L’activité de commerce est pratiquée par plus d’un actif sur deux à Konni. Dans deux tiers des ménages de la ville, au moins une personne est commerçante. Une large part de la population est donc concernée par ce secteur.
L’approvisionnement constitue la première étape de la pratique quotidienne de l’activité commerciale. Il se fait sur un rayon de plus en plus large à mesure que l’activité se fait à grande échelle. Il demeure néanmoins presque exclusivement régional (tableau 70), avec une prédominance de Konni, du fait d’une importante proportion de petits commerces.
Lieu d’approvisionnement | % d’individus concernés |
Konni | 83 |
Illéla | 40 |
Région (hors Konni et Illéla) | 11 |
Hors région | 4 |
Cette proximité des lieux d’approvisionnement est une des conditions sine qua non à l’existence de la majorité des commerces en ville, même si la traversée de la frontière est parfois mal perçue, ou mal vécue, par les agents économiques.
D’une manière générale, le gros ou le moyen commerce des hommes les entraîne plus loin pour leur approvisionnement que le petit commerce. Ils se déplacent pour faire leurs achats, généralement en taxi brousse, à Niamey au Grand Marché, à Illéla voire à Sokoto auprès de fournisseurs attitrés. Il y a, dans les deux derniers cas, une logique de réseau, avec fidélisation au moyen de vente à crédit et à prix préférentiel. Cette même logique prévaut entre les commerçants moyens et les grossistes de Konni ou venant à Konni.
En fait, ’la notion de réseau est souvent utilisée pour analyser les échanges en Afrique subsaharienne, dont les échanges transfrontaliers sont un sous-ensemble. Ces réseaux constituent un niveau mésoéconomique, organisationnel, expliquant les évolutions de variables macroéconomiques (prix, taux de change, etc.) et les choix microéconomiques des agents ou des firmes. Certaines descriptions issues de la sociologie ou de la géographie en font un large usage sur le cas de pays caractérisés de deux façons : par leurs positions frontalières, ou par le déclin des institutions étatiques. La plupart de ces recherches privilégient une conception de réseaux soit préexistant aux échanges et déterminant ceux-ci (...), soit constituant des réponses, des réactions aux différentiels et distorsions introduits par les politiques étatiques, qu’elles soient domestiques (...) ou transnationales (...). Leur dimension intégratrice, au niveau national ou transcendant des frontières ayant arbitrairement découpé des entités culturelles, est ainsi souvent mise en avant et positivement considérée’ (Sindzingre, 1998 : 73). Ainsi, Grégoire (1993) parle-t-il des réseaux de commerce haoussa, faisant référence à un ensemble transnational, à une entité culturelle (traditions, langue et religion). Il en esquisse une typologie en privilégiant leur inscription spatiale comme critère de différenciation, dans la mesure où celle-ci renvoie à des flux d’ampleur variable, ainsi qu’à des modes d’organisations économique et sociale différentes. Il distingue donc les réseaux régionaux, mis en oeuvre pour l’approvisionnement dans l’arrière-pays, les réseaux nationaux, principalement de fourniture des grands pôles nationaux, les réseaux internationaux dans lesquels les commerçants locaux sont directement en relation avec des multinationales des autres continents, et enfin les réseaux transfrontaliers. Notons cependant que ces différents types de réseau peuvent constituer chacun un simple maillon d’un réseau plus complexe. Le réseau est en général une structure fortement hiérarchisée reposant d’une part sur la confiance (ne pas respecter sa parole peut entraîner l’exclusion du monde des affaires ; de ce fait, la confiance offre une garantie plus sûre que toutes les législations modernes - MacGaffey et Bazenguissa, 1998) et d’autre part sur une somme de dépendances construites et entretenues par les patrons du commerce. Ils décident des prix et donc de la ventilation des marges, et il peut intervenir à ce niveau des relations de ’solidarité’ avec les commerçants-clients, basées sur un lien de parenté ou d’ethnicité, ou tout simplement dans un souci de se forger et de maintenir des réseaux d’approvisionnement et de distribution. Cela permet aux gros commerçants de développer leurs affaires et d’asseoir leur autorité dans leur domaine.
Aux moyens et petits commerçants, ces réseaux bénéficient également et permettent, comme c’est le cas à Konni, de continuer leur activité même en ces temps de crise.
Dans l’activité de commerce, il y a ensuite la vente. Elle s’adresse à une clientèle de quartier, à une clientèle régionale ou de passage selon qu’il s’agit de petit, de moyen ou de gros commerce. Les habitants de Konni sont surtout fortement consommateurs du commerce de quartier, la proximité de la frontière les détournant, selon les commerçants, des autres commerces de la ville. Les commerçants arrivent néanmoins à garder une clientèle locale en fournissant les commerces plus petits que les leurs. Ainsi les gros commerces fournissent les moyens, qui eux-mêmes fournissent les petits. Notons aussi que la vente ne se réduit pas pour tous les commerçants de Konni, à l’espace de leur ville ; 10% d’entre eux vont également proposer leurs marchandises ailleurs, principalement dans la région (deux tiers Niger, un tiers Nigéria) et à Niamey. Il faut souligner que 5% des actifs non commerçants font également de la vente hors Konni ; ce sont des agriculteurs et des artisans. Mais, en règle générale, l’activité se pratique à domicile pour les femmes et à l’extérieur du domicile, voire du quartier d’habitation, pour les hommes. Compte tenu de la présence importante dans la ville de journaliers ou de gens de passage, il existe une forte activité de vente ambulante : près d’un commerçant sur cinq (femmes presqu’autant qu’hommes) pratique son activité ainsi.
