Avec l’arrivée des kabu-kabu, on a assisté à l’apparition, d’une part, d’un type d’investissement en transport beaucoup plus léger, et d’autre part, à la création d’un nouveau corps de métier, celui de conducteur de kabu-kabu. Mais la pérennité d’un mode de transport privé dépend de sa capacité à générer des bénéfices, non seulement pour l’investisseur, mais également pour l’exploitant. En ce qui concerne les taxis-motos, Laura Faxas (1993) parle, dans le cas de Saint Domingue, d’irrationalité économique du fait des frais qu’il faut engager en carburant alors qu’on ne peut transporter qu’un passager par voyage.
Pour les kabu-kabu, la situation n’est pas la même. L’approvisionnement sur le marché parallèle et le choix de véhicules à faible consommation modèrent le côté irrationnel de la transaction. De plus, nous l’avons vu, 40% des personnes enquêtées déclarent dépenser en moyenne 540 Fcfa en kabu-kabu par semaine (soit un taux équivalent à 20% pour l’ensemble de la population, car les plus de 13 ans représentent environ la moitié des citadins). A l’échelle démographique de la ville, cela représente près de 5 000 000 Fcfa drainés par semaine par cette activité, pour un nombre de déplacements total de plus de 15 000 (encadré 3). Ceci conduit à une recette moyenne par course de l’ordre de 315 Fcfa.
Intitulés | Calculs | 1ers résultats | + 10% 1 | + trajets vers Nigéria2 |
Nbre d’utilisateurs déclarés pour l’ensemble de la ville | 40 000*20% | 8000 | ||
Dépense moyenne déclarée par semaine | 540 | |||
Recette totale par semaine | 540*8 000 | 4 320 000 | 4 750 000 | |
Nbre de déplacement/j pour notre échantillon de 2 000 individus3 | 80 | |||
Nbre de déplacement/j pour l’ensemble de la population | (80/2000)*40 000 | 1600 | 1760 | 2160 |
Nbre de déplacement/semaine pour l’ensemble de la population | 1600*7 | 11 200 | 12 300 | 15 120 |
Coût moyen par course | 4 320 000/11 200 | 385 | 390 | 315 |
Nbre total de kabu-kabu | 400 | |||
Hypothèses | ||||
Nbre de jours de travail/semaine/ kabu-kabu | 5 | |||
Nbre de kabu-kabu en circulation/j | 400*5/7 | 285 | ||
Taux de panne | 10% | |||
Parc effectif en circulation | 285*90% | 255 | ||
Nbre de courses/ kabu-kabu/j | (11 200/7)/255 | 6 | 7 | 8 à 9 |
Recette/j/ kabu-kabu | 6*385 | 2300 | 2600 | 2500 à 2800 |
1 C’est une augmentation minimum pour tenir compte des ’journaliers’ et des ’de passage’, qui du fait de la brièveté de leur séjour vont avoir une propension élevée à se déplacer, et par un moyen rapide et ’efficace’.2 Au cours de l’enquête, n’apparaissent que les déplacements urbains, alors que les autorités font état d’un minimum de 200 véhicules qui font au moins 2 trajets (1 aller-retour) par jour au Nigéria.3 Nous incluons dans les calculs l’ensemble de la population, même les moins de 14 ans qui n’ont pas été enquêté, en posant l’hypothèse minimaliste qu’ils ne font pas de déplacement en kabu-kabu. |
En considérant le nombre de jours de travail par semaine et le taux de panne que nous avons choisi, il y a tous les jours dans les rues de la ville environ 250 kabu-kabu sur 400 en circulation. Chacun va donc effectuer de 8 à 9 courses quotidiennes pour des recettes de l’ordre de 2 500 à 2 800 Fcfa par jour. Pour un prix moyen de la course de 100 F à Konni, 350 F pour Illéla et 400 F pour les villages alentours, une des configurations possible de la journée du kabu-kabu peut être celle du tableau 71.
Nombre | Recette (Fcfa) |
Temps (min.) |
|
Courses à Konni | 3 | 300 | 30 |
Courses à Illéla | 4 | 1400 | 100 |
Courses dans les villages | 2 | 800 | 60 |
total | 9 | 2500 | 190 |
La recette du jour se répartit alors entre les charges de l’exploitant (tableau 72) et son revenu net (tableau 73).
Frais d’essence / jour (3 litres) | 400 |
Frais de réparation - 3300 Fcfa/mois (22j) | 150 |
Taxe de passage au Nigéria | 50 |
Somme versée au propriétaire | 1 000 |
Total | 1600 |
Le revenu net de l’exploitant se situe alors entre 900 et 1 200 Fcfa par jour et donc de 20 000 à 26 000 Fcfa par mois selon nos estimations. Les conducteurs enquêtés parlent quant à eux de 28 000 Fcfa par mois en moyenne. En fait sur 10, 6 ont déclaré 30 000 Fcfa, 3 en ont déclaré moins (entre 16 000 et 25 000) et 1 gagne plus. Cela laisse supposer qu’une majorité d’entre eux travaillent plus de 5 jours par semaine et que nos hypothèses de travail sont un peu basses.
Par jour | Par mois | |
Revenu selon nos estimations | 900 à 1 200 | 20 000 à 26 000 |
Revenu moyen déclaré* | - | 28 000 |
*Les revenus ont été déclarés par mois |
En tout état de cause, il apparaît que l’exploitant dispose d’un revenu pouvant être supérieur à la moyenne des revenus des actifs de Konni, qui est de 18 000 Fcfa.
L’investisseur quant à lui, en gagnant 1 000 Fcfa par jour de travail, dispose d’un revenu annuel au moins égal à 250 000 Fcfa. Ainsi, l’investissement est pratiquement remboursé dès la première année d’exploitation.
Le terme ’irrationalité économique’ est donc inadéquat dans le cas de Konni, ou dans tout autre cas (Gaya, Cotonou ou Lomé) où l’exploitation est facilitée par une possibilité d’approvisionnement à bas prix. Lorsque tout contribue à minimiser les coûts, la transaction peut devenir acceptable, voire intéressante. Il faut néanmoins tenir compte du fait qu’elle a également un coût pour la collectivité.