2.2.2 Fourniture des agents de change au détail

Les agents de change de Konni se fournissent en naira de trois manières.

D’abord et principalement, auprès de ceux qui approvisionnent la place. Il n’y a en effet pas d’achat collectif, chacun achète directement auprès d’eux : les premiers arrivés sont les premiers servis. Ceux qui détiennent l’information sur l’arrivée des fournisseurs, les patrons du change, sont donc à cet égard privilégiés, surtout en situation de pénurie. Quand la naira est abondante, chacun peut choisir d’acheter auprès de tel fournisseur plutôt que de tel autre et en général chacun a son fournisseur habituel. Mais lorsqu’elle est moins abondante, ou du fait que ce ne sont pas toujours les mêmes qui reviennent à chaque fois, l’on achète souvent auprès de qui en a. En fait, il est pratiquement impossible aujourd’hui pour un agent de change de n’avoir qu’un seul fournisseur. Cela n’était pas le cas il y a encore quelques années. Certains fournisseurs-agents de change qui venaient du Nigéria avaient en effet des clients auxquels ils vendaient exclusivement leurs devises. Il se pouvait alors que même lorsque l’agent local n’avait pas l’argent pour acquérir la naira comptant, son fournisseur attende 2, 3 jours, voire une semaine qu’il écoule la marchandise pour être payé. Dans l’état actuel du marché du change et principalement du fait de la trop grande fluctuation du cours (il reste difficilement stable toute une journée), un jour ou deux suffiraient à faire perdre à l’un des partenaires énormément d’argent. L’achat des nairas se fait alors toujours en liquide et aucun crédit n’est octroyé. Un système est néanmoins aujourd’hui développé pour pallier cela : le dimanche, les détaillants peuvent prendre auprès des fournisseurs le montant de nairas qu’ils désirent pour essayer de le vendre au cours du jour pendant une heure, une matinée, une journée... en fait, tant qu’ils se trouvent encore en ville. Au moment de leur départ, la marchandise vendue leur est payée au cours d’achat, et celle invendue leur est rendue. Les agents de change-fournisseurs peuvent ainsi rester plusieurs jours à Konni lorsqu’ils n’escomptent pas un meilleur bénéfice ailleurs (rappelons que le contact est permanent avec les principales places de change le long de la frontière). Par ce système de ’confiage’, l’agent local ne prend pas de risque et le fournisseur ne laisse pas inutilement dormir de l’argent dans une monnaie qui peut à tout instant se déprécier.

Hormis l’achat direct aux fournisseurs extérieurs, il existe pour le détaillant de Konni la possibilité d’acquérir la marchandise auprès d’un patron du change de la ville. Le bénéfice est néanmoins moindre.

‘Il achète la marchandise en gros (pour plusieurs millions) et il nous la cède en prenant une marge de 1 nairas ou 50 kobos (½ naira) de manière à ce que nous gagnions aussi quelque chose en vendant en détail.’

mais cela peut représenter des avantages certains, en termes de prise de risque minimum,

‘Personnellement je prends les nairas auprès de mon ’patron’ et je les vends ici même ou dans les marchés de certains villages. Nous le payons en général après avoir vendu. Je prends quelques centaines de milliers ou 1 000 000 Fcfa, mais dans le temps, il m’est arrivé de lui prendre jusqu’à 10 000 000 de marchandise en une seule fois.’

avantage encore en terme de capacité à répondre à tout moment à la demande d’un client.

‘(...) lorsqu’on a un gros client, on peut prendre le montant de nairas dont nous avons besoin et nous venons payer après la transaction.’

Le fait est que personne ne prend plus le risque de garder des montants trop importants de nairas, et même pour les grossistes, il s’agit d’un risque bien calculé. Ainsi, de même qu’ils prêtent des nairas à ceux qui sont ’en dessous d’eux’ (et qui les remboursent en Fcfa après les avoir vendues), ils vendent aussi au détail directement aux clients, au même prix que les détaillants.

Les deux types d’approvisionnement que nous venons d’étudier sont les principaux dans la ville de Konni. Il faut noter néanmoins qu’il existe également entre les agents de change de tous niveaux, un réflexe de solidarité qui consiste à fournir de la marchandise à un collègue qui n’en a plus et qui voudrait quand même répondre à la demande d’un client fidèle. Les commerçants de la ville contribuent également à fournir de la naira aux agents car nombreux sont ceux qui acceptent un paiement dans cette monnaie. Lorsqu’ils ne l’utilisent pas rapidement pour leur propre approvisionnement, ils l’échangent alors contre des Fcfa, monnaie refuge.

Notons pour finir qu’il est pratiquement impossible de connaître ni même de tenter d’estimer le montant de devises acquis sur la place de Konni. Les cambistes restent très évasifs sur la somme engagée pour chaque approvisionnement, stipulant que,

‘(...) chacun achète selon ses moyens : il y en a qui achète pour 100 000 et d’autres pour 1 000 000 Fcfa,’

Si l’on ne peut pas se prononcer sur la somme investie, il faut néanmoins souligner une vitesse de roulement importante que révèle la fréquence à laquelle la ville est approvisionnée. En fait, le besoin en devises est permanent à cause d’un solde commercial négatif des places nigériennes de change par rapport aux nigérianes. L’offre de nairas, fournie en grande partie par l’exportation, est donc toujours inférieure à la demande, principalement liée au financement des importations.