Il y a aussi dans le commerce, la recherche du meilleur profit. C’est ce qui pousse ceux qui le peuvent à aller s’approvisionner plus loin, à vendre là où on peut toucher un maximum de personnes (notamment au marché), mais aussi à partir à la recherche de nouveaux clients ou de nouveaux fournisseurs, et à aller s’informer sur les prix. C’est une stratégie d’éveil et une logique d’insertion dans des réseaux, propre aux gros et aux moyens commerçants qui sont bien souvent des hommes. A cet égard, il faut rappeler que les femmes sont principalement petites commerçantes. Les citadines n’ont, semble-t-il, pas encore acquis une place dans le commerce de moyen ou de haut niveau. Ceci est une situation courante et dans de nombreux pays d’Afrique (à quelques exceptions près au Bénin et Togo où l’on rencontre les ’nanas benz’, riches femmes d’affaires), ce sont les hommes qui sont à la pointe du commerce à relativement forte intensité de capitaux. ’Une enquête au Nigéria, dans la province du Bénin, a démontré que 50% des femmes adultes ont des activités commerciales. Seulement 5% sont classifiées comme ’commerçante capitaliste’, c’est-à-dire comme femmes qui ont su assumer un capital relativement gros et font travailler ce capital en bénéfices. Les hommes forment la grande majorité dans les classes commerciales capitalistes. Dans un pays comme le Ghana, où la position de la femme dans le commerce est traditionnellement plus forte que dans les pays plus au Nord (...), les femmes sont en minorité quand il s’agit du commerce ’moderne intensif en capitaux’ : 10,6% pour 89,4% d’hommes. Par contre, dans le commerce à petite échelle qui utilise beaucoup moins de capitaux, travaillent 90,2% de femmes pour 9,8% d’hommes’ (Bosch, 1985). Il semblerait alors que différents facteurs empêchent les femmes d’améliorer leur position. Tout d’abord, elles ont un accès beaucoup plus réduit au capital que les hommes, les canaux pour se financer (parents, amis, ancien patron ou encore système bancaire) leur étant le plus souvent fermés, elles ont recours à l’autofinancement. Il y a ensuite l’association tâches ménagères-travail qui en général se fait en défaveur de ce dernier, la tenue du ménage et l’éducation des enfants étant entièrement réservées aux femmes. Il y a également un plus faible accès des femmes aux connaissances et au savoir-faire et enfin, souligne E. Bosch (1985), les perspectives d’avenir pour les femmes : trouver un mari ’capable’ est souvent mieux perçu et/ou mieux vécu par les jeunes filles que l’exercice d’une activité. A l’inverse, les hommes savent dès leur jeune âge que la position économique qu’ils espèrent atteindre devra en grande partie résulter de leur propre effort. Ceci a une grande influence sur l’attitude des unes et des autres par rapport au travail en général et à leur travail en particulier, ici à l’ascension des uns (les hommes) avec l’âge et à la stagnation, voire à la régression, de l’activité des autres (les femmes).
Dans le commerce, il y a enfin le gain en lui même. Un chef de ménage commerçant gagne par le fait de son commerce, en moyenne 41 000 Fcfa. Les autres membres du ménage, c’est-à-dire principalement les épouses, gagnent 16 000 Fcfa.
La conjoncture actuelle freine bien sûr les activités, mais ces commerçants s’en sortent en cumulant souvent plusieurs activités. Le change, tout d’abord, est une suite logique de leur propre activité. En effet, ils sont bien souvent payés en nairas, ce qui leur permet, pour ceux qui se fournissent au Nigéria, de faire leurs achats sans passer par un cambiste, et d’écouler le reste en proposant du change. L’agriculture, ensuite, constitue un complément important puisque bon nombre de ces commerçants ont gardé un contact avec la terre, et payent des saisonniers pour la cultiver au moment de la saison des pluies.
Activité qui concerne une majorité de ménages, le commerce est donc à Konni une activité ouverte à tous. Se pratiquant sur un marché exclusivement informel, il fait ressortir ici la nature des flux transfrontaliers, fortement liés aux besoins de survie ou de vie, par l’utilisation de ressources locales et régionales.
Cependant, pour échanger biens et services, il est important de disposer de devises. Celles-ci sont limitées sur le marché officiel, permettant un large développement du système de change par des canaux parallèles. Ainsi il se développe à Konni, comme ailleurs sur cette frontière, une importante activité de change, permettant le commerce, et contribuant au développement de la région.