2.4.1. CONSTRUCTION DU CHAMP POLITICO-ADMINISTRATIF

La notion d'insertion apparaît dans le champ politico-administratif, dès 1967, dans le souci d'adapter professionnellement en vue d'un accès à l'autonomie "la jeunesse inadaptée et handicapée"100. Et ce, bien avant les prémisses de crise des années 70. Les différents types de publics visés par les mesures préconisées par le Ministère de la Jeunesse et des Sports, sont catégorisés et hiérarchisés en fonction de leurs "handicaps" scolaires, physiques ou sociaux, et doivent faire l'objet d'une prise en charge dans le cadre de l'action sociale.

Ce souci de prise en charge de certaines catégories de jeunes présentant des "problèmes" spécifiques, formulé en termes d'"insertion", est analysé par Bernard EME dans les termes suivants : ‘<<Le surgissement de la notion d'insertion s'est fait d'abord et avant tout sur un fond de crise d'identité du travail social et de remise en cause du fonctionnement du social adossé à l'état-Providence, bien avant la crise économique qui est venue renforcée ce processus>’>101. Car en effet, si le chômage commence à croître très lentement dès 1963, c'est seulement dans les années 1975 et 1976 que cette croissance va fortement s'accélérer, puis se ralentir à nouveau dès 1977102. Philippe FRITSCH mettra en évidence comment, avec le renforcement de la crise dans les années 70 et surtout 80, les différentes catégories de travailleurs sociaux seront amenées à renouveler leurs pratiques professionnelles dans le sens d'une ‘<<combinaison des approches et méthodes de l'animation et de la formation.>’>103. L'expérimentation des structures Missions Locales proposée par Bertrand SCHWARTZ constituera pour l'auteur un projet typique ‘<<d'animation globale>’> motivé par une volonté d'intervention concertée des différents acteurs du travail social confrontés à la gestion de situations et problèmes nouveaux104.

La notion d'insertion va prendre toute son envergure dans l'espace, toujours objet de multiples enjeux, de l'introuvable relation formation-emploi. Avec la crise économique des années 70 le rapport système éducatif-système productif laisse place à la problématique "renouvelée" de la relation formation-emploi.

La loi du 16 juillet 1971 qui définit l'organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de l'éducation permanente s'enracine dans l'histoire complexe d'au moins deux politiques publiques adoptées depuis l'après-guerre. D'un côté il s'agit de développer la "formation professionnelle" pour pallier à une pénurie de main d' oeuvre qualifiée d'autant plus indispensable que le pays est à reconstruire. De l'autre côté, il est question de promouvoir la "promotion sociale" afin de répondre aux demandes croissantes de justice sociale105. Philippe FRITSCH analysera comment l'éducation permanente va se construire, avec la "croissance de la raison économique", comme le moyen pour résoudre les décalages existants entre le système éducatif et le monde professionnel, autrement dit pour pallier à l'inadaptation du mode d'éducation aux nouvelles exigences du marché du travail imposées par les transformations de la société. La formation professionnelle continue va dès lors occuper la place centrale de la politique d'éducation permanente en instituant la formation "post-scolaire" comme fer de lance d'une politique de formation-qualification de la main d'oeuvre. Les dispositifs mis en place, dès les années 70, pour favoriser "l'insertion professionnelle des jeunes" vont ‘<<accentuer la tendance à concevoir le système de formation professionnelle continue essentiellement dans ses rapports au système de production comme moyen de remédier aux problèmes d'ordre économique et comme correctif des effets du système de formation initiale.>>’ 106

Comment adapter la formation des individus aux emplois disponibles sur le marché du travail, tel est l'enjeu qui va mobiliser les politiques successives, chargées de l'"insertion professionnelle des jeunes" à partir des années 70.

Notes
100.

Cf GUYENNOT (C), L'insertion. Un problème social, 1998, p 22-23

101.

EME (B), LAVILLE (J.L.), 1994, p173

102.

DUBAR (C), 1987, p 18

103.

in Education Permanente, juin 1983, p 72

104.

FRITSCH (P), juin 1983, p 79-80

105.

Cf FRITSCH (P), 1992, pp. 279-289

106.

FRITSCH (P), juin 1983, p 78