plus près et que certains articles (principalement le textile-habillement) y sont de meilleure qualité. Pour le Nigéria, l’argument unanimement mis en avant est le prix.
Motif préférentiel de l’achat | à Konni | % | au Nigéria | % |
C’est plus près | 156 | 62 | 0 | 0 |
C’est de meilleure qualité | 66 | 26 | 7 | 2 |
C’est moins cher | 15 | 6 | 305 | 95 |
Il y a plus de choix | 15 | 6 | 8 | 3 |
Effectif total | 252 | 100 | 320 | 100 |
La variété des facteurs qui entrent en jeu dans la définition des pratiques d’approvisionnement les rend extrêmement multiples. Pour essayer d’en avoir une vision globale, nous avons fait quelques regroupements. Après une première analyse, il nous apparaît que les pratiques concernant les différents produits alimentaires sont relativement proches. Il en est de même pour celles des produits non-alimentaires. En les croisant avec les lieux d’achat, une analyse factorielle des correspondances multiples nous permet alors d’identifier quatre groupes de pratiques d’achat (graphe 16). On observe tout d’abord les pratiques simples avec mise en oeuvre de stratégie d’achat sur un seul type de produit qui est alors acquis sur un lieu unique (’non-alimentaire à Konni’, ’alimentaire au Nigéria’). Mais on remarque aussi des pratiques plus complexes, avec stratégie d’achat sur tous les types de produits, et donc une démultiplication des lieux d’achat (’alimentaire a Konni, non-alimentaire à Konni et Nigéria’ par exemple)
inertie axe1 :21%
inertie axe2 : 18%
variance expliquée : 39%
Nous avons ensuite positionné les individus par rapport à ces pratiques identifiées par le biais d’une classification ascendante hiérarchique. Dans les groupes qui en résulte, quatre types d’individus sont dominants. Nous les avons alors dénommés en fonction de leur principaux caractères socio-démographiques et économiques (caractérisation des groupes en annexe 5). On trouve donc, parmi les individus à stratégie d’achat déclarée, des adultes aisés sédentaires (graphe 17), des adultes pauvres immigrants, des chefs et épouses modestes présents à Konni depuis moins de 10 ans, et des jeunes hommes pauvres sédentaires41.
Les adultes aisés sédentaires sont des individus qui ont tendance à faire la majeure partie de leurs courses au Nigéria. Cela s’explique par le fait tout d’abord qu’ils ont toujours vécu à Konni. L’espace transfrontalier leur étant familier, ils n’ont aucun mal à le fréquenter. Par ailleurs, nous l’avons vu, on se rend assez peu de l’autre côté de la frontière pour de petits achats ; or pour cette catégorie d’individus, avec un revenu moyen de près de 50 000 Fcfa, les achats de la vie quotidienne se font moins au détail que pour les plus démunis. Ils se déplacent alors en majorité au moins une fois par semaine, en moyenne à partir d’un montant d’achats de 17 000 Fcfa. Les dépenses sont importantes parce que les besoins le sont également (9 individus par ménage en moyenne) et parce que les moyens de satisfaire ces besoins existent (trois-quarts des individus de plus de 13 ans sont actifs dans ces ménages).
Chez les chefs et épouses modestes migrants ou immigrants, l’alimentaire est acquis à Konni. On n’achète que le non-alimentaire au Nigéria. Ils s’y rendent alors moins souvent, mais néanmoins au moins une fois par mois, à partir de 15 000 Fcfa d’achat. L’espace transfrontalier est moins bien connu du fait que pour une bonne partie des personnes composant ce groupe, la venue ou le retour à Konni s’est fait il y a moins de 10 ans. Certains d’ailleurs (un quart d’entre eux) ne vont toujours pas seuls faire leurs courses. Du fait qu’ils quittent la ville, même peu fréquemment, pour acquérir une certaine catégorie de produits, l’achat des produits alimentaires à Konni découle alors de la modestie de leurs revenus. Les aliments sont achetés au jour le jour dans le quartier d’habitation ou au mieux, au marché de Konni.
Pour les adultes immigrants pauvres, la stratégie est la même sur les produits non-alimentaires et partiellement la même sur les autres. Ils vont en effet profiter du déplacement effectué, en moyenne à la même fréquence que le groupe précédent, pour acquérir une partie des vivres dont ils ont besoin. Ils sont prêts, dans le but avoué de payer moins cher, à se déplacer pour des montants d’achats relativement faibles. Ainsi, la moitié d’entre eux effectue le déplacement à partir d’une fourchette de 2000 à 5000 Fcfa, la moyenne étant néanmoins de 9000 Fcfa.
Cette moyenne est la même chez les jeunes hommes sédentaires pauvres. Ils ne déclarent pas de stratégie particulière pour les produits alimentaires, mais sur le non-alimentaire, ils se distinguent des autres par des achats aussi bien à Konni qu’au Nigéria. Il s’agit principalement de textile-habillement acheté à Konni parce qu’il y est de meilleure qualité. Il faut noter en effet, que si ces individus ont des revenus ici considérés comme très bas, ils n’ont pas la charge d’un ménage et ont bien souvent dans celui qui les héberge un statut d’enfant du chef. Leurs ménages sont de grande taille, plus de 9 individus, mais avec un fort taux d’activité des plus de 13 ans (73%), ce qui laisse supposer un revenu du ménage assez confortable42. Les enfants sont alors parfois envoyés pour faire les courses, à Konni et/ou au Nigéria, mais ils sont aussi parfois des accompagnants. Seuls les plus âgés (moins d’un quart ont plus de 22 ans) peuvent prendre la décision sur le lieu ou l’achat doit se réaliser.
La qualification ’pauvres’, ’modestes’ et ’aisés’ a été réalisée en fonction du revenu moyen (30 000 Fcfa) de la population que nous étudions ici. Les modestes sont donc ceux qui gagnent l’équivalent du revenu moyen (ici 29 000 Fcfa), les pauvres ceux qui disposent d’un revenu au moins 25% inférieur. Les aisés gagnent en moyenne près de 50 000 Fcfa, soit deux-tiers de plus que les personnes dites modestes.
Nous ne pouvons cependant pas les reconstituer, pour ce groupe comme pour les autres, car dans trop peu de ménages nous disposons des revenus de l’ensemble des actifs, ou de l’ensemble des revenus de chaque actif.