A Konni, ils représentent les plus gros clients, de même que les plus réguliers. Il y a les gros et moyens commerçants de Konni et sa région, mais aussi les gros commerçants de Tahoua, Agadez, Dosso, Doutchi et Niamey. Le gros commerce, tel que nous l’avons étudié plus haut pour le cas spécifique de Konni, est fortement consommateur de devises. En effet, en dehors des vendeurs de bétail qui sont exportateurs, pratiquement tous les autres (matériaux de construction, hydrocarbures, pagnes...) sont demandeurs nets de nairas. C’est une situation structurellement identique sur les différentes places nigériennes, si l’on se réfère aux travaux de Labazée qui souligne en premier lieu leur déficit commercial avec le Nigéria (la couverture des importations par les exportations s’établit en effet à 56% en 1996), et en second lieu, le fait que seulement la moitié des exportations et du transit se traduit par une entrée de devises nigérianes au Niger. L’attrait des produits nigérians serait tel que bien des commerçants récupérant des nairas à l’exportation en achètent quand même pour une revente ou pour leur consommation domestique.
Les plus gros clients aujourd’hui à Konni sont les commerçants qui vont au Nigéria acheter des céréales et autres produits alimentaires. Ils viennent alors principalement de Tahoua et de Niamey. Il y a également ceux qui vendent par exemple du ciment ou des pneus du Nigéria à Niamey et tous ceux qui obtiennent des marchés des administrations ou projets pour acheter du matériel de construction et autres articles. Ces clients ne sont néanmoins pas les plus nombreux, et le dimanche se croisent sur la place de Konni, des commerçants de tous niveaux et de tous horizons. Il se noue alors souvent avec eux des relations de confiance nées de l’habitude. Deux commerçants sur cinq à Konni disposent d’un (et plus rarement de plusieurs) agent de change attitré. L’habitude est ’déclarée’ au bout de 2 à 3 transactions et se révèle très importante pour les deux parties :
‘Nous avons une clientèle d’habitués car dans les affaires d’argent, il faut que des relations de confiance s’instaurent. En effet parfois on fait des erreurs en comptant les sommes et ils savent que lorsqu’ils nous le disent, nous les croyons.’Pour le client, il s’agit également de la possibilité de bénéficier de crédit, ou d’une avance en cas de besoin.
‘Nous avons des habitués, des commerçants qui viennent d’un peu partout au Niger et auxquels nous octroyons souvent (au bout du deuxième ou troisième change) des crédits pour acheter leur marchandise ou pour la dédouaner. En fait c’est par le crédit qu’on arrive à avoir une clientèle d’habitués. Lorsqu’on leur refuse un crédit, les gens ne reviennent pas en général.’Attirer et fidéliser est pour les agents de change, certainement plus que pour d’autres agents économiques, très important car le prix de vente est la plupart du temps identique d’un cambiste à un autre. Mais, malgré ce vivier de commerçants fidèles, ils estiment que la perpétuelle dépréciation de la naira a un effet dissuasif sur leurs plus gros clients. Le cours de la devise depuis quelques temps serait tel que la naira est devenue trop encombrante ou trop visible à transporter et pose le problème du ’racket’ des douaniers nigérians à la frontière ou des vols sur la route.
‘C’est pourquoi la plupart de nos gros clients préfèrent de plus en plus partir avec des Fcfa qu’on peut plus facilement dissimuler. Des gens qui échangeaient par exemple 2 000 000 chez nous viennent maintenant échanger 40 000, c’est-à-dire juste le nécessaire pour voyager et nous ne pouvons que les approuver.Selon les cambistes, les sommes échangées ne sont plus que de quelques milliers de francs à 500 000 Fcfa, parfois un peu plus. Pourtant au niveau national, il est observé que plus de la moitié des transactions monétaires entre le Niger et son voisin se réalise dans les villes frontalières au Niger. Cela tiendrait d’une part à la structure du commerce d’importation qui donne une part non négligeable aux entreprises locales vivant souvent de la contrebande, et d’autre part au fait que sur le commerce de gros, les marges sont telles que les grands opérateurs renoncent à capitaliser le différentiel de change, cette perte étant de fait supportée par le consommateur final.
Nous l’avons vérifié sur la population de Konni, où l’enquête-ménage révèle que 83% des gros commerçants font leur change exclusivement à Konni. Les autres le font pour la plupart à la fois à Konni et au Nigéria, soit parce qu’ils n’en ont pas prévu assez, soit par habitude. Certains agents de change reconnaissent cela - même si de manière assez partielle - et admettent que,
‘(...) en ce qui concerne le change, on ne peut pas ruser en espérant avoir un meilleur taux ailleurs car les taux sont extrêmement variables. Ce qui fait qu’on peut y gagner comme on peut y perdre beaucoup. Les gens ne font en général pas ce genre de spéculation et le fait d’échanger à Konni, Illéla ou Sokoto est une question de convenance personnelle et d’habitude. Par contre lorsque les destinations sont plus éloignées (Kano, Lagos), le change y est incontestablement meilleur, alors les gros commerçants n’échangeront auprès de nous que le nécessaire à leur voyage (...) et préféreront faire le reste sur place.’Mais la majorité de ceux que nous avons interrogés estiment avoir perdu les plus gros changes. Cela est certainement dû, dans une grande mesure, à une baisse de l’activité commerciale comme nous l’avons vu en étudiant le commerce, et comme nous allons l’observer encore en analysant l’évolution de l’activité de change ces dernières années.